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TDI, TOD, histoire d’un train entre Saint-Marcellin et Lyon. Chapitre 3

Résumé des épisodes précédents. Concession ayant été accordée en 1897, la Compagnie des Tramways du Département de l’Isère inaugure un premier segment de la ligne entre Saint-Marcellin et Lyon le 17 décembre 1899, quelques jours avant l’an 1900.

Quatre mois plus tard, à peine, le 8 avril 1900, un nouveau tronçon est inauguré. Il s’agit de rejoindre La Côte Saint-André et Viriville. Les travaux sont assez rapides parce que la voie ferrée se situe en accotement de la route et ne nécessite donc que des aménagements relativement simples. Les premiers arrêts sont ceux de la Place Hector Berlioz, de Ponal, de Mi-Plaine.

Environ 5 km après le départ de La Côte Saint-André, le tracé coupait la voie du PLM reliant Saint-Rambert d’Albon à Rives, puis Grenoble, une voie que nous avons citée dans le chapitre précédent. La gare du Rival, située à cet emplacement permettait ainsi une correspondance avec le réseau PLM. Puis le tramway s’arrête à proximité des immenses usines de tissage de soie Girodon, installées à Saint-Siméon de Bressieu. Créée entre 1873 et 1875, cette usine-pensionnat fait travailler près de 1000 ouvriers et ouvrières (surtout !) en 1889, 1200 en 1900 (et 1800 en 1910). Logées dans une cité ouvrière adjacente, les employées ont recours à des dizaines de pataches pour se rendre chez elles le dimanche et revenir à l’usine. L’arrivée du train sera un recours en faveur d’un peu plus de confort pour nombre d’entre elles.

Saint-Siméon de Bressieux. La sortie des ouvriers de l’usine de tissage de soieries Girodon

Les arrêts suivants sont ceux de la gare officielle de Saint-Siméon de Bressieu, du Mollard, de Chevalin, de Châtenay et de Viriville. A l’exception d’une petite portion du trajet en site propre et avec un petit tunnel d’une cinquantaine de mètres, entre Saint-Siméon et Chatenay, tout le reste du parcours se trouve en accotement de la route.

Saint-Siméon de Bressieux, avenue de La Cote, avec les rails du TDI
Saint-Siméon de Bressieux, la halte du tramway
Saint-Siméon de Bressieux, la gare moins fréquentée …
Le tunnel de Saint-Siméon de Bressieux en 2013
Chatenay
Gare de Viriville
Gare de Viriville
La gare de Viriville en 2013
Extension du réseau

Toute reproduction, même partielle, de cet article est soumise à l’accord préalable de l’auteur

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TDI, TOD, histoire d’un train entre Saint-Marcellin et Lyon. Chapitre 2

Résumé des épisodes précédents. Le Gouvernement lance en 1878 un immense plan de travaux publics. Sont notamment programmées 8700 nouveaux km de voies ferrées d’intérêt général. Les Départements sont invités à organiser la réalisation d’un réseau local reliant tous les Chefs-Lieux de canton. C’est dans ce contexte que se place notre ligne entre Saint-Marcellin et Lyon.

Les premières concessions en Isère

Le Département de l’Isère dispose déjà d’un solide réseau ferré d’intérêt général, au gabarit de 1,43 m, exploité par PLM, l’ancètre de la SNCF. En sus de la présence de la ligne Lyon-Marseille sur la bordure ouest du département, nous avons:

  • Saint-Rambert d’Albon – Grenoble, achevé en 1858
  • Lyon – Grenoble, achevé en 1862
  • Valence – Grenoble, achevé en 1864
  • Grenoble – Montmélian, ouvert en 1864
  • Grenoble – Gap ouverture complète en 1878

Le Département de l’Isère ne reste pas inactif. Par Déclaration d’Utilité Publique (DUP), la Compagnie des Chemins de Fer Economiques du Nord (CEN) se voit attribuer la construction d’une ligne métrique entre Vienne et Bonpertuis, dont le premier segment Vienne – Saint-Jean de Bournay est ouvert en 1891.

Le 17 août 1897, avec DUP en date du 12 janvier 1898, une concession est attribuée à CEN pour des lignes à voie métrique entre La Côte Saint-André et le Grand Lemps, et entre Saint–Jean de Bournay et Saint-Marcellin. Le cœur imaginé de ce nouveau réseau est Saint-Jean de Bournay. Cette concession est très rapidement rétrocédée à la Compagnie des Tramways du Département de l’Isère, une société créée pour l’occasion (TDI). Le capital souscrit est de 4 millions de francs, sous forme de 8000 actions de 500 francs.

Action TDI de 500 francs – 1898

Les travaux commencent de suite. Le 18 juin 1899 est ouverte la ligne entre La Côte Saint-André et le Grand Lemps. Une ligne de 13,5 km parcourus en 50 minutes, avec arrêt à Séminaire, Chozaux, Gillonay, La Fournache, Saint-Hilaire de la Cote, La Frette, Bevenais, La Bourgeat et Le Grand Lemps.

Gare de La Frette, sur la ligne La Cote Saint-André – Le Grand Lemps

Puis c’est au tour de la section entre Saint-Jean de Bournay et La Côte Saint-André d’être ouverte le 17 décembre 1899. Cette première partie de la future ligne entre Saint-Marcellin et Lyon représente 18 km parcourus en 60 minutes, avec arrêt à Les Monts, Villeneuve-Bonnevaux, Lieudieu, Semons centre, Semons gare, La Blache, Balbins-Ornacieux et La Côte Saint-André ville.

Saint-Jean de Bournay, entrée ville par l’avenue de la gare
Saint-Jean de Bournay, la gare TDI
En gare CEN de Saint-Jean de Bournay
En gare de Semons
Gare de La Côte Saint-André
Le tramway dans La Côte Saint-André

Saint-Jean de Bournay devient ainsi le croisement de deux lignes: celle de la CEN en provenance de Vienne et celle de TDI en direction de La Côte Saint-André. Chaque société dispose de sa gare, distante de l’autre de moins de cent mètres et les voies se croisent.

Saint-Jean de Bournay, atelier de la CEN
Saint-Jean de Bournay, les deux gares: CEN et TDI
Le premier barreau de la ligne de Lyon à Saint-Marcellin …

17 janvier 2021. Avec l’aimable autorisation de l’Association des Amis de la Galicière, voici une remarquable photographie de la Pinguely 030T dans La Côte Saint-André, réalisée en 1900 par le chanoine Romain Crozel. ( https://www.galiciere.org/ )

Chanoine Romain Crozel-La Côte Saint-André-©Association Les Amis de la Galicière

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TDI, TOD, histoire d’un train entre Saint-Marcellin et Lyon. Chapitre 1

C’est en 1982 que je me suis intéressé pour la première fois à cette histoire de train qui reliait Saint-Marcellin, en Isère, à Lyon. Un an plus tard, après une longue reconnaissance des premières parties du trajet, un diaporama « TOD, TDI et Cie » était présenté au public d’un festival local de diaporamas: Diaphane. Tout cela n’est pas d’aujourd’hui….

En 2020, nombreux sont celles et ceux qui ont tenté de retracer cette aventure et qui ont partagé leurs recherches, parfois même en se recopiant les uns les autres. Mon objectif est de dresser une synthèse de tout ce qui concerne ce réseau. En ouvrant cette synthèse par une réflexion sur ce qu’était le contexte historique, politique et industriel lors de sa création. Et en fermant ce travail par une autre réflexion sur les effets induits du réseau et les causes de sa disparition.

Toutes les références bibliographiques seront publiées au terme de la rédaction de ce projet.

Le Plan Freycinet

Quatre dates pour un peu d’histoire.

1871 est marqué par la révolte dite de la Commune de Paris (18 mars – 28 mai), écrasée par les troupes « versaillaises », de Versailles où Thiers s’était réfugié.

1873, le maréchal de Mac Mahon devient Président de la République, une république conservatrice. Il le restera jusqu’en 1879, malgré de fortes pressions, et sera remplacé par Jules Grévy.

1875, la Troisième République est proclamée officiellement le 30 janvier.

1878, l’ambiance sociale et politique est dominée par l’Exposition Universelle de Paris, consacrée aux nouvelles technologies (1er mai 1878 – 31 octobre 1878).

C’est dans un contexte de foi en un avenir de progrès, grâce à la technique, que le ministre des Travaux Publics, Charles de Freycinet, lance un gigantesque programme de travaux. Celui-ci s’appuie sur trois orientations.

a) La construction, sous l’égide de l’Etat, de 8700 km de voies ferroviaires d’intérêt général au gabarit de 1,43 m d’écartement. Toutes les sous-préfectures doivent être accessibles par le train ! Les Conseils Généraux des départements, pour leur part, sont invités à relier tous les chefs lieux de cantons par des voies d’intérêt local, au gabarit de 1,00 m d’écartement (voie métrique).

b) L’aménagement d’un réseau fluvial de 14600 km de voies existantes et la mise en chantier de 1900 km de canaux nouveaux. Un gabarit Freycinet est appliqué, lequel demeure encore le gabarit européen de classe I. Les péniches de 38,5 m de long sur 5,05 m de large pénètrent dans des écluses de 39 m de long sur 5,20 m de large !

c) La modernisation de 116 ports: agrandissement et approfondissement des bassins, extensions des quais, …

Le Plan Freycinet, d’un coût programmé de 4,5 milliards de 1878, prévu pour être décennal, ne sera pratiquement achevé qu’en … 1914.

Concernant les voies ferrées, le réseau principal (1,43 m) passera de 560 km en 1841 à 25000 km en 1875, avant de se voir complété par 8700 km du Plan Freycinet. Seules, les sous-préfectures de Castellane et de Barcelonette ne verront jamais le train. Quant au réseau métrique reliant les chefs lieux de cantons, il passera de 2187 km en 1880 à 17653 km en 1913, à son apogée. C’est dans ce réseau secondaire qu’il convient de placer la ligne reliant Saint-Marcellin à Lyon.

Le réseau ferré en 1850.
Le réseau ferré en 1860, apparition des petites compagnies.
Le réseau ferré en 1870.
Le réseau ferré en 1890.
Le réseau ferré entre 1910 et 1930.
Le réseau voyageur en 1954.

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Ecriture

Rêves de soie

Chronique ordinaire du confinement …

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je pense qu’il faut que je vous explique un peu de quoi il s’agit. Ce sont des documents retrouvés chez ma mère, en faisant l’inventaire et le tri de tout ce qu’elle a pu rassembler dans son galetas, en matière de papiers, de journaux ou de revues. Ces documents étaient dans une petite chemise et accompagnaient une coupure de presse du quotidien de sa vallée des Cévennes : l’« Echo de la Vallée », vous l’auriez presque deviné !

La date est celle du 18 avril 1965, un dimanche, dans l’édition dominicale de ce quotidien. Il ne s’agit pas vraiment d’une interview de ma mère, Louise de son prénom,même si l’article est présenté sous forme de questions-réponses, car la rencontre avec la journaliste avait visiblement été préparée longtemps à l’avance. Dans cet entretien, elle ne parle pas d’elle, mais de sa mère à elle, c’est à dire de ma grand-mère, Joséphine, et de son existence, quelques années durant, dans une magnanerie-filature installée dans cette fameuse vallée.

Curieusement, mais peut-être fallait-il s’y attendre, la journaliste l’interroge derechef sur ce métier de la soie en lui demandant « quels étaient les rêves qu’il suscitait chez sa mère et en elle». Mais de rêves, point ! Bien sur, elle n’a directement jamais connu cette usine qui a laissé tant de traces dans la région. Joséphine, qui était née en 1866, y avait travaillé quelques années, entre ses 13 ans et ses 18 ans, et avait du abandonner cet emploi en 1884. Après s’être mariée, elle avait donné naissance à sa fille Louise, ma mère, en 1888. Par contre, ma grand-mère et ma mère ont du souvent discuter de ce travail, si l’on en croit la richesse des informations que contient ce dossier.

Joséphine vivait à la campagne, pauvrement, auprès de ses parents cultivateurs : quelques bêtes, un cochon, des poules, des lapins, un peu de vignes, du seigle, et surtout, surtout, des mûriers, … Sa mère déjà avait travaillé à la filature et la place de sa fille y était presque réservée d’avance. Autrefois, l’exploitation familiale se livrait à l’élevage du vers à soie. Mais depuis quelques années, depuis le début de l’industrialisation, les fabriques avaient pris la place de cet artisanat en réunissant sur un même lieu l’élevage du vers dans la magnanerie, là où il grandit, subit plusieurs mues et mastique bruyamment des feuilles de mûrier du matin au soir, le traitement des cocons, ces petites boules de douceur, afin d’en faire « naître » un interminable fil de soie, jusqu’à près de mille mètres, et le moulinage de l’organsin, le fil de chaîne, dans la filature. Le personnel était quasi exclusivement constitué de femmes, de jeunes femmes, de très jeunes filles. Seuls, quelques techniciens compétents en mécanique, en force hydraulique ou en étuvage, ainsi qu’un ou deux contremaîtres, étaient des hommes.

Les ouvrières étaient recrutées dans les villages voisins, en juin, sitôt les premiers cocons triés par de très nombreuses petites mains, lors de la période majeure de l’agriculture, celle des récoltes, des moissons et des vendanges. Ce travail de production du fil de soie se poursuivait jusqu’à la fin de l’hiver, voire le début du printemps, selon la quantité de cocons achetés ou récoltés. La production de fil était alors transférée au moulinage pour y être stockée, parce que le moulinage se pratique toute l’année. Et, s’il y en avait le besoin, de nouvelles ouvrières étaient embauchées après les récoltes pour intégrer la fabrique. Les ouvrières ne quittaient pas l’établissement tant que la tâche n’était pas achevée. Dans l’atelier de Joséphine, elles étaient quarante. Huit à dix d’entre elles ne restaient qu’un an. Les autres, les plus jeunes, supportaient le travail pendant quelques cinq ans au maximum puis se mariaient et rejoignaient souvent l’exploitation agricole de leur conjoint. Il faut dire que les ouvrières, pour plus d’un tiers d’entre elles, étaient encore des enfants d’à peine plus de 12 ans.

Joséphine était-elle une militante de la cause des ouvrières ? Rien ne nous permet de l’affirmer. Cependant, son dossier contient des fiches exceptionnelles par leur précision. Ainsi, les horaires de travail que l’on rencontrait fréquemment en 1870 dans ce type d’ateliers voués à la soie et à sa fabrication : début à 4 heures du matin, à 6 heures pause de 15 minutes, une autre pause de 30 minutes à 7 heures 30, puis 15 minutes à 9 heures 30, et 1 heure complète à 11 heures afin de prendre un repas frugal composé de légumes et de féculents, à 2 heures 15 minutes, 30 minutes à 3 heures 30, encore 15 minutes à 6 heures, avant d’achever la journée de travail à 8 heures du soir. Soit 16 heures de présence quotidienne, alors que depuis 1848 la durée est fixée à 12 heures de travail.

Ou encore, ce relevé des salaires journaliers versés aux travailleurs : 2,50 francs pour les hommes, de 1,00 à 1,20 franc pour les femmes et de 40 à 70 centimes pour les enfants. Et pourtant, il y avait eu quelques progrès puisque l’âge de travail des enfants avait été fixé à 12 ans en 1874, alors qu’il était de 8 ans en 1841 !

Egalement, cette citation du maire de Cavaillon, écrivant au Préfet du Vaucluse, le 16 juillet 1852: « Le travail de la soie est un travail des plus pénibles et des plus malsains, les accès de fièvre dont toutes, ou presque toutes, les ouvrières sont atteintes chaque année le prouvent suffisamment ». Louise explique à la journaliste ce qu’étaient les conditions de travail de ces jeunes filles : la chaleur moite de la magnanerie et des étouffoirs à cocons, le vacarme des filatures qui rend sourd, l’insalubrité générale des bâtiments, le dortoir à quarante, les latrines au fond d’un couloir obscur, la quasi impossibilité de faire une toilette régulière, l’encadrement strict par les contremaîtresses qui contrôlent le rare courrier qui peut être adressé aux filles, les amendes infligées pour des défauts dans le travail ou des manquements à la discipline, les nombreux cas de tuberculose ou de fièvre typhoïde, la pression de religieuses lorsque l’on n’est plus au travail (il y a même une chapelle de la Vierge dans cette usine comme dans toutes celles de la région).

L’usine était un bagne dont les ouvrières recluses et confinées ne sortaient que le samedi soir afin de rejoindre leurs familles et revenir le dimanche soir, voire très tôt le lundi matin, chacune munie du pain nécessaire pour toute la semaine.

Pour clore l’entretien, ma mère raconte comment Joséphine avait rejoint, en quittant l’usine, un homme qui s’était spécialisé dans le commerce de la feuille de mûrier. Au hasard des souvenirs, on peut y apprendre qu’ils venaient tous deux chaque année à Saint-Marcellin, une petite ville du Dauphiné sur les bords de l’Isère, afin de cueillir les feuilles d’une partie des 114 mûriers plantés par cette ville sur le Champ de Mars. L’expérience de son époux leur valait régulièrement d’être sélectionnés lors de l’adjudication aux enchères de cette cueillette. Voilà le seul rêve que Joséphine aura bien pu raconter : quitter sa campagne pour passer 48 heures en Dauphiné. Un rêve de courte durée puisque l’une après l’autre les usines de la soie vont fermer. Depuis longtemps déjà, la production chute régulièrement à cause des maladies : la soie de France doit laisser la place à la fibre venue de l’étranger. L’usine dans laquelle se sont écoulées quelques années de sa jeunesse a fermé en 1914. Il n’y avait pas de rêves soyeux dans la tête de ma grand-mère, il n’y en avait pas, non plus dans les têtes des ouvrières de la soie. Ainsi soient-elles ….

Ainsi soient-elles ? Mais qui donc la soie fait-elle rêver ?

Au hasard des innombrables commentaires qui envahissent nos écrans et nos journaux ou magazines, m’est revenue une réflexion sur la Route de la Soie. Ce grand projet, imaginé par la Chine et visant à réorganiser les échanges commerciaux entre ce pays et l’Occident. Et, au-delà des échanges commerciaux, peut-être renforcer la suprématie géopolitique de la Chine.

La Route de la Soie (ou les Routes de la Soie, car les itinéraires étaient multiples) date de 2300 ans au moins. Pourtant, la légende décrit sa découverte par une impératrice de la première dynastie chinoise en 2070 avant Jésus-Christ ! Alors qu’elle buvait son thé, assise sous un mûrier, un cocon de bombyx serait tombé dans sa tasse. Au lieu de le retirer, elle entreprit de tirer sur le fil qui s’en détachait grâce à la chaleur du liquide. Ce fut le premier fil de soie.

Cette légende démontre bien que la soie a toujours été le signe des gens de pouvoir, de la haute société. Ils n’en rêvent pas, ils la possèdent et en gardent jalousement le mode de fabrication sous peine de mort.

Au cours des siècles, laque, poudre à canons, cuirs et fourrures, ivoire, jade, herbes médicinales parvenaient en Europe, en échange de chevaux, métaux précieux, or et argent, armes, textiles, perles de verre, céramiques, … Pendant très longtemps, la soie n’a pas fait l’objet d’un commerce. Compte tenu de sa grande valeur et du mystère qui entourait sa fabrication, elle était avant tout offerte aux souverains et aux seigneurs des pays traversés afin de les flatter et les remercier d’autoriser ce passage. Et ceci a concouru à lui donner encore plus de valeur et encore plus de mystère.

En 1204, la Quatrième Croisade s’empare de Constantinople et ouvre aux croisés les portes de l’Orient. Marco Polo (1254-1324) n’a que 17 ans lorsqu’il part à la rencontre du petit-fils de Gengis Khan. La Route de la Soie connaît alors son apogée jusqu’au début du 14° siècle, dans le même temps que la dynastie des Yuan. Dès la fin du 14° siècle, le transport maritime entraîne le déclin de cette route chamelière, lente, longue, difficile, toujours sujette à des affrontements, des rivalités, des vols. Plus d’une année était nécessaire pour en effectuer le parcours complet.

La Route de la Soie n’a pas fait qu’échanger des marchandises. Elle a également permis de formidables brassages de cultures, de techniques, de religions. C’est par cette Route que le christianisme, le bouddhisme, l’islam, se sont répandus en Extrême-Orient. A l’inverse, les techniques d’imprimerie avec des caractères mobiles en bois ou en argile nous sont venues de Chine un ou deux siècles avant l’invention de Gutenberg. Enfin, c’est par cette Route que nous parvint, entre 1347 et 1352, la peste noire, celle qui tua environ 25 millions d’Européens.

Quoi qu’on en dise, la Route de la Soie est la première et la plus éloquente des manifestations de la mondialisation.

En ce 21° siècle, ressurgit le projet de nouvelles Routes de la Soie et fait encore rêver tous les puissants de ce monde et les chefs de l’industrie et du commerce. Pensez-donc ! Actuellement, le trajet de Shanghai à Amsterdam se fait en plus d’un mois par la mer et le Canal de Suez, en trois semaines par le train et en 12 à 15 jours par camion à condition d’avoir négocié les droits de douane avant le départ. A défaut, les contrôles à chaque frontière traversée augmentent ce temps de près de 20 %.

En ce 21° siècle, des milliers de camions qui parcourent l’ancien Monde, avec des chauffeurs confinés dans leurs cabines, seuls ou à deux pour gagner encore du temps, est-ce vraiment un rêve ?

Ou bien un cauchemar ?

Texte écrit lors d’une session d’Ecriture Créative (Sophie Collignon/UIAD)