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Qui sont les Gilets Jaunes. Deuxième partie

Fin du monde contre fin du mois.

Mi-novembre, alors que débutait la contestation des « gilets jaunes », Le Monde a publié sur une double page rouge et strictement illisible, précédée d’un titre de 10 cm sur trois colonnes en première page, un inventaire de toutes les catastrophes qui attendaient l’humanité. Une interview d’un spécialiste australien soulignait le fait que nous sommes tous, peu ou prou, climatosceptiques.

A cette date, 75 % des français déclaraient indispensables d’agir pour l’écologie et l’environnement, tandis que 75 % des français accordaient leur compréhension à un mouvement naissant, largement centré sur la voiture, le coût du gazole ou celui du contrôle technique, au point que les militants se distinguaient par le port du gilet jaune et que leurs points de rendez-vous se situaient sur les rond-points et à proximité des super-marchés.
Cela nous fait-il 50 % des français qui sont schizophrènes, qui veulent bien parler écologie, mais à la condition que cela ne leur coûte rien et que cela ne change rien à leurs habitudes ?

Cette dichotomie s’est amplifiée encore lors du décompte des signataires respectifs des pétitions en faveur du mouvement de contestation ou en faveur de l’action en justice introduite par des associations écologistes. Les seconds arrivant à faire mieux que les premiers.

Quoi que puissent en dire les quelques dizaines de militants EELV qui ont recherché une convergence entre les deux mouvements au début du mois de décembre, celle-ci est strictement impossible et inimaginable. Pour deux raisons. La première est celle du désintérêt réel de la majorité des manifestants jaunes pour les questions écologiques. Les motifs et les caractéristiques de leurs manifestations en témoignent, les listes de leurs revendications classées par ordre de priorité également. Ils ont demandé la suppression de la taxation écologique sur les carburants et non son remplacement par un autre prélèvement sur une autre couche de la population. La seconde raison est propre aux écolos particulièrement divisés sur cette question, les uns demeurant en faveur d’une fiscalité écologique et les autres favorables à une décroissance voulue. D’un coté comme de l‘autre, rien pour séduire les « gilets jaunes », sans compter une forte méfiance à l’égard des idées d’extrême-droite.

Contre l’impôt.


« Supprimez les taxes ». « Arrêtez de nous taxer comme des porcs ». « Rendez-nous l’argent des taxes ». Voilà quelles étaient les slogans en première période. Tout cela au motif initial que le carburant avait augmenté beaucoup trop vite et beaucoup trop fort. Un argumentaire vite oublié face à la baisse du prix à la pompe des essences.

Quoi qu’il en soit, la question fiscale est au cœur des débats des rond-points. Et ceci avec un tel évident simplisme qu’il est bien difficile d’argumenter. Faut-il rappeler que la France est certes le pays européen où la pression fiscale est la plus forte ? 48,4 % du PIB, alors que la moyenne européenne se situe à 40,2 % (Grande Bretagne incluse) et que la moyenne de la zone euro se situe à 41,4 % (Le Point-29/11/2018) ? A l’inverse, faut-il rappeler que la France est également championne d’Europe en matière de redistribution (oui, une partie des impôts est faite pour être redistribuée!) ? 24 % des impôts et taxes sont consacrés à la protection sociale, contre 15,7 % seulement pour l’Allemagne. A ce stade, faut-il rappeler que toute baisse de la pression fiscale devra nécessairement être compensée par une baisse de la redistribution (ce que Macron appelle le « pognon de dingue »!) ? Ou par une hausse des prélèvements auprès des plus riches répondront les « gilets jaunes » en invoquant le cas de l’ISF ; Or, l’ISF n’a jamais été supprimé, mais concentré sur la propriété immobilière. Quant à son efficacité, il est un peu tôt pour en juger et le gouvernement a promis que cela serait fait.

Dénoncer l’impôt, dénoncer les taxes, dénoncer la pression fiscale sans aucune proposition annexe, cela relève de l’agitation et ne peut tenir lieu de position politique.

Un dernier point reste à souligner. Parmi les « Gilets jaunes » nombreux à se plaindre de ne pas terminer le mois, combien sont-ils à payer l’impôt direct ? Pour information, seulement 42,4 % des foyers fiscaux paient un impôt, c’est à dire beaucoup moins que la simple moitié des ménages.

Contre la représentation « démocratique ».

Nous ne nous attarderons pas sur le rejet violent des élus et des membres du Gouvernement. Mais nous parlerons de ce RIC dont l’idée n’a pas jaillie spontanément de l’esprit des « gilets jaunes ». Tout comme la notion de « coup d’Etat » évoquée dans la première partie, cette idée vient de loin et a été instillée dans les propos des pages Facebook. Et si nous avons placé « démocratique » entre guillemets, c’est bien pour signifier que nous ne faisons pas du système représentatif actuel le nec plus ultra de la démocratie. Nous sommes tout à fait convaincus, par exemple, que les élus peuvent être soumis (et céder) à des pressions diverses en provenance de tous horizons ou secteurs économiques et politiques. Mais nous ne pensons pas que des représentants tirés au sort échapperaient à ce risque. Par ailleurs, leur nombre toujours réduit ne sauraient en faire des représentants du peuple qui ne les aurait pas désignés.

Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) repose sur une idée défendu par l’un des artisans du projet ci-dessus : Etienne Chouard. Cet Etienne Chouard est actuellement l’un des penseurs qui irrigue le plus les échanges des « gilets jaunes ». Drôle de personnage, aux confins de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite (il est celui que n’aime pas trop Clémentine Autain!), fréquentant Thierry Meyssan ou Alain Soral « celui qui a tiré le front National à gauche » (!!). Favorable au retrait de la France de l’Europe, entre autres afin de reprendre la maîtrise de la monnaie, il défend avec acharnement le RIC qu’il a présenté le 8 décembre dernier lors d’un entretien de plusieurs heures sur le site de Fly Rider (Maxime Nicolle), l’un des porte-paroles des « gilets jaunes ». Il doute de la nature des auteurs, voire de la réalité des attentats du 11 septembre (il n’est pas seul ; c’est également le cas des pipoles Marion Cotillard et Juliette Binoche!). Tout récemment, il vient de traiter Emmanuel Macron de « gredin, voleur, criminel ». Qu’en termes choisis les choses sont dites !
Le RIC prétend s’inspirer du référendum suisse : les fameuses votations. Cependant, à l’écoute d’Etienne Chouard, il est permis de douter de cette filiation.
Tout d’abord, il existe une différence énorme entre la France et la Suisse: celle de la tolérance et du consensus qui rythment la vie politique en Suisse.
Etienne Chouard voit le RIC comme étant législatif (définir une loi), abrogatif (annuler une loi), constituant (modifiant la constitution) et révocatoire (destituant un élu). De plus, il devrait permettre de se prononcer sur les traités internationaux.

En suisse, le référendum, inscrit dans la Constitution depuis 1848, est utilisé pour recueillir l’avis des citoyens sur une proposition de modification de la Constitution soumise par le Parlement, pour accepter ou rejeter une proposition de modification constitutive soumise par 100000 citoyens, ou lorsque 50000 signatures sollicitent l’abrogation d’une loi. En aucun cas, un référendum n’est révocatoire ! En aucun cas, les citoyens ne peuvent proposer une nouvelle loi ! La collecte des signatures s’effectue en 100 ou 180 jours et nécessite donc une mise en œuvre que seules des structures politiques solides sont à même de réaliser. Toutes ces signatures sont validées et le Parlement se prononce sur la validité de la proposition et se réserve éventuellement la possibilité de rédiger une contre-proposition.

Pour exemple, le prochain référendum suisse (10 février 2019) portera sur la thématique suivante: « Initiative populaire du 21 octobre 2016 Stopper le mitage – pour un développement durable du milieu bâti (initiative contre le mitage) » . On notera avec intérêt que le principe de cette initiative populaire a été arrêté le …21 octobre 2016, soit voici 28 mois !

Les propositions actuelles des « gilets jaunes » vont infiniment plus loin puisqu’elles envisagent la révocation des élus, l’acceptation ou le rejet de traités internationaux, le rejet de certaines lois, … C’est ainsi que peine de mort, droit à l’avortement, droit au mariage pour tous pourraient en être les sujets … et les victimes. Une question importante se pose également ; celle de la méthode de recueil des signatures. Les réseaux sociaux ne sauraient en être le lieu, au risque de créer une Facebookratie !

(La première version de ce texte a été rédigée le 15 janvier 2019.)

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Qui sont les Gilets Jaunes. Première partie

Préambule

Voici que dure depuis plus de deux mois le mouvement de contestation des « gilets jaunes ». Après avoir semblé décroître aux abords des fêtes de fin d’année, le voici qui reprend un peu de vigueur et surtout qui se radicalise de plus en plus et s’oriente vers les actions violentes.

Depuis deux mois, innombrables sont les commentaires, mais rares sont les points de vue qui ne s’appuient pas sur une analyse plus ou moins partisane. C’est ainsi que de nombreux commentaires, dans la presse ou à la télévision, n’ont pas manqué de débuter par des formules définitives du genre « nous voici parvenus au terme du capitalisme, au moment de son effondrement » ou encore « ce que portent les gilets jaunes, c’est la sanction de trente à quarante années de ségrégation sociale » , voire « ce mouvement homogène relève de la lutte des classes » !

Avant que de commencer par des affirmations qu’il nous faudra étayer, nous allons plutôt remonter en arrière et tenter de comprendre ce mouvement. En nous posant successivement les questions suivantes : qui sont-ils ? Qui étaient-ils voici deux mois et qui sont-ils aujourd’hui ? Quels ont été leurs thèmes successifs de revendication ? Hostilité au Président ? Niveau de vie ? Quel rapport avec l’écologie, le fameux dilemme « fin du monde vs fin du mois » ? Leur position à l’égard de la fiscalité, les impôts directs ou indirects ? Leur position quant à la vie démocratique, les élus et le fameux RIC ? Sans oublier quelques pensées tristes comme le racisme, l’antisémitisme ou autres penchants condamnables. Enfin, nous nous interrogerons sur la signification du « nous irons jusqu’au bout, nous ne lâcherons rien », et sur le futur Grand Débat National, avant de tirer quelques conclusions.

Qui sont-ils ?

Qui sont ces « gilets jaunes » ? Ne soyons pas caricatural, ni méprisant à leur égard. Ce ne sont pas vraiment des ruraux, mais des néo-ruraux, des habitants depuis quelques décennies des zones rurales ou péri-urbaines, qui vivent à l’écart des centres économiques et des lieux de décision, qui se sentent abandonnés par les services sociaux et sociétaux, qui s’estiment déclassés, sans avenir clairement identifié pour eux et pour leurs enfants. Peu solidaires, ils se ressentent comme étant sur les marges de la société, n’ont guère de vie culturelle et encore moins associative. S’ils appartiennent à une association, c’est bien souvent à titre de consommateur, pour une activité qu’ils pratiquent ou, surtout, que les enfants pratiquent. En d’autres lieux, d’autres temps, nous les aurions qualifié d’individualistes. La presse souligne parfois les signes de fraternité qui se manifestent sur les rond-points, voire même la rencontre de l’amour ; que n’étaient-ils sortis plus tôt de chez eux pour aller à la rencontre du monde !

Professionnellement, ils sont auto-entrepreneurs, patrons de petites entreprises de transport, de messagerie, exploitants agricoles, patrons d’entreprises de travaux forestiers, maraîchers, aides à domicile, infirmières libérales, aide-soignants, retraités de ces catégories, routiers de petites entreprises, … Ce sont globalement des gens qui sont réfractaires, voire hostiles, à toute hiérarchie salariale et qui préfèrent se lancer dans leur propre auto-entreprise ou vivre dans un métier qui autorise une liberté individuelle non négligeable, comme pour les livreurs ou routiers. Au total, ils ne sont nullement représentatifs d’une classe ouvrière au sens traditionnel.

Economiquement, ils ne vivent pas « en ville », mais sur les marges de celle-ci, mais pas en banlieue. Leur cadre de vie est celui du lotissement périphérique, ou du village situé à quelques kilomètres. La voiture leur est un outil indispensable, sans lequel la scolarité des enfants, les déplacements domicile-travail, les achats au supermarché, ne pourraient se réaliser. Ils ne sont pas clients des magasins ou de boutiques de centre ville, mais du centre commercial le samedi ou le dimanche. Il est extrêmement difficile d’estimer le revenu moyen d’un foyer fiscal de « gilets jaunes ». Il est sans doute assez bas mais proche, voire un peu au-dessus de la moyenne nationale du revenu fiscal par unité de consommation. Il est cependant très loin du revenu identifié dans les quartiers Politique de la Ville (proche de 10 000€/UC). Ce qui rend quelque peu excessive la complainte du « frigo vide dès le 10 du mois » !

Politiquement, ce sont tout d’abord les opposants à Emmanuel Macron, les « battus » des élections présidentielles d’il y a 18 mois, les sympathisants de Marine Le Pen, ceux également de Jean-Luc Mélenchon, mais ce sont, surtout et avant tout, ceux qui se sont abstenus par hostilité à la « politique ». Plus de 85 % d’entre eux n’ont jamais vu l’ombre d’un syndicaliste ou d’une expression syndicale. Pour preuve, ils ne se sont pas reconnus dans le 3° tour des élections que fut la longue grève de la SNCF, portée par les syndicats et certaines forces de gauche. Ce sont également des déçus du nouveau septennat, très probablement des retraités. Tout cela formait, surtout au début du mouvement un rassemblement disparate, absolument pas homogène, bien loin d’être issu de la classe ouvrière et très difficilement assimilable à une forme plus ou moins nouvelle de la lutte des classes, leur adversaire n’étant nullement le patronat (dont beaucoup font partie), mais bien davantage le Gouvernement, les élus, et la fiscalité.

Il est un roman, le récent Goncourt 2018, « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, qui décrit de façon parfaite ce monde naufragé qu’ont tenté de décrire plusieurs sociologues ou urbanistes en soulignant la fracture entre ville et périphérie, l’usage de la voiture obligatoire, la déstructuration commerciale des centres urbains, l’absence de moyens de transports ou de services collectifs. Tout cela est bel et bien vrai, mais faut-il uniquement considérer que cet état de fait est lié aux politiques d’aménagement du territoire ? Ou bien faut-il nuancer en sachant que l’individualisme de ces populations relevait aussi d’un choix de vie, celui de la maison hors de la ville, de son bout de terrain, de sa petite piscine souvent, des deux voitures pour elle et pour lui ? Tout cela s’est effondré avec la crise …

En ce début 2019, la nature sociologique des « gilets jaunes » évolue : les retraités deviennent moins nombreux, tandis que certains « militants » dont nous aurons à reparler prennent le dessus. Il est à constater également que les jeunes, qu’ils soient des banlieues ou des zones périphériques, sont absents du mouvement.

Une virulente opposition à E. Macron

(DR)

Cette analyse sociologique ne suffit pas à expliquer pourquoi et comment quelques appels à la jacquerie, lancé sur Facebook, ont pu rencontrer un tel écho.
La première des revendications consiste à réclamer la démission d’Emmanuel Macron, en le chargeant de tous les maux et en le menaçant textuellement de lui couper la tête comme cela a été fait lors de la Révolution Française. Emmanuel Macron est chargé de bien plus que d’être le « président des riches », il est accusé d’être un monarque. Sans doute y est-il un peu pour quelque chose, au travers de certaines de ses déclarations qui, peut-être maladroites, ont été reprises et déformées par les réseaux sociaux et par la presse qui n’a jamais remis les choses en perspective.

Prenons l’exemple des « fainéants »: ce ne sont pas les français qui ont été taxés de ce qualificatif, mais les prédécesseurs de Macron : Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, … lesquels ont toujours cédé aux pressions de tous ceux qui refusaient le changement.

Prenons l’exemple de « ceux qui ne sont rien »: Macron a utilisé cette expression devant un parterre de start-upeurs, afin de leur faire comprendre que leur réussite d’aujourd’hui ne pouvait durer qu’avec le travail et l’attention, au risque demain de n’être rien, abandonnés qu’ils seront par les lumières et la gloire de la réussite.

Prenons l’exemple du traverser la rue pour trouver un emploi »: sans doute mal exprimée, il s’agit cependant d’une évidence tant le nombre d’emplois non satisfaits est important, et la phrase complète de Macron le précise parfaitement en parlant de restaurateurs à la recherche de personnels.

Tout comme pour le « président des riches », le mépris a été très largement instrumentalisé par les réseaux sociaux et la presse. Pour ne citer que Le Monde, ce quotidien a, pendant des mois, évoqué le nouveau Président dans les articles de Cédric Pietralonga par une périphrase parlant de « l’ancien banquier » !

La « vaisselle de l’Elysée » ou la « piscine » de Brégançon ont également été utilisées comme repoussoirs. Alors que la première n’est qu’une commande de l’État faite à l’État, puisque la Manufacture de Sèvres est une Manufacture d’État, et que la seconde ne dépasse pas la valeur d’une belle piscine en province (34000 €).

Un autre argument pour réclamer la démission d’Emmanuel Macron est soutenu par l’affirmation qu’il s’est coupé de tous les corps intermédiaires. Vrai et faux, lorsque l’on rappelle que les syndicats, à l’exception de la CFDT, se sont rapidement engagés dans un 3° tour social. De leur coté, les élus, conduits par le Président Larcher, se sont mobilisés contre les projets de révision constitutionnelle. Difficile dans ces conditions de jouer son rôle d’intermédiaire !
En fait, il y a beaucoup plus important et plus grave et cela remonte de bien plus loin. Lors de la campagne présidentielle, alors que nous distribuions des tracts pour Macron, nous avions été interpellé par une jeune femme qui avait violemment manifesté son opposition en comparant le candidat à la présidentielle à …. Arturo Ui ! Cette assimilation intellectuelle nous avait interloqué. Cette comparaison s’étant à nouveau produite lors de récents débats à propos des « gilets jaunes », nous avons cherché à en savoir davantage.

« networkpointzero », tel est le nom du blog de gauche radicale qui a publié le 24 mars 2017 un billet intitulé « 2017, le coup d’Etat », dans lequel l’auteur (Piga?) cite nommément Jean-Pierre Jouyet, Hollande, les « Gracques », Pisani-Ferry, Cohn-Bendit et Macron au cœur d’une liste interminable de conspirateurs européistes et atlantistes cherchant à prendre le pouvoir. On y lit cette phrase : « Cette ascension (celle de Macron), pour le moins épique, rappelle étrangement la pièce de théâtre « La Résistible Ascension d’Arturo Ui » de Bertolt Brecht…(à voir ou à lire impérativement). En conclusion de ce texte, Hervé Kempf (Reporterre) déclare « les classes dirigeantes nous font entrer dans un régime oligarchique, où un groupe de personnes contrôlant les pouvoirs politique, économique et médiatique, délibèrent entre eux puis imposent leurs choix à la société. Or l’oligarchie actuelle cherche avant tout à maintenir sa position privilégiée. A cette fin, elle maintient obstinément le système de valeurs organisé autour de la croissance matérielle et de la surconsommation – un système qui accélère notre entrée dans la crise écologique. L’heure du choix de société a sonné … ». Ce post de blog a été largement repris par de nombreux autres sites de l’ultra-gauche ainsi que … de la droite extrême ! Il se retrouve également sur la page Facebook de Eric Drouet.

(La première version de ce texte a été rédigée le 15 janvier 2019.)

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Ecologie

Le plus grand défi de l’humanité: deux cents et quelques mots pour ne rien dire

« Chante comme si tu devais mourir demain, comme si plus rien n’avait d’importance, comme si c’était ta dernière chance, … » (citation libre)
(interprétée par Michel Fugain, avec des paroles de Pierre Delanoé et Shuji Katou)

« Si on devait mourir demain, toi, qu’est-ce que tu ferais ? Prendre l’avion, t’enfermer chez toi les yeux fermés, faire l’amour une dernière fois, boire et faire la fête, t’en fiche et te donner du plaisir, prier ou partir avant, … » (citation libre) (interprétée par Pascal Obispo, avec des paroles de Lionel Florence et Pascal Obispo)

Ils sont deux cents à avoir rédigé un texte intitulé « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », près de 180 artistes, chanteurs, cinéastes, acteurs, metteurs en scène, écrivains, chorégraphes, musiciens, accompagnés de 22 scientifiques leur servant de caution, le tout au masculin comme au féminin.
Il fut un temps où les gardiens de la morale, les conseilleurs en matière de bonne conduite et de choix afin de diriger sa vie étaient les prêtres et hommes d’église qui faisaient le prêche dans le but de l’édification des fidèles. Avec la séparation de l’Eglise et de l’État, ces donneurs de sermons ont été progressivement et successivement remplacés par les maîtres d’école, les enseignants, les philosophes, les sociologues, parfois les journalistes, enfin tous ceux et toutes celles (mais surtout tous ceux) qui sont à l’aise avec l’écrit, le discours et le commentaire.
Avec la fin du XX° siècle et avec la prise de conscience des questions environnementales, il a pu sembler un moment que les scientifiques seuls allaient prendre la relève. En 1992, ils étaient près de 1700 à lancer un premier appel alarmiste. 25 ans plus tard, en 2017, ils l’ont renouvelé en étant plus de 15300 à signer un même texte prédisant la fin de l’humanité et l’effondrement de notre civilisation industrielle.
Aujourd’hui, ce sont les femmes et les hommes de la Société du Spectacle qui se mobilisent ! Au nom de quelle expérience, au nom de quel vécu ? Rien, dans leurs métiers, qu’ils soient du domaine du divertissement ou de celui de la culture, ne leur donne mandat pour interpeller collectivement, en tant que réunion des artistes, le gouvernement et « le » politique. Certes, comme toute femme, tout homme, ils ont leur mot à dire. L’expérience Meetoo leur est certainement montée en tête et les voici qui se prennent pour les prédicateurs du XXI° siècle !
Espérons tout de même que leurs jugements soient plus clairvoyants que ceux de Marion Cotillard ou de Juliette Binoche à propos du 11 Septembre !

Le texte des scientifiques de 2017 allait jusqu’à réclamer une régulation de la population mondiale afin de circonvenir l’apocalypse annoncée.
Le texte des « 200 » publié ce 4 septembre 2018, comprend 241 mots, dont deux fois le mot cataclysme et deux fois le mot effondrement, tout en affirmant que les humains et autres espèces vivantes sont en situation critique. D’aucuns nomment cela la pédagogie de la catastrophe !
Or, il est de plus en plus évident que la catastrophe annoncée à grands cris ne mobilise pas grand monde. Soit parce que sa présentation est beaucoup trop caricaturale pour que l’on y croit ou pour que l’on estime pouvoir jouer un rôle pour la retarder. Soit parce que l’on en est convaincu, tellement convaincu qu’il ne reste plus qu’à suivre les conseils de Pascal Obispo et de Michel Fugain : penser à autre chose et chanter … ou prier. Les films catastrophe nous ont longuement représenté ce que sont les réactions des humains lorsqu’on leur apprend leur mort certaine pour dans un moment, pour demain ou dans les semaines ou mois à venir. Ils deviennent des lâches prêts à tout pour sauver leur peau, leurs biens ou alors, ils deviennent des héros ordinaires dévoués à tenter de sauver leur famille, puis leurs voisins, puis …
Plus fondamentalement, comment imaginer que des hommes et des femmes bercés par des siècles de culture leur inculquant le droit à se servir de la planète et de ses ressources, leur répétant « croissez et multipliez-vous, dominez, asservissez le monde, sa nature, ses espèces », comment imaginer que demain ils puissent croire à leur propre brutale disparition et se mobiliser collectivement pour empêcher qu’elle advienne ?
La thèse est tout à la fois irréaliste, absurde et totalitaire.

Dans leur position de prédicateur un tant soit peu orgueilleux, les « 200 » s’adressent « au gouvernement qui ne saurait être pris au sérieux s’il ne fait pas du sauvetage de ce qui peut encore l’être son objectif premier et revendiqué »
Quel gouvernement ? Un gouvernement mondial qui n’existe pas ? Le gouvernement de la France auquel on peut penser par le biais de la référence très actualisée aux lobbies ? Et où sont les artistes qui vont exiger la même chose du gouvernement allemand, du gouvernement italien, du gouvernement de Donald Trump, du gouvernement de la Chine, du gouvernement des pays dits en développement qui emplissent le continent africain ?
Car, quel gouvernement peut se permettre de prendre des positions radicales et « potentiellement impopulaires » s’il est le seul au monde ? Oui, je sais, la mondialisation vous fait horreur. Et pourtant, le monde est mondialisé !
La démission de Nicolas Hulot ne peut même pas vous être utile, en ce sens qu’il a été désigné comme ministre de la transition écologique. Heureux de quelques petits succès, il a été massacré sur l’autel des porteurs de choix radicaux parce qu’il a concédé que le glyphosate ne pouvait pas être interdit du jour au lendemain, ou parce que la réduction de l’empreinte du parc nucléaire ne se ferait pas, non plus, du jour au lendemain. Quant à la pédagogie de la transition, du passage vers autre chose, il est resté bien silencieux. Tout comme la révolution rouge (celle des marxistes de tous poils), la révolution verte ne se fera pas en passant par un GRAND SOIR !

Lorsque le temps leur est libre, entre deux films ou entre deux chansons, entre deux communiqués de presse, entre deux festivals ou deux émissions TV, pourquoi ces bons donneurs de conseils ne s’engageraient-ils pas dans des associations, ou dans leurs communes respectives, afin de travailler (oui, travailler!) à la réduction des déchets de leur quartier ou de leur ville, à la rénovation de leur centre-ville pour en améliorer les performances énergétiques, à réviser leurs déplacements au quotidien (par exemple, en ne prenant l’avion que si nécessaire et les transports en commun un peu plus souvent !), à diminuer la puissance de leurs véhicules, la surface et le nombre de leurs résidences, la dimension de leurs piscines, à mettre à leur table uniquement des produits de saison produits dans un périmètre le plus réduit possible et non de l’autre coté de la planète, à équiper leur logement et à se vêtir avec des articles durables, fabriqués par de vrais salariés et non des enfants,… ? La liste est longue, trop longue, de tout ce qu’ils pourraient faire. Certes, on ne parlerait pas d’eux, car cela n’aurait intérêt médiatique, … sauf celui de l’exemple.

Nous regrettons fortement que ce texte insignifiant ait bénéficié d’une page entière du Monde, page dans laquelle les deux cents signatures occupent davantage d’espace que les 241 mots de la déclaration : c’est là sans doute une nouvelle concession à la Société du Spectacle.
Car si la révolution verte doit se faire, elle ne se fera que par des petits pas quotidiens, résolus et déterminés, nous engageant toutes et tous, dirigeants comme salariés, élus comme citoyens, ici et là-bas à l’autre bout du monde, par la pédagogie de l’exemple, de la persuasion et de la conviction.

Pic de pollution à Paris (C)Wikimedia Commons

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Démocratie

Le populisme: notre culpabilité ?

Il n’y a pas de recette miracle et le chemin sera long à parcourir.
Pour contrer ce phénomène, nous devons commencer par l’autocritique. Et par l’alliance pour le progrès mondial.

Il n’y aura pas d’échappatoire à Salvini, au Brexit ou à Trump tant que nous ne comprendrons pas pourquoi les gens ont voté pour eux. Les préoccupations de l’électorat doivent recevoir une réponse sérieuse et complète.

Dans la lutte contre la vague populiste et autoritaire, il n’y a pas de solution miracle. Ce sera un long chemin qui nous obligera à changer de cap sur l’inégalité, à répondre sincèrement aux préoccupations des électeurs, à reconstruire et renouveler le contrat et le capital social, à actualiser et à sauvegarder les institutions essentielles.

Il ne fait aucun doute que la meilleure façon de commencer ce voyage est d’évaluer nos erreurs et de réfléchir à la façon dont nous devrions changer. Il n’y a rien d’intrinsèquement vertueux dans la pratique politique traditionnelle des dernières décennies, ni dans celle du centre-gauche ni dans celle du centre-droite. Beaucoup d’entre nous n’ont pas été capables de suivre le rythme du temps dans la façon dont nous communiquons, organisons et nous engageons. Quelle que soit l’approche que nous adopterons, nous devrons répondre aux critiques légitimes de l’establishment politique.

En premier lieu, lorsqu’il s’agit de politique, nos plates-formes ne peuvent pas être complètement déconnectées des souhaits des électeurs. Nous devons répondre sérieusement, honnêtement et globalement aux préoccupations des électeurs au sujet de l’immigration, de l’irresponsabilité des puissants intérêts du monde des affaires ou du secteur public et de la révolution technologique en cours. Si nous considérons, par exemple, que des changements importants ont eu lieu dans l’économie mondiale au cours des deux dernières décennies, le moment est peut-être venu d’accepter l’idée que les petits ajustements à la politique économique et à la réforme de l’État providence constituent une réponse inadéquate. Nous ignorons souvent le fait que l’un des thèmes centraux de la campagne Trump était le travail. Que nous soyons ou non en faveur du revenu de citoyenneté -et je ne le suis pas- le moment est venu de penser radicalement à un nouveau programme économique d’inclusion et d’autonomisation. Toutes les idées, y compris la garantie du droit au travail ou à l’emploi, devraient être un élément positif dans ce débat.

De même, les préoccupations relatives à l’immigration, à l’intégration et à la sécurité ont radicalement transformé la politique dans tout le monde occidental – elles ont sans aucun doute été au cœur du vote Brexit en Grande-Bretagne et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Nous pouvons être en désaccord avec la plupart des électeurs sur le sujet de l’immigration et déplorer la manière dont le sujet a été déformé par les extrémistes et la presse à scandale -Je suis certainement dans cette position. Il est cependant impossible d’ignorer cela, et encore moins de s’attendre à ce que l’opinion publique soit indifférente à cet égard. J’irais même jusqu’à dire que c’est la principale ligne de démarcation des élections occidentales d’aujourd’hui. Je reste d’avis qu’une politique migratoire progressiste et maîtrisée peut être proposée. Mais ce faisant, nous devons partir de l’orientation réelle des gens, et non de ce que nous aimerions qu’ils pensent, et montrer que nous avons le contrôle de la situation et que nous avons un plan. En ce moment, les électeurs se sentent trahis par notre position et notre rhétorique. Même Emmanuel Macron, peut-être le plus éloquent partisan d’une société ouverte dans le paysage politique européen d’aujourd’hui, a donné un tour de vis aux lois françaises en matière d’immigration et d’asile.

Deuxièmement, nous devons réformer notre politique. Pour commencer, nous devons cesser d’être condescendants et paternalistes. Un aspect culturel de cette politique est la perception que les élites au pouvoir sont trop hâtives dans le rejet ou l’étiquetage de certains électeurs. Aux États-Unis, les commentaires notoires de l’ancien président Barack Obama sur les gens qui « s’accrochent aux armes ou à la religion » ont contribué à faire croire que la société est divisée entre une élite condescendante et des gens ordinaires, comme le prétendent les populistes. Les arguments selon lesquels certains aspects de l’intégration et de l’assimilation ne vont pas bien dans certaines sociétés occidentales -ou que le changement social et économique est trop rapide- ne devraient pas automatiquement être qualifiés de racistes, de sectaires ou de luddistes. Nous devons débuter la réflexion là où se trouvent les électeurs, prendre leurs préoccupations au sérieux et les traiter avec respect.

Nous devons également élaborer notre propre politique d’identité inclusive. Le sentiment d’appartenance à une communauté politique n’est pas nécessairement une forme de sectarisme. Même si les populistes autoritaires exploitent les sentiments patriotiques pour recréer une idée nostalgique d’un passé plus simple et plus pur, les politiciens traditionnels ne devraient pas se détourner du patriotisme. Ils devraient plutôt essayer d’utiliser la même émotion pour montrer une vision positive, tolérante, diversifiée et inclusive de l’identité nationale. En d’autres termes, nous devons revendiquer et redéfinir le patriotisme. Les politiciens intelligents peuvent récupérer le patriotisme des mains des souverainistes.

Troisièmement, nous devons rendre la société plus démocratique. L’un des facteurs d’insécurité et de frustration dans nos sociétés est le sentiment généralisé que nous avons perdu le contrôle de nos vies. A ceci répond la promesse populiste de reprendre le pouvoir des mains d’une élite corrompue ou compromise et de le confier à un dirigeant fort qui gouverne au nom du peuple. Il ne s’agit pas de démocratisation, mais d’une plus grande centralisation du pouvoir. Notre réponse devrait être de démocratiser véritablement le pouvoir, de le remettre entre les mains du peuple. De lui donner un sentiment de contrôle sur sa vie, son travail et sa communauté. Il s’agit d’un vieux programme progressiste, mais nous n’avons pas réussi à le mettre en œuvre depuis trop longtemps. Il est temps que les progressistes soutiennent le rôle des travailleurs dans les conseils d’administration, l’expérimentation de formes de démocratie locale, directe et délibérative, et la promotion de formes appropriées de subsidiarité dans la police, l’éducation et la politique de santé.

Cela exige une vision cohérente pour redéfinir les institutions. Si nous en avons l’occasion, nous devons renforcer les institutions, en particulier le système judiciaire indépendant. Mais nous devrions aller plus loin. Nous devons renouveler les autres institutions gouvernementales pour les adapter à l’ère numérique. Il est également nécessaire de rendre le gouvernement plus transparent et plus ouvert et les services publics plus sensibles aux besoins de ceux qui les utilisent.

Quatrièmement, nos politiques doivent devenir mondiales. Bien entendu, la lutte pour les spécificités des sociétés d’Europe occidentale doit être menée séparément dans chaque pays. Ni l’Union européenne ni le Conseil de l’Europe, et encore moins l’alliance transatlantique, ne peuvent être d’une grande aide pour contrer l’autoritarisme national et offrir une alternative. Pourtant, face au pouvoir du capital dans le cadre national, il est difficile pour un gouvernement de se mesurer face à face avec les multinationales. De même, le renforcement des droits des travailleurs au niveau national ne garantit pas toujours qu’ils obtiendront une part plus équitable des revenus.

À une époque où une grande partie du monde est entre les mains des multinationales, nous avons besoin d’une action internationale multilatérale. Si ces organes n’inspirent plus confiance, nous devons les renouveler. Nous avons besoin d’un Bretton Woods démocratique pour traiter avec les multinationales.

Bon nombre des solutions aux défis économiques locaux sont à la fois mondiales et locales, tout comme la sécurité, l’immigration et l’identité. La mondialisation de notre politique doit aussi être un projet individuel et communautaire. Il n’y aura pas d’échappatoire à Salvini, au Brexit ou à Trump tant que nous n’aurons pas compris et pris en considération les raisons pour lesquelles les gens ont voté pour eux. En tant que mouvement mondial, nous devons passer plus de temps à comprendre la fascination des populistes qu’à les critiquer. Il s’agit d’un programme mondial et aucun d’entre nous ne devrait se sentir seul. Salvini a déjà annoncé son intention de créer une Ligue des ligues – une alliance mondiale des populistes autoritaires. Il a déjà son alliance avec la Russie unie de Poutine. Nous devrions renforcer notre alliance pour le progrès mondial. Si nous gagnons cette bataille, nous pouvons à nouveau être le fondement d’une union des démocraties du monde entier.

(https://fr.statista.com/infographie/7016/la-mondialisation-et-la-montee-du-populisme-en-europe/)

Matt Browne, fondateur du Think Tank Global Progress.


 »Article publié en italien dans La Stampa du samedi 19 juillet 2018 »