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Rêves de soie

Chronique ordinaire du confinement …

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je pense qu’il faut que je vous explique un peu de quoi il s’agit. Ce sont des documents retrouvés chez ma mère, en faisant l’inventaire et le tri de tout ce qu’elle a pu rassembler dans son galetas, en matière de papiers, de journaux ou de revues. Ces documents étaient dans une petite chemise et accompagnaient une coupure de presse du quotidien de sa vallée des Cévennes : l’« Echo de la Vallée », vous l’auriez presque deviné !

La date est celle du 18 avril 1965, un dimanche, dans l’édition dominicale de ce quotidien. Il ne s’agit pas vraiment d’une interview de ma mère, Louise de son prénom,même si l’article est présenté sous forme de questions-réponses, car la rencontre avec la journaliste avait visiblement été préparée longtemps à l’avance. Dans cet entretien, elle ne parle pas d’elle, mais de sa mère à elle, c’est à dire de ma grand-mère, Joséphine, et de son existence, quelques années durant, dans une magnanerie-filature installée dans cette fameuse vallée.

Curieusement, mais peut-être fallait-il s’y attendre, la journaliste l’interroge derechef sur ce métier de la soie en lui demandant « quels étaient les rêves qu’il suscitait chez sa mère et en elle». Mais de rêves, point ! Bien sur, elle n’a directement jamais connu cette usine qui a laissé tant de traces dans la région. Joséphine, qui était née en 1866, y avait travaillé quelques années, entre ses 13 ans et ses 18 ans, et avait du abandonner cet emploi en 1884. Après s’être mariée, elle avait donné naissance à sa fille Louise, ma mère, en 1888. Par contre, ma grand-mère et ma mère ont du souvent discuter de ce travail, si l’on en croit la richesse des informations que contient ce dossier.

Joséphine vivait à la campagne, pauvrement, auprès de ses parents cultivateurs : quelques bêtes, un cochon, des poules, des lapins, un peu de vignes, du seigle, et surtout, surtout, des mûriers, … Sa mère déjà avait travaillé à la filature et la place de sa fille y était presque réservée d’avance. Autrefois, l’exploitation familiale se livrait à l’élevage du vers à soie. Mais depuis quelques années, depuis le début de l’industrialisation, les fabriques avaient pris la place de cet artisanat en réunissant sur un même lieu l’élevage du vers dans la magnanerie, là où il grandit, subit plusieurs mues et mastique bruyamment des feuilles de mûrier du matin au soir, le traitement des cocons, ces petites boules de douceur, afin d’en faire « naître » un interminable fil de soie, jusqu’à près de mille mètres, et le moulinage de l’organsin, le fil de chaîne, dans la filature. Le personnel était quasi exclusivement constitué de femmes, de jeunes femmes, de très jeunes filles. Seuls, quelques techniciens compétents en mécanique, en force hydraulique ou en étuvage, ainsi qu’un ou deux contremaîtres, étaient des hommes.

Les ouvrières étaient recrutées dans les villages voisins, en juin, sitôt les premiers cocons triés par de très nombreuses petites mains, lors de la période majeure de l’agriculture, celle des récoltes, des moissons et des vendanges. Ce travail de production du fil de soie se poursuivait jusqu’à la fin de l’hiver, voire le début du printemps, selon la quantité de cocons achetés ou récoltés. La production de fil était alors transférée au moulinage pour y être stockée, parce que le moulinage se pratique toute l’année. Et, s’il y en avait le besoin, de nouvelles ouvrières étaient embauchées après les récoltes pour intégrer la fabrique. Les ouvrières ne quittaient pas l’établissement tant que la tâche n’était pas achevée. Dans l’atelier de Joséphine, elles étaient quarante. Huit à dix d’entre elles ne restaient qu’un an. Les autres, les plus jeunes, supportaient le travail pendant quelques cinq ans au maximum puis se mariaient et rejoignaient souvent l’exploitation agricole de leur conjoint. Il faut dire que les ouvrières, pour plus d’un tiers d’entre elles, étaient encore des enfants d’à peine plus de 12 ans.

Joséphine était-elle une militante de la cause des ouvrières ? Rien ne nous permet de l’affirmer. Cependant, son dossier contient des fiches exceptionnelles par leur précision. Ainsi, les horaires de travail que l’on rencontrait fréquemment en 1870 dans ce type d’ateliers voués à la soie et à sa fabrication : début à 4 heures du matin, à 6 heures pause de 15 minutes, une autre pause de 30 minutes à 7 heures 30, puis 15 minutes à 9 heures 30, et 1 heure complète à 11 heures afin de prendre un repas frugal composé de légumes et de féculents, à 2 heures 15 minutes, 30 minutes à 3 heures 30, encore 15 minutes à 6 heures, avant d’achever la journée de travail à 8 heures du soir. Soit 16 heures de présence quotidienne, alors que depuis 1848 la durée est fixée à 12 heures de travail.

Ou encore, ce relevé des salaires journaliers versés aux travailleurs : 2,50 francs pour les hommes, de 1,00 à 1,20 franc pour les femmes et de 40 à 70 centimes pour les enfants. Et pourtant, il y avait eu quelques progrès puisque l’âge de travail des enfants avait été fixé à 12 ans en 1874, alors qu’il était de 8 ans en 1841 !

Egalement, cette citation du maire de Cavaillon, écrivant au Préfet du Vaucluse, le 16 juillet 1852: « Le travail de la soie est un travail des plus pénibles et des plus malsains, les accès de fièvre dont toutes, ou presque toutes, les ouvrières sont atteintes chaque année le prouvent suffisamment ». Louise explique à la journaliste ce qu’étaient les conditions de travail de ces jeunes filles : la chaleur moite de la magnanerie et des étouffoirs à cocons, le vacarme des filatures qui rend sourd, l’insalubrité générale des bâtiments, le dortoir à quarante, les latrines au fond d’un couloir obscur, la quasi impossibilité de faire une toilette régulière, l’encadrement strict par les contremaîtresses qui contrôlent le rare courrier qui peut être adressé aux filles, les amendes infligées pour des défauts dans le travail ou des manquements à la discipline, les nombreux cas de tuberculose ou de fièvre typhoïde, la pression de religieuses lorsque l’on n’est plus au travail (il y a même une chapelle de la Vierge dans cette usine comme dans toutes celles de la région).

L’usine était un bagne dont les ouvrières recluses et confinées ne sortaient que le samedi soir afin de rejoindre leurs familles et revenir le dimanche soir, voire très tôt le lundi matin, chacune munie du pain nécessaire pour toute la semaine.

Pour clore l’entretien, ma mère raconte comment Joséphine avait rejoint, en quittant l’usine, un homme qui s’était spécialisé dans le commerce de la feuille de mûrier. Au hasard des souvenirs, on peut y apprendre qu’ils venaient tous deux chaque année à Saint-Marcellin, une petite ville du Dauphiné sur les bords de l’Isère, afin de cueillir les feuilles d’une partie des 114 mûriers plantés par cette ville sur le Champ de Mars. L’expérience de son époux leur valait régulièrement d’être sélectionnés lors de l’adjudication aux enchères de cette cueillette. Voilà le seul rêve que Joséphine aura bien pu raconter : quitter sa campagne pour passer 48 heures en Dauphiné. Un rêve de courte durée puisque l’une après l’autre les usines de la soie vont fermer. Depuis longtemps déjà, la production chute régulièrement à cause des maladies : la soie de France doit laisser la place à la fibre venue de l’étranger. L’usine dans laquelle se sont écoulées quelques années de sa jeunesse a fermé en 1914. Il n’y avait pas de rêves soyeux dans la tête de ma grand-mère, il n’y en avait pas, non plus dans les têtes des ouvrières de la soie. Ainsi soient-elles ….

Ainsi soient-elles ? Mais qui donc la soie fait-elle rêver ?

Au hasard des innombrables commentaires qui envahissent nos écrans et nos journaux ou magazines, m’est revenue une réflexion sur la Route de la Soie. Ce grand projet, imaginé par la Chine et visant à réorganiser les échanges commerciaux entre ce pays et l’Occident. Et, au-delà des échanges commerciaux, peut-être renforcer la suprématie géopolitique de la Chine.

La Route de la Soie (ou les Routes de la Soie, car les itinéraires étaient multiples) date de 2300 ans au moins. Pourtant, la légende décrit sa découverte par une impératrice de la première dynastie chinoise en 2070 avant Jésus-Christ ! Alors qu’elle buvait son thé, assise sous un mûrier, un cocon de bombyx serait tombé dans sa tasse. Au lieu de le retirer, elle entreprit de tirer sur le fil qui s’en détachait grâce à la chaleur du liquide. Ce fut le premier fil de soie.

Cette légende démontre bien que la soie a toujours été le signe des gens de pouvoir, de la haute société. Ils n’en rêvent pas, ils la possèdent et en gardent jalousement le mode de fabrication sous peine de mort.

Au cours des siècles, laque, poudre à canons, cuirs et fourrures, ivoire, jade, herbes médicinales parvenaient en Europe, en échange de chevaux, métaux précieux, or et argent, armes, textiles, perles de verre, céramiques, … Pendant très longtemps, la soie n’a pas fait l’objet d’un commerce. Compte tenu de sa grande valeur et du mystère qui entourait sa fabrication, elle était avant tout offerte aux souverains et aux seigneurs des pays traversés afin de les flatter et les remercier d’autoriser ce passage. Et ceci a concouru à lui donner encore plus de valeur et encore plus de mystère.

En 1204, la Quatrième Croisade s’empare de Constantinople et ouvre aux croisés les portes de l’Orient. Marco Polo (1254-1324) n’a que 17 ans lorsqu’il part à la rencontre du petit-fils de Gengis Khan. La Route de la Soie connaît alors son apogée jusqu’au début du 14° siècle, dans le même temps que la dynastie des Yuan. Dès la fin du 14° siècle, le transport maritime entraîne le déclin de cette route chamelière, lente, longue, difficile, toujours sujette à des affrontements, des rivalités, des vols. Plus d’une année était nécessaire pour en effectuer le parcours complet.

La Route de la Soie n’a pas fait qu’échanger des marchandises. Elle a également permis de formidables brassages de cultures, de techniques, de religions. C’est par cette Route que le christianisme, le bouddhisme, l’islam, se sont répandus en Extrême-Orient. A l’inverse, les techniques d’imprimerie avec des caractères mobiles en bois ou en argile nous sont venues de Chine un ou deux siècles avant l’invention de Gutenberg. Enfin, c’est par cette Route que nous parvint, entre 1347 et 1352, la peste noire, celle qui tua environ 25 millions d’Européens.

Quoi qu’on en dise, la Route de la Soie est la première et la plus éloquente des manifestations de la mondialisation.

En ce 21° siècle, ressurgit le projet de nouvelles Routes de la Soie et fait encore rêver tous les puissants de ce monde et les chefs de l’industrie et du commerce. Pensez-donc ! Actuellement, le trajet de Shanghai à Amsterdam se fait en plus d’un mois par la mer et le Canal de Suez, en trois semaines par le train et en 12 à 15 jours par camion à condition d’avoir négocié les droits de douane avant le départ. A défaut, les contrôles à chaque frontière traversée augmentent ce temps de près de 20 %.

En ce 21° siècle, des milliers de camions qui parcourent l’ancien Monde, avec des chauffeurs confinés dans leurs cabines, seuls ou à deux pour gagner encore du temps, est-ce vraiment un rêve ?

Ou bien un cauchemar ?

Texte écrit lors d’une session d’Ecriture Créative (Sophie Collignon/UIAD)

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Le gardien de Cordouan

Chronique ordinaire du confinement.

… juin 2019,

ça y est, j’ai enfin pris la décision d’envoyer mon dossier de candidature auprès du SMIDDEST. Il s’agit du Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l’Estuaire de la Gironde. Ce Syndicat recrute, sur dossier de candidature, des gardiens pour le phare de Cordouan. Depuis que je suis seul, depuis l’accident, je ne parviens plus à vivre dans le bruit et l’animation de la ville, tous ces gens qui passent, qui vont, qui viennent, qui parlent parfois pour ne rien dire, qui s’amusent, qui grandiloquent, tous ils me font souffrir.

J’ai fait valoir toutes mes expériences professionnelles dont aucune ne correspond de près ou de loin aux compétences sans doute requises pour être gardien de phare. Je leur ai parlé de mon sens des responsabilités et du fait que la solitude n’était pas source d’inquiétude. J’ai fait quelques périphrases pour expliquer, sans le dire, que j’étais seul, que j’étais veuf. Il suffit d’attendre …

8 août 2019.

Je suis sélectionné ! A vrai dire, je ne croyais pas que cela soit possible. Alors, je me suis lancé à la découverte de ce phare, ce que, d’ailleurs, j’aurais du faire depuis longtemps. C’est le seul phare de France encore gardé par des hommes, même s’il est automatisé. Et ce n’est pas le Service des Phares et Balises qui le gère, mais bien le Syndicat Mixte auquel j’avais envoyé ma lettre de candidature. Il est situé à 7 km au large de l’estuaire de la Gironde, sur des hauts fonds, un plateau rocheux découvert à marée basse. C’est un Monument Historique, car il date des débuts du 17° siècle. De fait, je ne serai pas seul dans ce phare, et ceci pour deux raisons. La première est que les gardiens sont retenus sous forme d’un tandem. La seconde est que ce phare est ouvert aux visites du public, tous les jours en été, mais lors des fins de semaine uniquement lorsque je prendrai mon poste, dans un peu plus d’un mois. J’ai rendez-vous le 16 septembre. Avec le courrier d’acceptation de ma candidature, sont joints une formule de contrat de travail à retourner signée et une définition de mon poste.

Même si le fonctionnement du phare est automatisé, les gardiens ont de nombreuses occupations qui doivent bien remplir leurs journées. Maintenance du matériel, entretien des lentilles, polissage des boiseries, nettoyage des sols, recharge des réserves d’eau douce, menus travaux de menuiserie, peinture, plomberie, voire électricité, … auxquels viennent s’ajouter le devoir de vigilance et de surveillance de la navigation maritime (il faut éventuellement alerter les bateaux s’ils font mauvaise route) et l’écoute des avis nautiques relatifs à la météo et à l’état de la mer. De plus, lors des journées d’ouverture au public, il faut se transformer en guide afin d’assurer une visite qui plaise à des groupes d’une vingtaine de touristes qui ne sont là qu’à marée basse. Dans ma lettre de candidature, je parlais de « vivre libre »; en aurai-je le temps ?

14 septembre 2019.

L’agitation commence de me gagner; il me faut préparer mes bagages en ne retenant que le nécessaire pour vivre dans ce phare pendant quinze jours, sans oublier des draps ou un sac de couchage.A la suite de quoi, retour sur la terre ferme pour huit jours de pause. Ne souhaitant pas faire tous les quinze jours de longs trajets entre Cordouan et mon domicile terrestre, je suis à la recherche d’un appartement, un petit studio du coté de Royan.

Toutefois, j’ai décidé d’emporter quelques objets dont, bien sincèrement, je ne peux pas me passer. Mon appareil photo, mon ordinateur portable.Je suis avisé qu’il n’y a pas le wifi dans ce phare, mais l’ordi me servira pour écrire, pour lire (je téléchargerai d’ici le départ, c’est dans deux jours, quelques e-books) et pour regarder deux ou trois films. J’ai déjà chargé « Paris Texas », de Wim Wenders, ma pellicule favorite. Je rajoute une petite statuette en terre cuite, réalisée par ma filleule. Elle fait partie d’une collection de trois statuettes consacrées aux femmes, non !, à la femme. Je vous en parlerai un autre jour. J’ai pris également un bouquin, au sens propre du terme. Il s’agit de l’un des dix volumes de la collection « Tout Simenon » publiée chez Omnibus. Il y a là une dizaine des histoires policières du Commissaire Maigret, écrites sur papier bible. Enfin, j’emporte une photo, dans son cadre, de mon épouse et de mon fils. Tout doit tenir dans un sac à dos !

16 septembre 2019

Je suis à l’heure au rendez-vous fixé à Blaye, où se trouve le siège du Middest. Un entretien avec l’un desresponsables du Syndicat Mixte permet, à eux comme à moi, de faire connaissance et de bien définir les modalités de ce contrat. Nous partirons dans quelques heures, lorsque la marée sera bien basse. Il faut environ 35 à 40 minutes pour rejoindre le phare, que ce soit depuis Royan, en rive droite de la Gironde, ou depuis Le Verdon, en rive gauche. C’est de là que nous partirons, mais c’est à 75 km de Blaye. Une voiture de service et son chauffeur nous conduisent donc au port du Verdon.

Une fois sur le bateau, une petite vedette capable d’accueillir une quinzaine de passagers, l’émotion me gagne. J’essaie de la tromper en faisant quelques photos, jouant de l’objectif, utilisant même la fonction caméra. Je ne me souviens pas d’avoir pris un bateau de ce petit format pour une navigation de plus d’une demi-heure. La sensation est très différente de celle qui est ressentie sur un gros bateau, nous sommes beaucoup plus proches de l’eau, faisant corps avec les petites vagues.

Avant d’arriver, mon accompagnateur me demande de sortir de mon sac à dos le sac étanche qu’il m’était demandé d’avoir. Je dois y placer l’appareil photo, le téléphone si j’en ai un, le PC portable, mes papiers, l’argent de poche et tout ce qui représente de la valeur pour moi. Le phare se dessine devant nous, haute tour de pierre. Alors que nous en sommes encore loin, le bateau s’arrête, nous devons poursuivre à pied. 10 à 15 minutes de marche sur le sable, sur des rochers parfois glissants, avec de l’eau qui souvent monte jusqu’à mi-cuisse. Voilà pourquoi nos effets de valeur doivent être placés à l’abri !

Nous y sommes. Mon accompagnateur me sert de guide et me fait visiter le phare : 67 mètres de haut occupés par l’appartement du Roi, où d’ailleurs aucun roi n’a jamais mis les pieds, et son sol de marbre, la chapelle voûtée N.D. de Cordouan au 2° étage, puis les étages plus techniques avant d’atteindre les locaux attribués aux gardiens et, enfin, la lanterne proprement dite et sa lampe de 2000 watts. 301 marches … La portée des trois battements toutes les 12 secondes est de 17 à 21 milles, soit près de 40 km. Encore quelques explications, quelques consignes, quelques rappels quant au fonctionnement de la radio, et, surtout, surtout, l’information selon laquelle je serai seul pendant toute cette première semaine. Car celui qui devait faire tandem avec moi est tombé malade et n’a pu être remplacé. Cette information m’effraie quelque peu. Je me sens assommé par les responsabilités que je ne vais pouvoir partager avec personne. Je sais bien que ce phare est capable de fonctionner tout seul, mais quand même … Mon accompagnateur repart à pied, rejoindre l’embarcation qui l’attend. Il ne doit pas s’attarder, la marée montante va débuter.

Seul, je suis seul, quasiment au sommet de cette tour de pierre, si belle et si harmonieuse de jour. Mais la nuit, elle est presque invisible quand on est à ses pieds, alors qu’elle éclaire l’horizon par flashes éblouissants.

Du 17 au 22 septembre 2019.

J’ai pris possession des lieux et je m’habitue très bien. Aucun sentiment d’enfermement, de confinement, de privation de liberté, bien au contraire. Je me sens libre.

La journée se passe à réaliser les travaux définis dans le cadre de ma mission. Je me suis élaboré une sorte de planning, mais cela laisse du temps. Qui est mis à profit pour sortir sur le plateau rocheux qui porte le phare, afin de faire un peu de pêche à pied, des crabes ou des tourteaux qui pullulent dans les rochers et que je fais cuire, accompagnés de quelques crevettes roses. Il y a un équipement de pêche dans le phare, mais je ne m’y suis pas encore lancé.

Le temps est calme, la mer n’est parfois qu’à peine striée par quelques ridules. L’amplitude des marées est au plus bas, entre 39 et 47. Cela a permis à une petite colonie de phoques de venir gambader à quelques brasses du phare. J’ai réussi à les photographier. Hier, c’est un fou de Bassan, sans doute épuisé, qui est venu se poser devant l’entrée du phare, à quelques mètres, sur un rocher un peu proéminent. Il y est resté près d’une heure, sans vraiment bouger, et puis est reparti. Les mouettes et les goélands, quant à eux, tournent en rond dans le ciel et poussent leurs criaillements peu agréables.

Hier encore, je suis monté, en fin d’après-midi, sur la couronne sommitale. La mer était devenue un peu agitée et les vagues serrées étaient toutes couronnées d’une frange d’écume. Je me suis imaginé être un berger à la tête de milliers de moutons.

Phare de Cordouan, le 16 octobre 2009 (C)Travers/SIPA

Quand vient la nuit, la température encore tiède permet de s’asseoir à l’extérieur et d’écouter le bruit des vagues, le bruit léger du vent. Curieux comme je ressens cette solitude, que je voyais parfois être un peu celle d’un prisonnier volontaire, devenir un moment de liberté. Tout à l’heure doit arriver mon co-gardien, profitant des derniers moments de temps clément.

Du 23 au 30 septembre 2019.

Nous venons de passer l’équinoxe d’automne et le temps s’en ressent. Il fait beaucoup de vent. Il fait plus froid. Les nuages donnent l’impression de rouler sur l’océan. Il devient difficile de se tenir sur la galerie extérieure, tout en haut du phare. Et pourtant quel panorama sublime, quels tourments dans les vents contrariés et dans les embruns qui montent jusqu’à cette hauteur. J’ai fait visiter le phare à mon équipier, tout comme on me l’a fait visiter voici à peine une semaine. Cela me paraît si loin déjà. Il en est resté muet, la bouche ouverte ! Il faut dire que le paysage est à couper le souffle au sens littéral, tant le vent est puissant.

C’est un artiste ! A coté des écrits de Georges Simenon, il a déposé deux ou trois carnets de croquis et des crayons, feutres et marqueurs. Il est volontaire, tout comme moi, et veux faire une expérience, ainsi qu’il dit. Ce qu’il dessine n’est pas figuratif. C’est un plasticien contemporain et je ne comprends pas toujours les impressions, les sentiments, les émotions qu’il veut retranscrire dans les courbes et circonvolutions en 3D qu’il trace sur le papier. Alors, nous en discutons longuement, en restant bien enfermés dans notre petit logement en haut de la tour, assis au fond de nos fauteuils.

Le coefficient de marée est impressionnant, 108 à 115, à marée basse, la mer se retire très loin. Malheureusement, nous ne pouvons guère en profiter tant le vent est puissant et les grains inattendus. A marée haute, les bases de notre tour sont affrontées par les vagues déferlantes qui viennent s’y écraser, libérant des gerbes de mousse et d’écume pratiquement jusqu’à la lanterne. Le vent souffle et secoue le bâtiment qui résonne et vibre.

Il aime bien la petite sculpture que j’ai apportée avec moi. Elle représente une femme assise, tenant sur son corps une sorte de couverture, de serviette, la cachant intégralement à l’exception des genoux et des pieds qui dépassent de part et d’autre. Je n’ai jamais su lui donner une signification, mais je l’aime. Ensemble, nous regardons « Paris, Texas ». Sans un mot. C’est un film sur des douleurs d’hommes …

1er octobre 2019.

La relève aurait du avoir lieu aujourd’hui. Par radio, nous avons été avisés qu’il n’en serait rien, tant la tempête gronde. Nous attendrons quelques jours supplémentaires.

Texte écrit lors d’une session d’Ecriture Créative (Sophie Collignon/UIAD)



		
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Renaissance d’un blog

C’est l’histoire d’un blog qui est né en 2007. D’abord, sous la formule d’un « blog du Monde » (le quotidien), puis en tant que blog indépendant chez Gandi. Le départ du quotidien était dû au fait que la visibilité des blogs des lecteurs n’était absolument pas égale d’un contributeur à un autre, certains étant fortement privilégiés. Par ailleurs, l’audience restait faible pour des motifs inconnus. Une fois chez Gandi, les choses ont été un peu modifiées.

C’est ainsi qu’entre 2007 et 2019, ce sont 357 articles qui ont été rédigés et publiés. Sans aucune unité apparente, mais avec une logique certaine: celle de mes sources d’intérêt, qu’il s’agisse de mes goûts ou de mes engagements. La photographie (67 posts) et l’écriture (24 posts) relèvent de mes goûts, tandis que l’Egypte (28 posts) où j’ai travaillé pendant deux ans, et le Mali (45 posts) où j’ai mené une passionnante mission, se rattachent plutôt à mes engagements. Engagements aussi les articles traitant de l’écologie (54)), des droits de l’homme (26), du développement solidaire (18), de la démocratie (15), voire de la culture numérique (13).

Les parutions n’ont jamais été très régulières, loin de là ! Entre 40 et 60 par an au cours des années 2007 à 2009, 100 publications en 2010, puis entre 30 et 40 au cours des années 2011 à 2014. Année qui représente un virage capital. Devenu conseiller municipal (puis adjoint) et président d’une Mission Locale, le temps à sérieusement manqué pour tenir ce blog. Cela explique le nombre dérisoire de publications depuis 2015, de 2 à 8 par an ! Et encore rien, jusqu’à ce jour, en 2020.

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La logique de ces écrits, s’il faut l’expliquer, repose sur quelques choix fondamentaux que je maintiens avec volonté depuis plus d’une cinquantaine d’années et qui sont la jeunesse, la culture, la solidarité internationale et le développement local. Cela fait un tout. Ces dernières semaines, Gandi a fait savoir qu’il changeait de plateforme technique, qu’il abandonnait l’hébergement gratuit de blogs DotClear, et proposait l’accueil (payant !)) de blogs WorldPresse sur sa plateforme V5. Cela a nécessité un fabuleux travail de reprise des 357 articles sous DotClear 2.1.5 afin de les transférer sous WorlPress 5.4. Le tout à la main, car je n’ai pas trouvé d’application fiable pour faire ce travail. Recopier tous ces posts a imposé de les relire, un par un. Modeste satisfaction, je n’ai pas le sentiment d’avoir raconté trop de bêtises au cours de ces 12 ans d’existence de mon blog.

Tout ceci venait conforter un choix fait fin 2019: celui de ne pas me représenter aux élections municipales de 2020 et donc de quitter la présidence de la Mission Locale (réservée à un.e élu.e). Une sacrée cochonnerie de virus est venue tout foutre en l’air. Et je reste élu de part et d’autre pour quelques mois encore. Par ailleurs, la situation créée par cette maladie et le confinement qui s’en suit vont obliger à de fortes réflexions. D’aucuns ont déjà embrayé et préparent un « Grand Soir » et un « Jour d’Après », tous deux lumineux et glorieux ! Que l’on ne compte pas trop sur moi pour ce genre d’attitude car je suis un adepte du travail de fond, du dialogue, de la réflexion collective et du changement partagé de nos sociétés. Je dis bien « nos sociétés », car cela s’entend non seulement en France, mais aussi en Egypte, au Mali, au Vietnam, au Costa Rica, en Allemagne, en Italie, ….partout dans le monde.

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Je suis un « libéral ». Non pas au sens économique français, mais au sens politique américain, de ceux que l’on appelle là-bas « socialistes », voire parfois « communistes » ! (Tout dépend de qui parle). Mes références sont Albert Camus en philosophie, Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Jacques Delors en politique, Edgar Morin en sociologie. Faites avec … Et je déteste les fauteurs de Fake News, les complotistes, les manipulateurs, … Qu’on se le dise.

Conclusion: maintenant, on va essayer d’écrire plus souvent. En gardant et développant les mêmes catégories et en ajoutant, peut-être, une nouvelle catégorie: celle du patrimoine historique et socio-historique.

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Une France éparpillée par petits bouts, façon puzzle

(DR)

L’ouvrage, passionnant, même s’il est parfois un peu rébarbatif à lire, est signé de Jérôme Fourquet et s’intitule « L’archipel français ». La thèse est la suivante : la victoire de Macron aux dernières élections présidentielles n’est en aucun cas le fait d’un hasard, d’un accident ou d’un bienheureux concours de circonstances. Elle est le résultat d’une explosion de ce qui faisait l’unité de la France, c’est à dire une opposition solide entre la gauche et la droite que ce soit pour des raisons de « classes » ou pour de motifs d’affrontement idéologique.
En fait, d’autres ciments existaient derrière cette structuration apparente et notamment, en tout premier lieu, la croyance et la pratique religieuses, assimilables en général à une pratique de droite, souvent toutes classes confondues.
Puis de multiples autres clivages se sont manifestés, « d’ordre éducatif, géographique, social, générationnel, idéologique, ethnoculturel, engendrant autant d’îles et d’îlots plus ou moins étendus et s’ignorant les uns les autres: l’archipel français. Dans cette société disloquée, il est devenu impossible de concevoir la moindre coalition large qui puisse avoir la capacité de représenter une synthèse à peu près globale des intérêts particuliers au service d’un intérêt collectif.
Outre la quasi disparition de la pratique religieuse (catholique en général), l’auteur décrit les déstructurations suivantes de notre société : multiplicité des types de structures familiales, IVG, reconnaissance de l’homosexualité, tatouage et véganisme, dans le domaine anthropologique.
Parallèlement à l’effondrement de l’église de Rome, il note celui de l’église rouge communiste. La montée d’une culture anglo-saxonne, l’importance nominale des populations issues de l’immigration et leur implantation géographique, le choix de l’école, la sécession des élites, le sous-développement social et culturel des zones péri-urbaines et/ou semi-rurales, le déclassement des banlieues et quartiers sensibles, tout ceci concourant à l’archipelisation de la France. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, mais de l’aboutissement d’une somme de ruptures initiées parfois depuis plusieurs dizaines d’années. Cet aboutissement explique d’une part le succès d’Emmanuel Macron qui a su rassembler les urbains, CSP+, sur-imprégnés culturellement, intégrés aux cursus économiques et sociaux, lesquels se sont retrouvés face … aux autres, dans un nouvel affrontement avec les multiples îlots sans qu’aucune force idéologique ne puisse initier la moindre synthèse. Le mouvement des « gilets jaunes » en est une magistrale démonstration, mouvement dans lequel des opinions d’extrême-droite et d’extrême-gauche peuvent se retrouver sur un rond-point et disserter en compagnie d’artisans, de petits chefs d’entreprises, de zadistes, sur les moyens de faire démissionner le président tout en distribuant, presque de concert, des tracts contre l’IVG et des appels au RIC !

Jérôme Fourquet a publié son livre en mars 2019, à une époque où le scrutin européen du 26 mai n’était pas encore d’actualité. Aujourd’hui, l’énumération des listes qui ont été en présence n’est qu’une illustration parfaite de ses propos. Jugez-en, voici les noms officiels des 34 listes en présence, assortis de quelques commentaires.
L’ordre n’est pas officiel, ni alphabétique.
1 – « Prenez le pouvoir, liste soutenue par Marine Le Pen », une première liste d’extrême-droite, tentant de racoler les « gilets jaunes ».
2 – « Renaissance, soutenue par la République en Marche, le MoDem et ses partenaires ».
3 – « Union de la droite et du centre », une liste soutenue par Les Républicains.
4 – « Europe Ecologie », soutenue par EELV, une première liste écologique.
5 – « La France insoumise », soutenue par LFI à l’évidence et qui ne place pas l’Europe au devant de ses préoccupations, si l’on en croit le titre de liste retenu.
6 – « Envie d’Europe écologique et sociale », soutenue par le PS, Nouvelle Donne,Place Publique et le Parti Radical, une seconde liste faisant appel aux convictions écologiques.
7 – « Le courage de défendre les Français, avec Nicolas Dupont-Aignan. Debout la France ! – CNIP », une liste de droite (extrême), plaidant pour le retrait de la France de l’Europe, le rejet de l’euro et le protectionnisme.
8 – « Pour l’Europe des gens contre l’Europe de l’argent ». Cette liste conduite par le PCF fait curieusement référence à une expression typée de Jean-Luc Mélenchon: « les gens ».
9 – « Liste citoyenne du Printemps européen avec Benoît Hamon soutenue par Génération.s et DeME-DiEM 25 ». un regroupement de fragments de la gauche non communiste.
10 – « Les Européens », liste conduite par l’UDI.
11 – « Lutte ouvrière – Contre le grand capital, le camp des travailleurs ». Liste présentée par Lutte Ouvrière.
12 – « Ensemble pour le Frexit », présentée par l’Union Populaire Républicaine, encore une liste de droite extrême, anti-européenne comme l’indique le nom de la liste, et favorable au RIC en toutes matières.
A ce niveau de l’inventaire, nous avons globalement fait le tour de l’offre politicienne traditionnelle. Et douze listes, c’est déjà beaucoup pour couvrir un spectre politique classique. Mais voici venir la dispersion et l’archipelisation !
13 – « Alliance jaune, la révolte par le vote ». C’est la première des listes regroupant des « gilets jaunes », conduite par le chanteur Francis Lalanne, déjà contesté par d’autres « gilets jaunes » et qui se veut exclusive du mouvement.
14 – « Evolution citoyenne », une seconde liste de « gilets jaunes », extrêmement orientée à l’extrême-droite, favorable à une Europe des nations et au RIC, qui compare Emmanuel Macron à Hitler et qui reçoit en France le dirigeant italien du mouvement 5 Etoiles. Tout un programme !
15 – «  »Ensemble patriotes et Gilets jaunes : pour la France, sortons de l’union européenne ! » ». Encore une liste d’extrême-droite, revendiquant une alliance avec les « gilets jaunes » et défendant la sortie de l’Europe par la France. Sa tête de liste est un transfuge de l’ex-Front National.
16 – « Une France royale au cœur de l’Europe ». Liste présentée par l’Alliance Royale et porteuse d’un projet de restauration d’une monarchie institutionnelle, indépendante des partis.
17 – « La Ligne claire ». Cette liste d’extrême-droite, présentée par Le Parti de l’In-nocence et Souveraineté, Identité et Liberté, entend dénoncer l’islamisation de la société et organiser la « remigration ». Sa tête de liste est l’auteur de la théorie du « grand remplacement ».
18 – « Parti Pirate ». Comme les autres Partis Pirate européens, le programme est centré sur la défense des libertés individuelles et de la vie privée.
19 – « Démocratie représentative ». Il s’agit d’une liste issue des quartiers d’Aulnay sous Bois (dont Jérôme Fourquet, dans son ouvrage, dresse une radiographie), prônant un rapprochement entre les banlieues et les « gilets jaunes », un rapprochement qui, jusqu’à ce jour, n’est absolument pas intervenu.
20 – « PACE – Parti des citoyens européens », issu d’un parti européen transnational, prônant le fédéralisme, l’économie équitable et la diplomatie pacifique.
21 – « Urgence Ecologie ». Une nouvelle liste écologique soutenue par Génération Ecologie, le Mouvement Ecologiste Indépendant et le Mouvement des Progressistes.
22 – « Liste de la reconquête », présentée par le Mouvement de la Dissidence Française, un mouvement d’extrême-droite qui dénonce l’islamisation et le « grand remplacement », ainsi que la bureaucratie bruxelloise.
23 – « Pour une Europe qui protège ses citoyens ». Liste présentée par le Parti Fédéraliste Européen, authentique parti européen avec des sections nationales, dont le but premier est de créer une Europe fédérale.
24 – « Mouvement pour l’initiative citoyenne ». Liste inspirée par les « gilets jaunes », la troisième se réclamant spécifiquement de ce mouvement, composée de membres tirés au sort et dont l’unique élément de programme est l’instauration du RIC à tous les échelons de la société au niveau national et européen.
25 – « Allons enfants », présentée par le Parti de la Jeunesse, défenseur d’une Europe solidaire, écologique, durable. Ce parti présente un riche catalogue, non dénué d’intelligence.
26 – « Décroissance 2019 », soutenue par le Parti pour la décroissance, elle défend le RIC et … la décroissance.
27 – « À voix égales », une liste qui « veut faire de l’égalité hommes-femmes la clé de voûte d’un nouveau système » et « porter la voix de toutes ces femmes opprimées, violentées, harcelées ».
28 – « Neutre et actif », afin de lutter contre l’abstention !
29 – « Parti révolutionnaire Communistes », liste marxiste composée de transfuges du PCF à qui est reproché l’abandon de la lutte des classes.
30 – « Espéranto – langue commune équitable pour l’Europe », soutenue par Europe Démocratie Espéranto, déjà vieux parti européen et fédérateur (2003).
31 – « Parti animaliste », comme son nom l’indique … parti défendant les animaux.
32 – « Les oubliés de l’Europe », présentée par un collectif d’artisans, de commerçants, de professions libérales qui souhaitent défendre l’Europe du « savoir-faire ».
33 – « Union démocratique pour la liberté, égalité, fraternité ». Un mouvement favorable à une Europe fédérale.
34 – « Une Europe au service des peuples », présentée par l’Union des Démocrates Musulmans de France. La thématique de base vise à lutter contre l’islamophobie. Cependant, il est légitime de regretter la mise en évidence de l’islam au sein d’une démarche qui se veut démocratique dans une société laïque.

Et l’on a raté Civitas, la défense du cannabis, les Comités Jeanne, le NPA et tant d’autres encore dont le seul motif de retrait est le manque de financement.

Chacun d’entre nous connaît désormais les résultats. Onze listes, dont celle du Parti Animaliste se sont hissées au-delà de 2 % des suffrages exprimés. Toutes les autres, soit 23 listes, n’ont pas recueilli plus de 450000 voix au total, les six dernières se figeant à 0,05 % des voix, soit un nombre d’électeurs allant de 3280 à 1414 ! Quel faramineux gaspillage de temps, d’énergie, d’argent, de paroles sans signification et sans intérêt pour la plupart ! Et tout ceci parce que les démocrates musulmans ne se sont pas entendus avec les oubliés de l’Europe, qui ne se sont pas entendus avec les espérantistes, qui ne se sont pas entendus avec les opposants à l’abstention, etc … etc … Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque, mais bien de constater que chacun, chacune, ne s’intéresse désormais plus qu’à sa chapelle et n’a plus aucun souci d’une vision commune et d’un avenir commun de notre pays.
Quant au « gilets jaunes », n’en parlons même pas. Ils devaient révolutionner notre pays et à trois listes officielles, ils ne recueillent même pas 130 000 voix. Un « flop » retentissant ! Alors, pour qui ont-ils voté ? A l’évidence, pas pour les Insoumis dont le leader Mélenchon doit se contenter d’à peine plus de 6 % des voix. Ont-ils voté massivement pour la liste du Rassemblement National, ce que nombre de commentateurs (et nous également) redoutions ? Ce n’est pas certain. En effet, si la liste du Rassemblement National se place en tête, avec ses 23,33 % de votants, cela ne représente que 5,3 millions d’électeurs. Certes, mieux qu’aux Européennes de 2014 (4,7 millions d’électeurs), mais dans un scrutin qui a eu moins d’abstentionnistes : 57,57 % en 2014 contre 49,88 % ce mois-ci. Sans doute, nombre de « gilets jaunes » ont voté pour la liste RN, trouvant peut-être pour la première fois le chemin des urnes, les autres s’étant encore abstenus, comme à l’ordinaire. Leur apport essentiel à cette élection européenne est surtout d’avoir mobilisé davantage les Français alors que personne ne l’avait envisagé. Pour le reste, l’expression politique s’est répartie sur des offres classiques, même si certaines d’entre elles ont perdu beaucoup de leur aura (Socialistes, Républicains, Insoumis….). De fait, cette absence d’expression spécifique aux « gilets jaunes » est totalement « normale ».

(DR)


Gallimard vient de publier un ouvrage remarquable, qui apporte un éclairage très fort non pas sur les « gilets jaunes » qui y sont à peine évoqués à deux ou trois reprises, mais sur le développement rapide du populisme de droite comme de gauche, en France et en Italie, non sans oublier le reste de l’Europe, voire les Etats-Unis, mais de façon marginale.
Il s’agit de « Peuplecratie, la métamorphose de nos démocraties », un livre écrit par Ilvo Diamanti et Marc Lazar, publié en Italie en 2018, sous le titre de « Popolocrazia, la metamorfosi delle nostre democrazie » et publié en France courant mars 2019. Ce travail approfondi et riche d’un appendice de notes et d’une bibliographie conséquente, aborde successivement la définition du populisme, la diversité des populismes mais également leurs bases communes, le populisme français, le populisme italien, les raisons du populisme et, pour conclure, le constat de la métamorphose de la démocratie en peuplecratie.
« Fondamentalement pragmatique et opportuniste, capable d’afficher des positions inconsistantes et contradictoires, le populisme a néanmoins quelques traits communs »:

  • « Un ensemble assez primitif de croyances simples et efficaces qui forment système ». Ce système repose sur quelques questions-réponses élémentaires : qu’est-ce qui ne va pas ? Qui en est le coupable ? Que faut-il faire qui soit simple et évident ?
  • « Ces croyances sont avant tout fondées sur l’exaltation du peuple et l’appel continu à celui-ci ». Ce qui cristallise ce peuple est l’opposition radicale au système, aux élus, aux représentants, aux corps intermédiaires, à tous ceux qui organisent la société, aux médias classiques (presse et radio), à tous ceux qui sont accusés, à tort ou à raison de « profiter », d’être des « puissants », des « gros », des « intellectuels », …
  • « Parce que ce peuple est tenu comme souverain, le populisme se fait le héraut de la nation et de ses racines ». Et cela entraîne inévitablement des comportements racistes, xénophobes, antisémites, et le sentiment que l’immigration et l’islam sont des menaces, attitudes qui viennent se surajouter à une hostilité constante à l’égard de la construction européenne (Frexit pour certains, « reconstruction » de l’Europe des patries pour d’autres).
  • « On voit donc apparaître la démocratie immédiate », celle qui se passe de réflexion, de projection dans le temps, de procédures et de consultations, celle qui utilise à outrance le web et les réseaux sociaux (la facebookratie) afin de manipuler, sous couvert d’émotion, le peuple, faisant de l’internet une place publique « contre » la démocratie représentative (notamment par le RIC) et ceux qui en sont les tenants : élus, institutions et journalistes.

    A n’en pas douter, la démarche insurrectionnelle des « gilets jaunes » s’inscrit totalement dans cette peuplecratie. Se pose alors une question très rarement abordée depuis bientôt trente semaines. Face à la démarche de destruction de la démocratie représentative, celle-ci a-t-elle le droit de se défendre ?
    Il ne s’agit aucunement de justifier ici les violences que certains membres des forces de l’ordre ont pu commettre. Mais bien de justifier le fait que la démocratie libérale et représentative puisse résister contre celles et ceux qui veulent « expulser les élites », « renverser le pouvoir », instaurer une démocratie illibérale en multipliant les violences verbales, politiques et physiques. Cependant si elle peut le faire au moyen des outils du maintien de l’ordre, elle se doit de le faire surtout et avant tout par son action politique.

    A ce sujet, qu’il nous soit permis de reprendre les derniers mots du livre de Diamanti et Lazar.
    « La peuplecratie se développe et se faufile un peu partout. Au cours de son histoire, la démocratie représentative et libérale a du reste déjà cédé à certains assauts, comme entre les deux guerres du siècle dernier. Mais en même temps, elle a su réagir, affronter d’autres défis, car elle conserve une remarquable capacité de résistance, ou plutôt, d’adaptation.Mais à la condition que les partisans de la démocratie -représentative et libérale- réussissent à analyser et à comprendre les changements qu’elle traverse, à faire la preuve de sa capacité à répondre aux demandes et aux aspirations des populations – désorientées, inquiètes, parfois même désespérées. A la condition donc que les partisans de la démocratie sachent offrir aux citoyens les garanties et les protections qu’ils attendent, en refondant le pacte social…… Les chantiers ouverts par la réforme de nos démocraties sont donc vastes et divers, exigeants. Ils requièrent des sujets à la hauteur de ces défis. Conscients que, au cas où nous ne parviendrions pas à les relever, la peuplecratie s’affirmerait, inexorablement. Pour changer en profondeur nos démocraties, leurs principes mêmes, leurs « fondements fondamentaux », sans qu’il nous soit possible de prévoir, ou même d’imaginer, quels dénouements et quelles perspectives nous attendent. »

PS: Tous reconnaîtront l’origine de l’expression contenue dans le titre de ce post: « Les Tontons Flingueurs », texte de Michel Audiard.