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Démocratie

L’Europe entre Merkron et Orbvini

Cet article a été publié, en italien, dans le N° de La Repubblica en date du jeudi 12 juillet 2018

« The Strange Death of Liberal England » (L’étrange mort de l’Angleterre libérale) est le titre d’un des plus fameux essais historiques en langue anglaise. Est-ce donc à l’étrange mort de l’Europe libérale que nous sommes en train d’assister ? Au moment où le populisme resserre sa morsure sur l’Europe, menaçant même le trône de la chancelière Merkel, le risque est évident. Il existe un nouveau tournant politique en Europe, important par rapport au vieux partage entre la gauche et la droite. Les partis se divisent et il s’en forme d’autres. Il s’ouvre des fronts que l’on n’a jamais vus.D’un coté, c’est la tendance de Merkron, et de l’autre, celle d’Orbvini.

Au-delà des différences de positions qui existent entre Merkel et Macron telles que la Zone Euro, ensemble ils promeuvent des solutions libérales, européennes, fondées sur la coopération internationale. D’où « Merkron ». Pour certaines autres différences, à l’inverse, le leader hongrois Orban et le populiste Salvini invoquent des solutions nationales illibérales. D’où « Orbvini ». Le premier ministre espagnol Sanchez et le Président du Conseil Européen Tusk appartiennent à la tendance Merkron, tandis que la CSU bavaroise, le Chancelier autrichien Kurz, le Parti Droit et Justice (Pis) de Kaczinski en Pologne et quelques fauteurs de Brexit appartiennent à la tendance d’Orbvini.

Angela Merkel et Emmanuel Macron (DR)

Ce sera la lutte entre le Merkronisme et l’Orbvinisme qui marquera la politique du Continent au cours des prochaines années. Tandis que les politiciens s’échauffent les muscles en vue des élections européennes de 2019, le Parti Populaire Européen s’accroche désespérément à Fidesz, le parti d’Orban, et initie des approches furtives auprès du Pis, dans la peur que la tendance Orbvini donne naissance à une nouvelle alliance concurrente. Mettant en avant son parti, la Ligue, Salvini menace avec son « Union Européenne des Ligues ». Depuis très longtemps, ne s’étaient pas profilées des élections européennes aussi imprévisibles. Toutes les fractures internes à l’Union Européenne se sont regroupées le long de l’axe Merkron-Orbvini. Les divergences autour de la Zone Euro et du futur budget européen, par exemple, obéissent à des critères plus nationaux que politiques. Dans le cas du Brexit, nous en sommes à 27 contre 1. Mais, pour l’instant, l’avantage est à l’équipe Orbvini. L’équipe Merkron se montre fatiguée et fermée en défense, tout comme les équipes allemande et espagnole au Mondial, qui jouent selon les schémas traditionnels sans réussir à marquer. Le propre futur de Merkel est incertain et Kurz est un joueur de milieu de terrain décisif, qui joue actuellement pour Orbvini.

Le thème de l’immigration, autour duquel la tendance Orbvini appelle à rassembler les siens, a une valeur aussi bien réelle que symbolique. A la suite de la « magnifique erreur » de Merkel (ainsi l’a définie le chanteur dissident Wolf Biermann), de très nombreux réfugiés sont entrés en Allemagne à partir de 2015. Depuis le rattachement à l’Europe en 2004, sont arrivés en Angleterre plus de 2 millions d’est-européens et les problèmes concrets liés au logement, à l’emploi, à l’aide médicale et à l’école ont contribué au vote en faveur du Brexit. L’Italie, l’Espagne et la Grèce ont réellement souffert, avec une très faible aide de la part de leurs partenaires nord-européens, des vastes flux de réfugiés ou de personnes qui risquaient de se noyer dans la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais l’immigration est également un thème symbolique qui attire des intérêts identitaires et culturels, tout comme la limaille de fer est attirée par un aimant. Il est juste d’observer que les niveaux d’immigration incontrolée en Europe depuis 2015 ont drastiquement diminués, mais cela n’enlève rien aux personnes qui ont le sentiment que leurs pays ont changés. Selon un sondage conduit dans toute l’Europe par la Fondation Bertelsmann, en 2017, 50% des sujets se trouvaient en accord avec cette affirmation « Dans notre pays, il y a tellement d’étrangers que parfois je me sens étranger moi-même ». En Italie, cette affirmation a reçu l’accord de 71% des sondés.

Dangerfield soutenait que le déclin des libéraux dans l’Angleterre du début du XX° siècle était du à leur incapacité à réagir face à de nouvelles forces de grande portée, telles le mouvement pour le suffrage des femmes, le mouvement ouvrier et le nationalisme irlandais. A un siècle de distance, la crise de l’Europe libérale provient de forces qui sont créées par le libéralisme lui-même. Le marché libre, l’européisation et la globalisation ont produit un changement rapide. Trop de personnes ne l’ont pas perçu comme positif. Exploitant ce mécontentement, les populistes racontent une histoire simpliste selon laquelle, en reprenant le contrôle des frontières, on retournera à une époque dorée. Dans le même temps, la révolution digitale implique qu’il y aura des changements et des situations d’insécurité encore plus dévastateurs, surtout dans le monde du travail.

La contre-offensive libérale en Europe se trouve confrontée à une série de défis qui font peur. Il sera déjà problématique de trouver des réponses rationnelles aux problèmes d’inégalité et d’insécurité. A cette fin, il sera nécessaire de recourir à des politiques radicales, comme un revenu universel ou la protection de base de l’emploi. Mais nous sommes seulement au début de l’élaboration de ces réponses. D’autre part, l’Europe doit apporter une réponse aux besoins émotifs profonds d’identité et de communauté qu’ont exploités les populistes. Il est évident que le Championnat du Monde de Football, comme l’identité nationale, continuent d’être un fonds incomparable de passion et de sens de l’appartenance. C’est une illusion de penser que dans un futur prévisible, une quelconque identité transnationale ou supranationale règlera la confrontation. Donc, en faisant tout le possible pour renforcer l’identité commune, européenne et globale, on ne peut pas laisser dans les mains des nationalistes la référence émotive à la nation. Il faut un patriotisme positif et civique, comme celui que Macron promeut en France, en complément de l’européisme. Puis, il faut insérer le tout dans un programme électoral et avoir un parti qui gagne les élections avec ce programme. Mais, des partis comme cela, nous n’en avons pas beaucoup. Macron, avec son mouvement, est l’exception qui confirme la règle. Partout, les libéraux ont eu le pire dans la confrontation avec les tendances les plus illibérales des partis de centre-droit et de centre-gauche. Ou bien, les partis de centre-droit ont maintenu leur pouvoir en faisant des concessions aux proches les plus illibéraux de leurs partenaires de coalition, comme cela s’est produit avec succès en Autriche et en Hollande.

Probablement, la situation va aller en s’aggravant, avant de s’améliorer, avec davantage de parties gagnées par Orbvini et perdues par Merkron. Je ne crois pas que nous assistons à la Mort Etrange de l’Europe Libérale, mais préparons-nous: la guérison sera longue et difficile.

Timothy Garton Ash, professeur d’études européennes à l’Université d’Oxford. www.timothygartonash.com

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Divers

Marseille: dix petites choses que je connais d’elle

Marseille est une ville bien méconnue, qui jouit d’une réputation bizarre, surfaite et largement erronée, qui en donne une image assez singulière.
Sans que l’inventaire qui va suivre soit exhaustif, voilà au moins dix pistes à suivre pour découvrir la ville tout autrement.

1- Où dormir ?
Les hôtels n’y sont pas très nombreux, mais le 11° Arrondissement de Marseille n’est plus … à Marseille. Des «villages» s’y côtoient: de vrais villages où le silence se fait lorsque tous les habitants sont rentrés chez eux. Parmi eux, celui de la Treille et celui, «historique», des Camoins, situés à l’extrémité est de la commune. Ces deux villages sont restés fidèles à l’imagerie de Pagnol: c’est ici qu’il est inhumé avec toute sa famille et que de nombreuses scènes de ses films y ont été tournées.

Marseille-La Treille-Camoins
Marseille-La Treille-Camoins

2- Le Vieux Port.
D’un seul coup, d’un seul, nous allons visiter le Vieux Port, son marché aux poissons tous les matins, son ferry-boat électrique (le ferry-boâte), son ombrière signée par Norman Foster, sorte de miroir ultra-mince de plus de 1000 m², et sa gare du Petit Train de Marseille.

Marseille-Le marché aux poissons
Marseille-Le Vieux Port et son ombrière

3-Le Fort Saint-Jean et le MUCEM.
Le quartier est riche en découvertes que l’on peut enchaîner les unes aux autres. A l’extrémité du Quai du Port, rive nord du Vieux Port, se trouve le Fort Saint-Jean. Avant que d’y pénétrer, il faut en faire le tour par une promenade magnifiquement aménagée en bordure d’eau. L’entrée du Fort permet d’accéder à quelques salles d’exposition et à un jardin botanique méditerranéen, lequel ouvre l’accès à un chemin de ronde. Une passerelle de béton signée de l’architecte Rudy Ricciotti, suspendue au-dessus du vide, permet d’atteindre le bâtiment du MUCEM, ceint d’une résille de béton photogénique en diable en plus d’être un exploit architectural.
Après une visite approfondie des expos permanentes et temporaires, sortez donc par le rez-de-chaussée et allez visiter la Cathédrale de la Major. Ou, en d’autres termes, Cathédrale Saint-Marie Majeure ! Cette cathédrale de pierre en lits alternés verts et blancs, édifiée au XIX° siècle, est offerte sur une vaste esplanade minérale et chaude.
Retour au MUCEM (le billet est valable la journée), retour sur le toit-terrasse, emprunt de la grande passerelle afin de rejoindre le Fort Saint-Jean et traversée par la petite passerelle de béton fibré afin de rejoindre l’église Saint-Laurent.

Marseille-Fort Saint-Jean
Marseille-Fort Saint-Jean et MUCEM
Marseille-MUCEM
Marseille-MUCEM


4-Le quartier du Panier.
L’église Saint-Laurent, église paroissiale du quartier, est la seule église médiévale qui nous soit parvenue. Le Panier est resté un quartier populaire, avec ses ruelles étroites et taguées et ses escaliers. Le tourisme y a pris sa part et la place de Lenche est devenue une grande terrasse, cependant le charme du quartier est toujours perceptible. Retour sur le Port par la Maison Diamantée (fin du XVI°) et l’Hôtel de Ville, édifice baroque du XVII°.

Marseille-Quartier du Panier
Marseille-La Maison Diamantée
Marseille-Hôtel de Ville
Marseille-Hôtel de Ville-Inscription

5- Madrague de Montredon.
Nous sommes à l’extrémité sud-ouest de la commune, aux portes du Parc des Calanques. Loin de la ville.Et toujours à Marseille ! Pour y parvenir, il faut prendre la route côtière au Pharo, passer le Vallon des Auffes, l’anse de Malmousque d’où l’on a un beau point de vue sur les Iles du Frioul et le Chateau d’If, la Pointe du Roucas Blanc, la plage du Prado, et continuer sans s’inquiéter des panneaux qui vous indiquent que «le retour est difficile» !?
Montredon est un petit village de pêcheurs, son port compte moins de cent anneaux et lorsque le soleil se couche sur la Méditerranée, il fait bon manger quelque poisson en terrasse. Il est interdit de plonger ou de se baigner dans le petit port, bien qu’il soit tagué sur le panneau « on est chez nous, on fait ce qu’on veut ».

Marseille-Madrague de Montredon
Marseille-Madrague de Montredon

6- Friche Belle de Mai.
Il s’agit d’une ancienne manufacture des tabacs, la plus importante de France en 1960. Puis vient le déclin de la fabrication du tabac en France et les bâtiments sont fermés en 1990. Outre les Archives Municipales et la Conservation du Patrimoine, les bâtiments accueillent une soixantaine de structures et d’associations culturelles de toutes sortes, des restaurants, une halte-garderie, un skate-park, un jardin d’enfants, … La Friche Belle de Mai est un lieu de rencontre et de création qu’il faut découvrir. Sous des allures d’espace alternatif, il s’agit bel et bien d’une coopérative d’actions culturelles, bien organisée et bien efficace. En témoignent les affiches des spectacles et manifestations organisés très régulièrement dans ces lieux.

Marseille-Friche Belle de Mai-Jeux d’enfants
Marseille-Friche Belle de Mai
Marseille-Friche Belle de Mai-Graff
Marseille-Friche Belle de Mai-Skate Park

7- Le Palais Longchamp.
Quelques pas, la voie ferrée et quelques minutes séparent ces deux mondes que sont la Belle de Mai et le Palais Longchamp. Qui n’est pas un palais ! Mais le Château d’eau de la ville de Marseille, flanqué du Musée des Beaux-Arts et du Muséum d’Histoire Naturelle, deux organismes qui ont perdu beaucoup de leur importance au bénéfice d’autres institutions. Reste le Château d’eau ! Une somptueuse réalisation édifiée entre 1862 et 1869, sous la direction de l’architecte Henry Espérandieu, afin de recueillir les eaux de la Durance, détournée, pour que Marseille cesse d’être condamnée à la sécheresse. Deux portails ouvrent sur deux allées qui entourent bassins et escaliers d’eau jusqu’à rejoindre une monumentale colonnade entourant un arc de triomphe. De celui-ci s’échappe le char de la Durance, tiré par quatre taureaux puissants et trois fois plus grands que nature. L’eau coule, gicle, éclabousse, cascade de partout !

Marseille-Palais Longchamp
Marseille-Palais Longchamp
Marseille-Palais Longchamp

8- Notre Dame de la Garde.
Surnommée «La Bonne Mère», cette basilique culmine à plus de 150 mètres au-dessus de Marseille. Tout autour de sa plate-forme, il est loisible de découvrir l’intégralité de la ville en un gigantesque panorama. Son architecte est connu: Henry Espérandieu, celui qui a construit le Palais Longchamp et qui était directeur des travaux d’édification de La Major (architecte Vaudoyer). L’alternance des lits de pierres vertes et blanches en est un signe caractéristique.
Pour atteindre ND de la Garde, rien ne vaut le Petit Train de Marseille qui atteint son but après un long tour du Vieux Port, un passage vers le Pharo, un point de vue sur les Iles du Frioul, puis la longue montée vers la basilique.

Marseille-ND de la Garde

9- La quincaillerie Empereur.
Sans doute la plus vieille quincaillerie de France ! On y trouve de tout ! absolument de tout ! Dans un décor de la première moitié du XIX°, puisqu’elle a été créée en 1827, voici le magasin dans lequel vous pourrez acheter vos outils et accessoires de bricolage, d’électricité tels douilles, ampoules et câbles, vos couteaux et autres objets culinaires, vos savons, vos vêtements, serviettes et torchons, les anciens jeux d’enfants, votre vaisselle, vos bougies, et même les tapettes à souris, les fers à chaussures et les filets presse-citron. La Maison Empereur se trouve au 4 de la rue des Récolettes, dans le 1er arrondissement. N’oubliez pas de lui rendre visite !

Marseille-Quincaillerie Empereur

10- La Cité Radieuse de Le Corbusier.
Il ne s’agit pas d’un immeuble ! Mais d’un ensemble d’habitations regroupées en une sorte de «village vertical» sur pilotis, construit voici près de 70 ans. Dans ce «village», existent 337 appartements de 23 types différents, répartis sur un ou deux étages (duplex), voire trois étages (triplex). Les circulations se font par de très larges couloirs permettant les rencontres et les échanges. Le «village» dispose de sa «rue» commerçante, de son hôtel, de sa librairie, de son école maternelle, de sa crèche et le toit-terrasse est ouvert aux promenades, parcours sportifs et même à la baignade dans une petite piscine. C’est à visiter, ne serait-ce que pour découvrir une utopie architecturale, bien rarement imitée.

Marseille-Cité Radieuse


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Culture numérique

Vrai et faux Klimt, vraie et fausse critique

Dans le cadre de sa chronique culturelle (Le Monde du 2 juin 2018), Michel Guerrin s’est livré à un réquisitoire en règle contre le spectacle numérisé consacré à Klimt par Culturespaces dans les nouveaux Ateliers des Lumières.
Insistant lourdement sur le caractère privé de l’initiative parisienne, l’auteur de la rubrique classe arbitrairement ceux qui fréquentent assidûment les musées parmi ceux qui trouvent nul ce spectacle.

Pour ceux qui ne seraient pas au fait de la chose, la Société Culturespaces présente une forme de diaporama géant constitué de plusieurs milliers d’images projetées par 140 vidéoprojecteurs, sur les murs ainsi qu’au sol. Certes, tous les tableaux de Klimt ne sont pas présentés in extenso, mais d’innombrables détails, des rapprochements, des oppositions d’images, de motifs, dans une succession d’extraits que vous pouvez voir en plusieurs endroits, sans que le déroulé y soit strictement identique. Le procédé s’appelle une exposition numérique immersive.

Et c’est cela que condamne Michel Guerrin: le fait que, dans le projet Klimt, le produit fini offert au spectateur ne soit pas quelques œuvres originales de l’artiste, mais le traitement informatique, numérique d’une grande partie de tout l’œuvre peint de celui-ci.
Autant, il serait acceptable que des sites internet constituent une encyclopédie de milliers de tableaux exposés de par le monde,
autant il serait acceptable que des scolaires, savamment guidés, puissent découvrir les grands peintres de nos musées nationaux au travers de sites éducatifs,
autant la conception numérique d’artistes qui jouent du pixel comme d’autres du pinceau pourrait prétendre à la reconnaissance de création,
mais là, non, c’en est trop !

Ce que voit le public, plongé dans le noir, pendant 40 minutes, ce sont des formes, des couleurs, des détails, mais quasiment jamais (dit-il !) le tableau dans sa singularité. Il n’y a pas de médiateur, pas de texte, pas de voix off.

Au cours de sa pérégrination de chroniqueur, l’auteur nous signale que ce programme est repris de l‘expérience des Carrières de Lumière, un site clos (et non à ciel ouvert, c’est une carrière souterraine !) où ont été projetés depuis 2012 Gauguin et Van Gogh, Monnet et Renoir, Klimt, Michel Ange et Léonard de Vinci, Chagall, Bosch et Brueghel, et Picasso cette année. Sous le nom de Cathédrale d’Images, et avec un autre exploitant, le même site existait depuis 1976, soit depuis plus de quarante ans ! Qu’il en a fallu du temps à notre chroniqueur pour découvrir les évolutions en matière de diffusion culturelle ! Sachez que Cathédrale d’Images a présenté Picasso en 2009 à 250000 visiteurs. Et que les Carrières de Lumière ont reçu 600000 visiteurs en 2017.

Mais l’essentiel du discours de Michel Guerrin vise, d’une part, à dénoncer la dématérialisation de l’œuvre et, d’autre part, à s’interroger sur la question de savoir si ces pratiques numériques vont entraîner davantage de visiteurs vers les musées, afin de découvrir l’original. Ce en quoi il ne croit pas, « au point de se demander si un peintre virtuel n’éloigne pas plus le spectateur du musée qu’il ne l’en rapproche ».

Afin d’étayer sa thèse, l’auteur compare le prix d’entrée au spectacle des Ateliers de Lumière, au tarif d’entrée du Musée du Louvre (gratuit pour les moins de 25 ans). Est-ce là une remarque empreinte de sincérité, lorsque l’on sait que les œuvres majeures de Klimt se trouvent surtout à Vienne (Autriche), puis à Zurich (Suisse), Munich (Allemagne), Venise (Italie), New-York (USA), Ottawa (Canada) ou Prague (République Tchèque), … à l’exception de «Rosiers sous les arbres», peint en 1905, qui se trouve au Musée d’Orsay ?

Rosiers sous les arbres-Musée d’Orsay-Klimt (C)

Faute de l’ « émotion diffuse et lente » qu’un tour du monde des tableaux de Klimt serait censé nous procurer, force est de se plaire à découvrir le monde de cet artiste avec les moyens modernes et renouvelés que nous procure l’informatique. Et tant pis pour le parisianisme attardé des critiques…

Le baiser, de Klimt, tel que vu aux Ateliers de Lumière (C)

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Ecologie

Où va-t-on atterrir ?

La décision de mettre un terme au projet d’aéroport à Notre Dame des Landes a été accueillie par les français comme une bonne décision, et ceci pour quasiment trois sur quatre d’entre eux . Il est évident que cette décision a le grand mérite de solder une « affaire » s’éternisant depuis trop longtemps. Le risque d’un affrontement lourd et durable est ainsi écarté. Et Nicolas Hulot peut se maintenir à l’environnement, ce qui n’est pas un mince bénéfice pour le gouvernement.
L’approbation des français s’assimile bien davantage à un « ouf » de soulagement, empreint d’un peu de lâcheté, qu’à un réel assentiment politique. Ce dossier n’a que trop duré, tel est leitmotiv de tous. Et le report au printemps d’éventuelles opérations d’évacuation des lieux contribue à cette satisfaction générale.
Nous sommes cependant en droit de nous interroger sur l’aspect politique de cette décision, et de la considérer comme un échec de la démocratie. D’aucuns sont allés jusqu’à parler de déni de démocratie. Sans aller aussi loin, il est nécessaire de rappeler que ce dossier de l’aéroport de Notre Dame des Landes est vieux de plus de cinquante ans puisqu’il date de … 1967 ! La ZAD (Zone d’Aménagement Différé) est créée en 1974 et les choses s’endorment jusqu’en 2000. En 2009, puis en 2012, les opposants s’organisent et une opération d’expulsion des contestataires cristallise les mécontentements: les zadistes tiennent les lieux !

Sous une forme ou sous une autre, des dizaines et des dizaines de recours en justice sont rejetés par les tribunaux. En 2012, une Commission du Dialogue conclut à l’utilité du projet. En 2016, un référendum imaginé par François Hollande se traduit par plus de 55% d’avis favorables pour l’aéroport. Dans sa campagne électorale, Emmanuel Macron s’engage à réaliser ce projet. Rien n’y fait, l’occupation des lieux empêche toute évolution du dossier.
Les zadistes ont-ils gagné quelque chose pour autant ? Malgré leurs proclamations de victoire, rien n’est moins certain. Certes, l’aéroport ne se fera pas. Certes, les terres retourneront à leur usage agricole. Mais l’aéroport historique de Nantes sera agrandi, multipliant les nuisances au plus proche de la ville. Et la dénonciation idéologique des « projets inutiles », qui fait leur fond de commerce, s’éteint avec le renoncement à poursuivre ce dossier. Cela est tellement vrai que les revendications qui s’élèvent actuellement ne portent que sur la possibilité de certains à pouvoir rester sur place et poursuivre une expérience de retour à la terre.

L’expérience du Larzac est mise à contribution, alors qu’une différence manifeste existe avec la situation de Notre Dame des Landes. Au Larzac, au cours des années 1970-1980, ce sont plusieurs dizaines d’agriculteurs qui ont été menacés d’expulsion afin de permettre la création d’un espace d’entraînement de l’armée. Ces agriculteurs sont d’authentiques « anciens » du pays ainsi que des néo-ruraux qui, dans la suite de l’esprit de mai 68, se sont implantés et ont réhabilités des exploitations en ruines. Une réelle économie pastorale existe en 1970 sur le Larzac : élevage de brebis (plus de 100000 !), production de lait (pour le roquefort) et de fromages. Le ministère des Armées s’était lourdement trompé en déclarant ce pays quasiment vide ! 43 ans plus tard, en 2013, il y a 54 baux signés avec la Société Civile d’Exploitation des Terres du Larzac et plus d’une vingtaine d’exploitation ont leur siège social sur les terres du Larzac.

Il n’y a rien de tel à Notre Dame des Landes ! Si l’on excepte les exploitants agricoles qui n’ont jamais cessé d’utiliser des terres dont ils ont été expropriés et qu’ils vont recouvrir, rares sont les « zadistes » présents sur le site a avoir développé une activité économique, aussi modeste soit-elle, on trouve deux, voire trois, boulangeries, quelques serres potagères, une salle de concert et une bibliothèque, deux structures liées à l’occupation des lieux …. La revendication de pouvoir rester sur place vise à permettre à certains de poursuivre leur rêve d’autarcie, de refus de la société, de décroissance et de rejet d’un fonctionnement démocratique. Ils ne disposent pas de baux, ne payent aucun loyer, ni aucun impôt, ne sont raccordés à aucun réseau d’eau, d’hygiène …

Boulangers à Notre Dame des Landes (C)Loïc Venance/AFP

Autant ce choix de vie est peut-être respectable, autant il ne saurait servir de modèle à notre société. Dans leur grande majorité, les « zadistes » sont des jeunes exclus de la société, qui se sont exclus ou qui se sentent exclus de celle-ci. Il est important de comprendre pourquoi est ressentie si vivement cette exclusion qui n’est pas toujours économique, mais qui est parfois largement politique et idéologique, puisqu’il s’agit de l’un des concepts de base de l’écologie radicale. Vivre en autosuffisance est considéré comme une forme de résistance au gouvernement ou à tous les pouvoirs, en mettant en œuvre un fonctionnement collectif limité à de petits groupes, et en nommant ceci « démocratie » !

Dans « Le Monde » daté du 20 janvier est décrite la situation d’une « famille de trois personnes, les parents et une petite fille, vivant dans un village de 1000 habitants. Ils vivent dans une yourte de 30 m², sans électricité, sans eau courante, avec 1400 € par mois, soit sous le seuil officiel de pauvreté. Insérés dans un groupe d’une cinquantaine d’alternatifs, ils font leur potager et vivent de peu. Ils estiment « vivre bien ». La vie communautaire leur permet d’accéder gratuitement aux ressources communes et d’autofabriquer l’alimentation, l’habitat, l’énergie. Leur modèle est celui d’une polyactivité vivrière (boulangers-paysans), avec vente du surplus ». Ils ne sont donc pas totalement en dehors de la société marchande, mais ne participent que marginalement à l’économie.

Est-ce la société de décroissance que nous désirons ? Est-ce ainsi que les hommes doivent vivre ?
Est-ce une orientation que l’Etat peut (et doit) accepter, voire prendre en considération ?
Dans ce comportement de repli sur soi, de rejet de la société dite de consommation, il y a une radicalisation qui n’a rien de commun avec ce qui s’est passé voici cinquante ans sur le Larzac, ni rien de commun avec ce que vivent aujourd’hui les exploitants du Larzac.
Alors, que faire si l’on désire mettre un terme à ce genre de situations ou, à défaut, éviter qu’elles se reproduisent ?

  • La première des urgences consiste à réviser les procédures qui accompagnent la mise en route de projets d’équipement et de développement des territoires. Notamment en favorisant le débat systématique, en déployant des process de publicité et de communication. Les décisions municipales, départementales, régionales, de l’Etat, ne sont pas suffisamment commentées et débattues.
    Est-il normal que des projets s’étirent pendant cinquante ans, ou même quinze ou vingt ans. Le dossier d’un projet d’équipement devrait être limité dans le temps. Si rien n’est engagé au bout de x années, le dossier devrait être caduc et totalement reconsidéré. Cela permettrait de prendre en compte les évolutions technologiques, environnementales, démographiques, économiques, d’emploi, … Il ne s’agit pas d’engager un dossier par la mise en place de barrières de chantier ou la pose d’une première pierre. Non, il s’agit que la réalisation du projet soit fermement initiée.
  • Est-il normal que les projets de fermes éoliennes ne se réalisent (quand ils se réalisent!) que plus de cinq ans après la dépose du dossier ? Est-il normal que les types d’éoliennes envisagés voici cinq ans doivent impérativement être mis en œuvre, alors que la technologie a fait pendant ces cinq années de considérables progrès en matière de rendement et de silence ?
  • De la même manière, les recours devraient être contraints dans le temps et dans leur nombre. Sitôt la publication d’un projet, une période de recours devrait s’ouvrir, période limitée dans le temps. L’invitation faite à la justice de traiter les recours dans un délai raisonnable semble indispensable. Il n’est pas possible de considérer un dossier caduc après une latence de x années si, par ailleurs, les recours peuvent être déposés les uns après les autres, sans limite de délai : recours concernant l’eau, concernant l’halieutique, les tritons à pattes palmées, les petites fleurs, etc, etc … dans le seul but de retarder indéfiniment la réalisation du projet.

    Les choses ne sont certes pas blanches ou noires. Chaque citoyen doit pouvoir trouver son cadre de vie et son équilibre. Au-delà de la question de Notre Dame des Landes et des diverses ZAD que comprend notre pays, se pose une réelle question sociétale. Peux-t-on vivre durablement sur les marges de notre économie ? Peux-t-on vivre avec le RSA pour seul revenu assuré ? Au-delà de cette dernière question, c’est la théorie du revenu universel qui est interrogée.