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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – III

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

III – Quelques mots à propos des Carmes et de la place Lacombe-Maloc.

Face à l’hôtel du « Palais Royal » (ou « National »), face à la distillerie Dutruc, se trouvent les bâtiments du couvent des Carmes. Il est particulièrement intéressant de connaître les modalités de leur installation, laquelle date de 1453, décidée et favorisée par le Dauphin Louis II.

« Pour la construction d’un couvent parfait, d’église, de dortoirs et réfectoire, clôture et autres édifices nécessaires pour servir notre Seigneur, y faire le divin service et prier dieu pour la prospérité du monde et pour les âmes des trépassés et déjà pour la faire ont acquis toutes les maisons et possessions qui sont assises en notre dite ville de Saint-Marcellin, depuis leur dit couvent jusque à la porte de notre ville, appelée la porte de Romans, en l’assiette desquelles maisons et possessions, ils ont intention de faire leurs édifices et faire leur dit couvent parfait, ce qu’ils ne peuvent bonnement faire, ni le tenir clos, comme il appartient, sans eux aider des murailles et vingtains de notre dite ville a prendre depuis une tour carré qui est assise icelles murailles derrière leur dit couvent et presque en leur endroit de l’hôtel de Claude Luxe, bourgeois de notre dite ville, et venir jusque à la porte appelée la porte de Romans …… ….. …….. toutes fois qu’ils tiendront ladite muraille en défense convenable contre ennemis, si guerre y étoit et n’y fairont nuls fenestrages préjudiciables à la force et défense d’icelle ville et fairont faire du long d’icelles murailles au dessus de leurs édifices, allées convenables, créneaux et défenses par où les habitants de la ville pourront passer et eux tenir pour la garde et défense d’icelle ville, et fairont faire deux degrés et montées de pierre pour aller sur lesdites murailles et un auprès de ladite tour carrée, et l’autre auprès de ladite porte appelée de Romans, ces lieux qui seront plus convenables et chacune d’icelles montées, fairont une huisserie telle qu’il appartiendra, dont lesdits habitants de la dite ville auront une clef, et lesdits prieurs et convents une autre, excepté en temps de guerre que lesdits prieurs et religieux n’en auront point et seront aussi tenus de faire un chemin convenable à passer charriots, charrettes et mulets chargés au droit de la dite tour carrée pour passer entre leur dit couvent et la maison dudit Claude Luxe pour venir dudit chemin qui va au long desdites murailles en la grande rue qui passe par devant ledit Couvent et hostellerie du faucon……« . (Archives de l’Isère – 3 H 121). De cet acte, nous retiendrons que les Carmes sont autorisés à construire à l’intérieur de la muraille des remparts ; de toute la continuité des remparts de Saint-Marcellin, c’est le seul exemple puisque, partout ailleurs, les habitations se sont édifiées contre la face extérieure du rempart, sur le fossé comblé à la force du temps. Encore aujourd’hui, ce fait est parfaitement lisible sur la cartographie de la ville et il n’est qu’à examiner l’épaisseur des murs donnant sur les places Déagent et Lacombe-Maloc pour en être convaincu. Nous retiendrons également que ce quartier abritait au XV° siècle au moins une hôtellerie, celle dite du Faucon.

Porte de Romans – Dessin d’artiste – 1829
Porte de Romans – Dessin d’artiste -Valentine Michon

Après la Révolution, de 1789 à 1793, lorsque les couvents sont saisis comme biens nationaux et revendus, bien des choses évoluent. En ce qui concerne les Carmes, les bâtiments sont vendus le 9 février 1791 au bailliage de Saint-Marcellin et divisés en maisons de ville, le mobilier est dispersé, l’église est détruite, le rempart est percé et la place des Carmes est créée. De nombreux éléments d’architecture, sur les deux faces de cette place, témoignent encore de la présence de cette église.

Dans une délibération en date du 19 mai 1853, les édiles municipaux se proposent de nommer la « place publique »  sur laquelle donnent les bâtiments des anciens Carmes: « … en face du l’Hôtel du Palais Royal, il s’en trouve une que nous vous proposons d’appeler place Maloc. Lorsque les guerres de religion éclatèrent en France, le baron des Adrets, s’étant mis à la tête des protestants, avait soulevé toute la province et s’avançait rapidement vers Saint-Marcellin occupée par les catholiques, pour en faire le siège. Effrayée d’abord, une partie de la population s’était réfugiée à Chevrières, mais le reste, électrisé par le Prieur des Carmes et par Charles de la Combe Maloc, procureur du Roi au bailliage, résolut de défendre la place. La résistance fut énergique, mais la ville fut prise d’assaut le 24 juin 1562, livrée au pillage et aux sanglantes vengeances d’un vainqueur impitoyable et irrité. Lacombe Maloc expira traîné dans la rue, la corde au cou, et le Prieur des Carmes fut pendu, à la Porte de Romans ». Pourtant, le recensement de 1856 (Archives Municipales 1F4) dresse un relevé des habitants de cette place en lui donnant encore le nom de « Place de la Porte de Romans ».

Ce n’est que le 30 septembre 1860 que cette désignation de Place Lacombe-Maloc, ainsi que d’autres, fut effectivement décidée. Le texte de la délibération ne fait aucune référence à un nom antérieur attribué cette place : «  … que la place située à la suite du Boulevard Grassot (de nos jours boulevard Gambetta), sur laquelle se trouve la bascule, prendra le nom de Place Déagent (…) que la place à la suite de celle-ci s’appellera Place Lacombe-Maloc… ».

Paradoxalement, en 1862, soit six ans plus tard, un projet de percement visant à relier la gare à la place d’Armes est dressé sur un plan reprenant, cette fois, le nom de … place du Palais Royal ! Enfin, le plan de la ville, établi en 1887, permet d’établir la répartition de l’ancien bâtiment des Carmes entre divers propriétaires.

IV – Hôtel de France, Guttin

C’est une famille originaire du nord du département de l’Isère, de la Batie-Divisin et des Abrets, qui vient s’installer à Saint-Marcellin au cours des derniers mois du XIX° siècle : les Guttin. Pierre Guttin, né en 1821, cafetier et cultivateur, et Olympe Belmont, son épouse en secondes noces, ont un fils, né aux Abrets le 17 août 1867, qu’ils nomment Jules Pierre.

Trente deux ans plus tard, le 7 janvier 1899, Jules Pierre épouse à Puy-Saint-Martin, dans la Drôme, Léonie Isabelle Michel. A cette date, il habite Saint-Marcellin depuis quelques temps. Tout simplement parce que le couple
ambitionne de créer un hôtel-restaurant, sous le nom de « Grand Hôtel de France », là où se tient peut-être déjà une simple auberge, tout à fait en face de ce qui fut l’Hôtel du « Palais Royal » ou du « Palais National ». En effet, les recensements successifs dévoilent la présence d’un aubergiste installé sur la place Lacombe-Maloc ; Xavier Glénat en 1866, puis Barthélémy Bonnet à partir de 1872 et jusqu’en 1891. La date d’ouverture inaugurale de ce nouvel hôtel a été fixée au 26 février 1899, soit dans moins de deux mois après le mariage.

[ L’étude patrimoniale conduite en 2019 par les Architectes du Patrimoine (Catherine Pichat, Maxime Boyer et Jérémy Dupanloup) nous affirme que le bâtiment des Carmes bordant la place, celui qui fut auberge et qui devint hôtel-restaurant, était le réfectoire des moines.]

Ce 26 février 1899, jour d’inauguration, Jules Pierre Guttin propose un menu de fête. Qu’on en juge. Entrées saucissons, beurre, olives, Bouchées à la Montglas, Brochets du Rhône en sauce Gribiche, Filets de bœuf Renaissance, Poulardes de Bresse Demidoff, Cèpes à la crème, Grives rôties sur croustade, Bombe Nesselrod, Gaufrettes, Dessert assorti, Vins fins et Champagne. Ce menu d’abondance et la liste des spécialités qui le composent vont devenir l’image de marque du chef Guttin.

26 février 1899 – Menu inaugural

Sept mois plus tard par exemple, le 18 septembre 1899, le menu affiché, dont on ignore la raison d’être, est aussi riche et alléchant. Après les entrées classiques et les Bouchées à la Reine, viendront Saumon en sauce Hollandaise, Filet de bœuf Madère et champignons, Poulardes braisées Victoria, Haricots verts maître d’Hôtel, Cèpes bordelaise, Perdreaux rôtis sur croustade, Jambon d’York à la gelée, Glace pralinée, Pièce montée, Brioches, Dessert, Mercurol, Morgon et Saint-Peray.

Le 7 décembre 1899, à Saint-Marcellin, naît un fils, qui restera unique, et qui porte les prénoms de René Joseph. Dans le recensement de l’année 1901 (Archives Municipales 1F13), Jules Pierre, noté comme chef, et Léonie, son épouse, sont accompagnés de Céline Didier, femme de chambre, Sylvain Avenier, employé et Antoine Philibert, cuisinier. Par contre, le petit René, âgé à peine d’un an, est répertorié dans la famille Pellat, à Chavozan. L’enfant a été placé auprès d’une nourrice compte tenu des charges liées à la gestion de l’hôtel.

Découvrir la vie, les changements, de l’ »Hôtel de France » par le biais des cartes postales anciennes est une méthode assez passionnante parce que celles-ci ont été nombreuses au cours des années. La plus ancienne dont nous ayons connaissance a été publiée dans les toutes premières années du XX° siècle puisque la correspondance est signée de 1902. Cela n’empêche pas que cette image soit anachronique en ce sens qu’elle met en évidence, au coin de la Grande Rue, un café nommé « Café du Tramway» alors que la voie ferrée n’est manifestement pas construite et que la mise en service de la section Roybon-Saint-Marcellin du dit tramway se fera solennellement en septembre 1908. L’explication est donnée par le fait que les plans d’expropriation des terrains permettant la construction du segment de cette section de voie ferrée ont été établis en 1900, mais que les chantiers ont été retardés par la faillite de l’exploitant du tramway, des grèves et la reprise du dossier par le Département de l’Isère.

La terrasse de l’hôtel, donnant sur la place Lacombe-Maloc est décorée d’arbustes plantés dans des demi-tonneaux de bois. Un cheval blanc, attelé à une calèche, attend l’heure d’aller en gare, celle du réseau PLM, déposer quelques voyageurs dont les valises sont déjà sur le toit. Au centre de la place, une femme se tient appuyée sur un chariot, sorte de brouette à grandes roues, peut-être une blanchisseuse venue livrer les draps et serviettes de l’hôtel après en avoir effectué le lavage. En effet, un lavoir fermé et couvert existe à l’angle du Champ de Mars, à 200 m de là. De l’autre coté de la place, face à l’hôtel tout neuf, rien ne signale l’ancien « Hôtel du Palais … National ».

Carte postale ayant circulé en 1902

A suivre !

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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin -II

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

II – Absinthe ou thé au mandarin ?

Le recensement de 1841 (Archives Municipales 1F1) relève l’existence d’un Etienne Dutruc, domicilié dans la Grande-Rue. Il est avoué de profession, son épouse Eugénie Boissieux, sa fille Céline, deux clercs, Hypolite Bourdillon et Francisque Francon, ainsi que deux domestiques, Victor Perret et Louise Martin vivent sous son toit. Etienne Dutruc est né à Tullins, le 15 février 1793, où son père exerçe le métier d’huissier public, mais la famille est originaire de Saint-Chef et Viriville. Par ailleurs, les cartes Cassini et d’Etat-Major signalent une propriété Dutruc aux environs des Ouillères, à l’emplacement possible de l’actuelle gendarmerie. Les recensements ultérieurs, de 1846 à 1861, ne signalent plus aucun Dutruc dans la Grande-Rue. Sauf que le plan d’alignement des voiries établi en 1848, indique un Dutruc propriétaire d’un logement rue des Remparts. Le nom de Dutruc est donc déjà présent à Saint-Marcellin, mais ce n’est pas d’eux dont nous allons parler.

En 1828, Joseph Dutruc, épicier en gros, crée au Grand-Lemps une distillerie qui devient rapidement une entreprise novatrice gérée par une dynastie qui éprouve le besoin de s’étendre. Les bâtiments existent encore, transformés en espace culturel. Après son décès en 1851, l’entreprise revient à son fils Auguste qui fonde la « Société Auguste Dutruc fils et Cie« . Il est marié avec Joséphine Dutruc, née en 1812, d’une autre lignée puisque son père est Claude André Dutruc (1783-1858) et sa mère Eugénie Euphrosine Micoud. Le frère de Joséphine, Lucien Romain, travaille dans l’entreprise depuis de longues années. En 1863, Auguste Dutruc décède, il n’est âgé que de 55 ans, et c’est Joséphine Dutruc, sa veuve, qui prend le relais et assoie le succès de l’entreprise sur le commerce de l’absinthe. Mais Lucien Romain s’en éloigne et vient à Saint-Marcellin où il crée la distillerie Romain Dutruc, place Lacombe-Maloc. Il est assez aisé de confirmer cette date. En effet, il se marie le 14 mars 1861, à Renage, avec Julie Victoire Chapel/Chappel, mariage qui donnera deux garçons : Pierre André Jules, né le 14 avril 1862 au Grand Lemps, et Romain Marius, né le 6 avril 1864 à Saint-Marcellin.

Ainsi que nous l’avons déjà vu à, l’occasion de la vente manquée des locaux de l’hôtel du Palais Royal à la gendarmerie en 1863, la distillerie Romain Dutruc est bien née entre 1862 et 1864, tout d’abord avec la complicité d’un associé, Marius Grillat, qui laissera sa place après quelques années.

Facture Dutruc et Grillat de 1867

Romain Dutruc dispose d’un bon relais publicitaire, puisque l’on retrouve sa marque et ses productions dès 1867 (Le Journal de Montélimar, 16 novembre 1876), 1878 (Le Journal de Tournon, 24 février 1878), 1882 (Le Journal de Montélimar, 14 janvier 1882), 1891 dans « La France Chevaline » (!), avec la liste suivante des productions de Romain Dutruc et Fils : « Spécialité d’Absinthe, Ratafia de cerises, Thé au Mandarin, China-china, Peppermint, … », dans « Le Panthéon de l’Industrie » du 22 avril 1888, sous la forme d’un bel article sous deux colonnes reprenant les fabrications de la distillerie, vantant leurs qualités et affirmant que la distillerie Romain Dutruc serait installée à Saint-Marcellin depuis 1852. Affirmation contestable car, à ce jour et comme on l’a déjà vu, les recensements de 1851, 1856 et 1861 ne permettent pas de mettre en évidence un Dutruc parmi les citoyens saint-marcellinois. D’autres références à l’activité de la distillerie se trouvent encore dans la « Revue des Vins et Liqueurs » en 1895 et 1899, puis dans « Le Caviste » en 1907, …

Outre son engagement patronal, il s’engage dans la vie publique de Saint-Marcellin au point d’être nommé Officier d’Académie par décret du 24 décembre 1892, ce qui honore son action de conseiller municipal, de membre du bureau d’administration du collège depuis 19 ans et de délégué cantonal depuis 15 ans (JO du 30 juillet 1892). Né en 1819, Lucien Romain décède à Saint-Marcellin en 1901. Le Conseil Municipal prononce un hommage en son honneur pour ses « plus de trente années de fermeté républicaine et de dévouement à la chose publique ».

Depuis plusieurs années déjà, vers 1887-1888, ses fils ont pris la succession dans la gestion de l’entreprise.

Pierre André, l’aîné, s’est engagé volontaire pour 5 ans, le 5 mars 1883, à Saint-Marcellin, au 4° Régiment de Dragons. Il a 21 ans. Il est nommé brigadier en septembre, brigadier-fourrier en octobre, maréchal des logis en mai 1885. Il est mis en congé le 20 septembre 1887 et définitivement libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1908.

Romain Marius est initialement dispensé du service (Art 17) en raison de la présence de son frère sous les drapeaux, il est ensuite réformé le 8 avril 1891 pour chevauchement d’orteils. Ce qui ne l’empêche pas de faire une « période » de trois semaines, en avril 1888, dans le 3° de Ligne.

Etiquette du Thé au mandarin

Etiquette du Quinquina Romain Dutruc, à Saint-Marcellin

Grace aux divers recensements, la vie de la distillerie est aisée à comprendre. C’est ainsi que le recensement de 1896 (Archives Municipales 1F12) note que vivent plusieurs ménages dans la même maison sur la place Lacombe-Maloc : Pierre André Dutruc, 34 ans, distillateur, Marie-Joséphine Thomas, 26 ans, son épouse, Denise, une fille de 3 ans et Georges Joseph, un garçon de 37 jours. S’ajoutent une domestique (Marie-Charlotte Achard) et une cuisinière (Marie Massier).

Dans le logement voisin, habitent le frère de Pierre André, Romain Marius Dutruc, 31 ans, distillateur également, Françoise Thomas, 23 ans, son épouse, une domestique (Marie Rodon) et une cuisinière (Marie Sarlet). A coté, c’est un couple d’ouvriers distillateurs ayant une fille de 11 ans, les Debourg. Enfin, vit le couple d’Amédée Dye, négociant, et de Maria Morand, son épouse. Sont-ils les représentants en titre de la Maison Dutruc ?

Dans le cadre de ce recensement de 1896, nous trouvons également les parents Dutruc, domiciliés à quelques pas de là, rue Saint-Laurent : Romain, âgé de 76 ans, Julie Chappel, son épouse, âgée de 69 ans, une fille, Marguerite, 20 ans et un domestique. Autre confirmation que nous permet ce recensement : les deux frères Dutruc, Pierre André et Romain Marius, ont épousé deux sœurs ; Marie-Joséphine et Françoise Thomas.

En 1901 (Archives Municipales 1F13), la place Lacombe-Maloc abrite la famille de Pierre André ; les enfants ont grandi et la femme de chambre et la cuisinière ne sont plus les mêmes. Du coté de Romain Marius, tout a évolué aussi puisque le couple a désormais une fille de 4 ans, Odette, et une autre fille de 9 mois, Madeleine. En 1906 (Archives Municipales 1F14), le recensement ressemble fortement au précédent, mis à part que les deux frères sont devenus liquoristes et non distillateurs !

En 1911 (Archives Municipales 1F21), il n’y a plus de Dutruc sur la Place Lacombe-Maloc, mais un limonadier ; Louis Picot, qui sera présent jusqu’en 1926. Par contre, sur la liste électorale, existe encore Pierre André ; il a 49 ans.

Fondée entre 1862 et 1864, la distillerie Dutruc s’est éteinte entre fin 1908 et 1911, soit une existence de 45 à 47 ans. Quelles en sont les raisons ? Il en reste deux initiales, « RD », sur la porte d’entrée de ce qui fut la distillerie Romain Dutruc.

Portail des anciennes distilleries Romain Dutruc (DR)

A suivre !


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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – I

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

Saint-Marcellin a deux faubourgs. Le Faubourg de Vinay est situé au nord-est de la ville lorsque l’on arrive de Grenoble. Le Faubourg de Romans est situé au sud-ouest de la ville lorsqu’on la quitte pour Valence. Il est également dénommé Faubourg Saint-Laurent, en référence à une chapelle dédiée au saint éponyme, chapelle dont il n’existe guère de traces historiques, cadastrales ou ruiniformes.

Ces deux faubourgs n’ont pas la même histoire, ni démographique, ni économique. Le plus ancien plan de Saint-Marcellin, le plan Peyret, réalisé en février 1746 par l’arpenteur royal des eaux et forêts, soit environ deux générations avant la Révolution française, ne représente pas ces deux faubourgs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’existent pas, seulement un seul d’entre eux est cité, « Le fauxbourg », et il s’agit du faubourg Vinay. A l’opposé, au-delà de la Porte de Romans, la route de Romans est suggérée avec, coté ouest « La Blache », propriété du comte du même nom, et coté est, un bâtiment non désigné.

Plan Peyret (détail) – 1746

L’objet de cet article étant, entre autres, de traiter de l’hôtellerie dans ce faubourg de Saint-Marcellin, signalons qu’en 1768, le hôtels étaient, dans la ville, au nombre de quatre, connus sous les noms suivants : « Hôtel du Petit Paris », « Hôtel du Faucon », « Hôtel du Chapeau-Rouge », « Hôtel de l’Hermite », outre cinq cabarets et deux ou trois tavernes, selon Reymond Bonnat, auteur d’une « Histoire de Saint-Marcellin, depuis les origines jusqu’à 1800 », ouvrage publié en 1888.

I – Hôtel du Palais Royal du sieur Crozel

En première partie du XVIII° siècle, une famille s’installe à Saint-Marcellin et à Chatte : les Crozel. L’ancêtre en est Marc Crozel, originaire du viennois où il possède des terres, né en 1694, marié en 1721 à Saint-Marcellin avec Jeanne Joannais. L’un des enfants qui naît en 1738, Joseph, épouse à Saint-Nazaire-en-Royans Françoise Chalvet. Celle-ci aura une identité fluctuante au cours des années. Née Charvet, en 1739, elle sera Chalvet, domiciliée à La Plaine de Saint-Marcellin, en 1820, lors de son décès. Il en sera d’ailleurs de même pour le nom de Crozel qui sera parfois formulé comme Crozet. Tous deux, Joseph et Françoise, décèdent en 1824 et 1820 après avoir donné naissance à Joseph (Melchior) Aimé en 1768, Anne Appolinie en 1774, Jean Romain en 1775, Marc Louis en 1777 et Marc Laurent en 1781.

Que peut-on dire de chacun ?

– Joseph (Melchior) Aimé, né en 1768 à Chatte, épouse Suzanne Chevallier en 1792. Il meurt en 1853. Son acte de décès le qualifie de rentier et précise que son domicile se trouve à la Porte de Romans, à Saint-Marcellin.

– Anne Appolinie, surnommée Pauline, née en 1774, décède à 98 ans en 1872, à Saint-Marcellin. Elle est alors qualifiée de rentière, célibataire et domiciliée place Lacombe-Maloc à Saint-Marcellin. Célibataire, sans doute, elle a une fille prénommée Marie, née le 20 juin 1799, dont la naissance n’est déclarée que le 25 avril 1802, soit presque 3 années plus tard, qui porte son nom de Crozel et qu’elle adopte, probablement pour des raisons de succession, par un acte du 9 janvier 1836, transcris à Saint-Marcellin le 13 avril 1836. Marie a 37 ans !

– Jean Romain, né en 1775 à Chatte, épouse Anne Elisabeth Robert dont il a deux enfants jumeaux ; Anne Julie et Jean Romain (fils), nés en 1803. Devenu veuf, il épouse en secondes noces Louise Chevallier. Désigné comme « fermier du Domaine de Manne, à Saint-Just-de-Claix » lors de son mariage, il est qualifié de rentier, domicilié Porte de Chevrières à Saint-Marcellin lors de son décès.

– Marc Louis, né en 1777, toujours à Chatte, épouse à Vourey, en 1809, Joséphine Marie Blandine Suzanne Raymonde Martinon la Batie. Le couple devient « fermier des héritiers Béranger au Molard » à Saint-Marcellin. Il a trois enfants ; Louis Joseph, né en 1810, propriétaire rentier à son décès, domicilié Porte de Romans à Saint-Marcellin, Joseph, né en 1812 et clerc d’avoué, et François, né en 1815. L’aîné des trois, Louis Joseph, épousera sa cousine Adèle, la fille de Marc Laurent.

– Marc Laurent, enfin, né en 1781. Il se marie avec Sophie Bruyas dont il a une fille, Adèle, née en 1815 à Vienne. C’est elle qui épouse son cousin Louis Joseph, le fils de Marc Louis. Adèle meurt en 1880, qualifiée sur l’acte de décès de « rentière, domiciliée Grande-Rue » à Saint-Marcellin.

Les Crozel se font plus rares lors d’une cinquième génération. Le mariage de Louis Joseph, fils de Marc Louis, et d’Adèle, ( la fille de Marc Laurent ), donne naissance à Marc Louis Joseph, Grande Rue à Saint-Marcellin, en 1837 et à Marie Louise en 1842. Malheureusement Marie-Louise décède à 17 ans, en 1858, Porte de Romans à Saint-Marcellin.

Marc Louis Joseph, épouse en 1861 Jenny Cuchet, native de Saint-Antoine. Le couple a trois enfants : Francisque, né en 1862, marié à Joséphine Reboud, tous deux parents de Anne-Marie Crozel, née en 1897, Romain, né en 1864, devenu chanoine, directeur du Petit Séminaire de Saint-Antoine et bien connu à La Galicière, filature de soie à Chatte, et Marie, née en 1875, restée sans postérité.

Cette généalogie met en évidence le fait qu’une lignée « Crozel » a fréquemment été citée comme résidant dans le quartier de la place Lacombe-Maloc, du faubourg ou de la Porte de Romans, ainsi qu’en témoignent les actes (naissance, mariage et décès) de 1792, 1811, 1858, 1872 …

Dans le même laps de temps, la cartographie nous précise qu’un hôtel était installé en ce lieu, très exactement à l’angle des voiries actuelles de la rue Saint-Laurent et de la place Lacombe-Maloc. Le Cadastre Napoléonien de 1830 ne nous renseigne pas sur la nature des propriétés, mais il démontre clairement que le Faubourg Saint-Laurent est infiniment moins peuplé et moins construit que le Faubourg de Vinay.

Cadastre Napoléonien -1830

Cadastre Napoléonien (détail) -1830


Le prochain relevé dont nous disposons date de 1834, soit 88 ans après le plan Peyret. Il concerne un projet d’alignement de la Grande Rue afin de lui donner une largeur à peu près constante sur toute sa longueur et faire en sorte qu’elle soit plus rectiligne. Cette carte signale un « Hôtel du Palais Royal » à l’angle d’une « place publique » extérieure au rempart et d’une rue Saint-Laurent, coté sud-est, hôtel dont le propriétaire est le Sieur Crozel.
De l’autre coté de la rue Saint-Laurent, la carte mentionne la propriété du comte de La Blache, alors qu’il s’agit déjà, depuis 1816, du second couvent des Visitandines.

Treize ans plus tard, en 1847, dans le volumineux « Annuaire Général du Commerce et de l’Industrie », édité par la Librairie de Firmin Didot Frères (1900 pages!), se trouve un descriptif des responsables administratifs, commerciaux et industriels de l’arrondissement de Saint-Marcellin. Au chapitre des hôtels de la ville, sont cités l’« Hôtel du Petit Paris », l’« Hôtel du Palais Royal »,  l’« Hôtel (des) Assurances », l’« Hôtel des  Courriers » et l’« Hôtel du Midi ». Entre 1857 et 1863, l’« Hôtel du Palais Royal » n’apparaît plus dans cet almanach et l’on peut penser, compte tenu des autres citations, qu’il est devenu « Hôtel du Palais National », probable concession au « politiquement correct » ! Cela ne porte pas chance à cet hôtel puisqu’en 1864 et années suivantes, il disparaît de la liste où ne subsistent que l’« Hôtel du Petit Paris », l’« Hôtel des Courriers », l’« Hôtel du Midi » et l’« Hôtel du Nord ». Cette liste hôtelière demeure cependant impressionnante par le nombre d’établissements qu’elle cite.

Les Archives Départementales de l’Isère (Série IV-N-N° 7/29) nous offre la connaissance de la date de vente des bâtiments Crozel afin d’y installer une distillerie au nom des « Messieurs Dutruc« ; il s’agit de septembre-octobre 1863, vente qui met un terme à une éventuelle installation de la gendarmerie dans ces locaux. Il est donc possible d’attester qu’entre 1834 et 1863, un hôtel dénommé « Hôtel du Palais Royal », puis « Hôtel du Palais National » a exercé son activité sur cette place.

Cependant, le recensement de 1896 signale un Emile Couturier, comme maître d’hôtel dans la rue Saint-Laurent, que l’on retrouve en 1901 en tant que restaurateur et en 1906, en tant que … banquier ! Quant au propriétaire des lieux, tout au moins partiellement, il reste bien Crozel ainsi que le stipule le plan établi en 1887.

Plan 1887


Signalons aussi que d’autres Crozel ont eu l’occasion de s’exprimer dans l’hôtellerie en un autre quartier de Saint-Marcellin. Antoine Crozel (sur son acte de mariage), originaire de Marsaz (Drôme), fils légitime de Charles Crozet et de Madeleine Marat, a épousé à Saint-Marcellin Magdeleine Barberoux le 22 février 1773. Cet Antoine Crozet (sur son acte de décès) était aubergiste en la ville de Saint-Marcellin, il y est d’ailleurs décédé le 10 janvier 1813 dans l’auberge du « Petit Paris ». Antoine Crozel(t), « hobergiste », et Magdeleine Barberoux ont eu une fille Magdeleine, née le 2 décembre 1773 à Saint-Marcellin. Celle-ci (Crozel) se marie avec François Thomasset, maître d’hôtel dans la Grande Rue. Elle décède (Crozet) le 24 novembre 1837. Doit-on en conclure que les Crozel-Crozet ont tenu successivement et/ou simultanément les hôtels du « Petit Paris » et du « Palais Royal » ?

A suivre !