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Huitième chapitre: Françoise Sagan et la guerre, la Résistance, la Libération

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Entre 1940 et 1945, la Ville de Saint-Marcellin, qui n’est pas dans le Vercors, mais au pied du Vercors, n’était pas au cœur des combats pour la libération du pays, face à l’occupant allemand. La famille de Pierre Quoirez n’est pas venue à Saint-Marcellin pour se réfugier en zone libre, mais parce qu’il avait été nommé directeur de deux usines. Cependant, la guerre est quotidiennement présente dans les nouvelles qui sont diffusées et les commentaires qui les accompagnent. Et il convient tout de même de se souvenir des actes de guerre les plus marquants qui ont été commis à Saint-Marcellin et dans ses proches environs, cette liste n’étant pas limitative.

  • 29 novembre 1943, Victor Carrier est sommairement exécuté, il était l’organisateur, avec le Docteur Valois, du secteur 3 de l’Armée Secrète de l’Isère. Son épouse décédera le 20 mars 1945 à Passy, des suites des tortures subies à la prison de Montluc, à Lyon.
  • 29 janvier 1944, après la quasi-destruction de Cognin-les-Gorges et de nombreuses victimes, c’est Malleval qui est le théâtre de 32 assassinats.
  • 25 mai 1944, Jean Rony, blessé le 22 lors de l’arrestation et l’exécution du radio Camille Monnier, décède.
  • 26 juillet 1944, 19 résistants sont fusillés à Beauvoir-en-Royans.
  • 27 juillet 1944, rafle à Saint-Marcellin, dont nous avons déjà parlé.
  • 29 juillet 1944, nouveau drame à Malleval, village martyr, avec 6 tués.
  • 22 août 1944, bombardement de Saint-Marcellin.

Dans ses souvenirs, repris par certains de ses biographes, Françoise Sagan raconte au moins quatre anecdotes dont il est bien difficile de confirmer les faits, car il s’agit de la mémoire d’un enfant et que les éventuels témoins ne sont plus là.

Il en est ainsi de la scène du patriote qui vient entreposer sa camionnette bourrée d’armes dans la propriété de La Fusilière, camionnette que Pierre Quoirez ira planquer à la campagne avant que les soldats allemands ne débarquent, avec agressivité, pour fouiller les lieux, après avoir alignés contre le mur la totalité des habitants de la maison. Pour certains, il s’agit d’un vrai patriote quelque peu léger dans son comportement. Pour d’autres, il s’agirait d’un provocateur. La scène laissera un souvenir d’angoisse et de peur dans l’esprit de Françoise Sagan.

Par contre, le bombardement de Saint-Marcellin, parce qu’il a été le seul de toute cette période, ne peut pas être mis en doute, même si les souvenirs ne le placent pas toujours au bon moment. Ce bombardement s’est produit le 22 août 1944, le jour de la Libération de Grenoble. Françoise Sagan, et ses porte-paroles, parlent d’un étang dans lequel sa sœur, sa mère et elle-même seraient en baignade, d’avions qui seraient venus bombarder les bâtiments des Tabacs … Il n’y a pas d’étang à Saint-Marcellin et le bâtiment des Tabacs n’a pas été visé par l’escadrille allemande. Les cinq bombes (qui ont fait 9 victimes tuées et de nombreux blessés) sont tombées sur le centre ville et de l’autre coté de la Cumane, rivière locale, pour la cinquième. Quant aux mitraillages qui les accompagnaient, c’est le centre ville encore, jusqu’au couvent de Bellevue, qui en a été la cible (1). Il est donc possible de résumer l’évènement en affirmant que les trois femmes étaient en baignade dans le grand bassin du parc de La Fusilière quand sont arrivés les avions allemands. Après avoir lâché leurs bombes, ils ont mitraillé un peu à l’aveugle et notamment le vallon en bordure duquel se trouve le couvent, en vue directe de la propriété. Affolées, les femmes, en maillot de bain, sont allées se cacher sous le couvert des arbres.

Françoise Sagan raconte également une séance de cinéma qui lui a apporté de terribles informations et dont elle a gardé un souvenir impérissable. Cela se passe-t-il à l’Eden de Saint-Marcellin, ou à Paris, ou bien à Lyon ? Le film projeté est-il « L’incendie de Chicago », « L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro » ? Fragilité des commentaires, légèreté des commentateurs … Une chose est certaine: lors de la fin de semaine des 15 et 16 juin 1946, « L’Incendie de Chicago » a été programmé à Saint-Marcellin, à l’Eden, et Françoise était à Saint-Marcellin, sa sœur Suzanne y préparant son mariage. Toujours est-il qu’en début de séance, dans le cadre des « Actualités », sont projetées les images de l’ouverture des camps de concentration par les Alliés, images montrant des bulldozers charriant, dans la neige, des monceaux de cadavres vers des fosses communes. Ces images, d’une violence extrême pour une jeune fille de dix ans, traumatisent Françoise Sagan qui interroge sa mère, ou sa sœur, ou bien la dame de compagnie qui accompagne la famille depuis des années.

C’est vrai, ça ?Oui, c’est vrai !

Enfin, dernière anecdote, la scène de tonsure de femmes accusées de faiblesses à l’égard de l’ennemi sera bien difficile à documenter, même s’il semble avéré qu’elle ait bien eu lieu, à Saint-Marcellin, en plein centre ville, comme dans de multiples communes …. C’est Marie, la mère de Françoise Sagan qui interpellera vivement les auteurs de ces actes en leur expliquant que ce qu’ils font là ne vaut pas mieux que ce qu’ont fait les Allemands. En faisant cette enquête, plusieurs nous ont affirmé la véracité de ces faits, en précisant parfois qu’il avait fallu protéger certaines femmes d’une vindicte totalement injustifiée.

Françoise Sagan a dit à plusieurs reprises que ces quatre anecdotes ont été, toute sa vie, porteuses de ses engagements très forts contre le racisme, l’antisémitisme et les violences de tous ordres contre les femmes et les hommes.

Toutes les guerres ont une fin. Cette période de la Libération est marquée aussi, dans les mémoires, par la présence de soldats américains à la Fusilière. Cela signifie, sans aucun doute possible, que ces soldats ont été invités par Pierre Quoirez et sa famille à venir quelques instants dans le parc de leur propriété, ce dont témoignent plusieurs photographies. En effet, cette maison est située totalement en dehors de l’axe utilisé par les troupes américaines et les FFI en ce 23 août 1944, jour de la libération de Saint-Marcellin.

1944 – Françoise Sagan et une autre jeune fille (?), probablement à La Fusilière – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés

Nous profiterons du fait de raconter la Libération pour effectuer un correctif à une erreur fréquente concernant la provenance des troupes qui ont libéré Saint-Marcellin. Même R.E.M.P.A.R.T s’y est trompé ! Il est souvent entendu que les troupes en provenance du Débarquement de Provence (entre Toulon et Cannes) ont « remonté » le territoire par les vallées du Rhône et de l’Isère. Cette interprétation est fausse : le débarquement a eu lieu le 15 août 1944, un premier regroupement de troupes anglo-américaines et françaises (armée française libre) remonte par Gap (20 août), le Col Bayard et Lus-la-Croix-Haute (21 août), la jonction est faite avec les maquisards de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère, ces troupes arrivent à Vif et affrontent les Allemands au Pont-de-Claix, pour parvenir à Grenoble le 22 août et défiler sur le Cours Jean-Jaurès. Le 22 août, libération de Voiron, Voreppe. Le 23 août, libération de Bourgoin par les FTPF et libération de Saint-Marcellin. Le 24 août, libération de Rives, toujours par des troupes en provenance de Grenoble. Le cas de Romans-sur-Isère est représentatif. La ville est libérée une première fois, le 22 août, par un groupe de FFI galvanisés par ce qui se passe un peu plus au nord. Mais la ville est reprise le 27 août par les Allemands couvrant la retraite de leurs troupes qui refluent de Montélimar. Ils ré-occupent la ville et détruisent les ponts les 29 et 30 août. Ce n’est que ce 30 août que les forces alliées, en provenance de Grenoble, libéreront définitivement la ville de Romans. Dans le même temps, une autre coalition remonte la vallée du Rhône et libère Montélimar le 28 août, Valence le 31 août et Lyon le 3 septembre. (2)

Françoise Sagan à Saint-Marcellin -Premières lectures – Collection privée – Tous droits réservés

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Septième chapitre: Françoise Sagan, Jacques, Bruno, Louis …

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Commençons par l’un des plus anciens: Jacques DEFFOREY. Ce qui aura, encore une fois, la particularité de nous ramener vers Henri de Raemy, le protecteur de Pierre Quoirez.

Le Figaro du 19 mars 1937, dans sa rubrique mondaine, publie le communiqué ci-après: « Brillante réception, mardi, chez Mr et Mme H. de Raemy. Reconnus dans l’élégante assistance: comte et comtesse d’Aiguesvives, Mr et Mme des Brosses, comte et comtesse de Bailliencourt, marquise de Colomb de Puisblanc, Mr et Mme de Blanpré, Mme Gérard Bauër, Mr de Berny, Mr et Mme Canonne, comtesse et Mlle de Diesbach, comtesse de Lenzbourg, Mr et Mme Lecat, Mr, Mme et Mlle Michal, Mr et Mme de la Messuzière, Mlle de Pourtalès, Mlle Boissy d’Anglas, Mr et Mme d’Espine, comte et comtesse de Viaris, Mr et Mme P. Fournier, Mr et Mme Defforey, Mr et Mme Naville, Mme Noguez, Mr et Mme Ray, baron et baronne de Pury, Mr et Mme F. Spitzer, Mr Robert Lazarus, Mr Corte Real de Rys, Mr de Vivis, baron Louis de Chollet, Mr de Weck, Mr Rochette, etc.« 

Ce jour-là, Henri de Raemy rassemble autour de lui un bel échantillon de la noblesse française et suisse (dont il fait d’ailleurs partie), ainsi que quelques figures remarquables de la diplomatie, de l’industrie et du commerce. Parmi ces dernières, Mr et Mme Defforey.

Les Defforey font partie d’une famille de l’Ain, de Lagnieu très exactement, tant elle s’est peu déplacée depuis un siècle. L’ancêtre, François-Joseph (1827-1891) y tenait bureau de tabac, épicerie et faisait grossiste.

Son fils, Charles Defforey, né le 27 octobre 1860 à Lagnieu, épousa le 22 juin 1888 à Bourgoin, Marie Françoise Clothilde BADIN, née le 25 mars 1862. Ils poursuivirent l’activité de l’entreprise de commerce d’épicerie sous le nom de « Comptoirs Badin-Defforey ». En 1919, leurs deux fils, Louis Laurent, né en 1889, et Joseph, né en 1891, la firent évoluer en « Defforey Frères » et lui donnèrent une exceptionnelle ampleur par le nombre de ses clients individuels et grossistes associés. En témoigne la flotte de véhicules que l’on retrouve sur certaines photographies.

Véhicule de livraison Defforey Frères – Tous droits réservés

Joseph Defforey épousa l’une de ses cousines, Yvonne Defforey. Louis Laurent Defforey épousa une grenobloise, Yvonne Anne Marie Léonie SISTERON. C’est probablement ce couple, celui de Louis Defforey et d’Yvonne Sisteron qui se trouvait présent à cette fameuse réception chez les de Raemy, invité par Madame de Raemy, native de Charnoz, dans l’Ain, proche village de Lagnieu.

Couple qui eut trois garçons. Dans l’ordre, Charles Paul, né à Lagnieu le 28 avril 1922, Jacques José, né à Lagnieu le 15 novembre 1923 et Denis Laurent, né à Lagnieu le 7 juillet 1925.

L’aîné, Charles, deviendra ingénieur civil des Mines, sera promu Chevalier de la Légion d’Honneur, mourra à Lucey (Haute-Savoie) le 14 avril 2017.

Le second, Jacques José, se retrouvera quatre ou cinq ans après cette réception, aux cotés de Suzanne Quoirez, à Lyon, à l’Ecole des Beaux-Arts. Il épousera Suzanne Henriette Madeleine Quoirez, la soeur aînée de Françoise Sagan, le 10 septembre 1946 à Saint-Marcellin. L’acte de mariage précise que les parents de la mariée, Marie Laubard et Pierre Quoirez, sont domiciliés à Saint-Marcellin, donc à La Fusilière. C’est Ferdinand Brun, Maire de Saint-Marcellin, qui a procédé à la cérémonie à laquelle Françoise Sagan s’est fait une joie de participer (1). Le couple aura deux filles : Cécile et Fanny, avant de se séparer, en février 1979.

Acte de mariage Suzanne Quoirez-Jacques Defforey – Etat-civil – Saint-Marcellin

Jacques Defforey deviendra rapidement célèbre. Avec son frère Denis et Marcel FOURNIER, ils sont les fondateurs du Groupe Carrefour. Un premier magasin est ouvert le 3 juin 1960 à Annecy et le premier hypermarché ouvre en 1963, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Jacques Defforey sera Directeur Général du Groupe Carrefour de 1976 à 1987, et sera membre du Conseil de Surveillance jusqu’en 1995. Il mourra le 26 mai 2000 au Brésil.

Le dernier des garçons, Denis Laurent Defforey, épousera, de son coté, le 30 juin 1949, Marie Marguerite Clotilde de Raemy, née à Fribourg le 6 novembre 1926. Marie Marguerite Clotilde est la fille d’Henri de Raemy et de Yvonne Marie Pauline de CHOLLET, née à Charnoz (Ain) le 6 septembre 1899. A la naissance de Marie Marguerite Clotilde, le couple avait déjà un garçon, Jean Jacques Marie Joseph, né le 10 janvier 1924 à Fribourg. Un troisième enfant naîtra ; Bruno Pierre Marie Laurent. Denis Defforey, associé à son frère Jacques et à Marcel Fournier, dirigera le Groupe Carrefour de 1985 à 1990. Il décèdera en Suisse, le 6 février 2006.

Dans les mémoires de Françoise Sagan, il est souvent question d’un autre Bruno, un ami avec lequel elle partage ses jeux lorsqu’elle est enfant, va à la piscine, le retrouve à Paris après la publication de « Bonjour tristesse » et l’emmène même aux USA pour une cérémonie de sortie d’un livre. Qui est ce Bruno ?

Bruno Charles Robert MOREL, puisque tel est son nom, est issu d’une lignée d’industriels dont la rapide histoire mérite d’être contée. Ne serait-ce que parce qu’elle concerne fortement le territoire du Sud-Grésivaudan. L’aïeul est Charles Morel. Il est né le 20 juillet 1848 à Vienne (Isère) et est décédé le 6 août 1914 à Domène (Isère). A Domène, dont il a été maire, il avait implanté ses ateliers industriels et s’était quelque peu spécialisé dans le cycle, après avoir déposé des brevets de broyage et de tamisage des matériaux. C’est ainsi qu’il a commercialisé une bicyclette pliante pour les soldats, et un curieux tandem, ou plutôt un bi-cycle puisque constitué de deux cadres assemblés cote-à-cote, donc à quatre roues et deux pédaliers synchronisés (2). Il en fera une version motorisée en 1897, la Victoriette.

Les cycles Morel

Le couple qu’il forme avec Clémence MONTEIL (30 juillet 1852 – 23 juillet 1897) aura six enfants. Le troisième de ces enfants, Emile, né le 12 avril 1877, décédé en 1940, épouse Marthe CHEVRANT le 14 décembre 1901 et est également industriel à Domène. Emile et Marthe auront quatre enfants, dont Charles Emile, né 6 décembre 1903 à Domène et décédé le 17 février 1981 à La Tronche.

C’est en 1938 ou 1939 que Charles Emile vient s’installer à La Sône pour y développer deux types d’activité : du moulage de pièces bakélite ou caoutchouc, par exemple le plateau des électrophones Teppaz et de l’électromécanique, démarreurs, bobines, volants magnétiques et alternateurs pour motocycles, voire pour l’Isetta Velam.

CPA – Usines Morel vue de la rive gauche de l’Isère
Bobine magnéto Morel

Charles Emile épouse Renée Paule Henriette PIOLLET, née le 3 janvier 1905 et décédée le 17 février 1998 à Paris, dont il a un garçon, l’ami de Françoise Sagan, Bruno Charles Robert, né le 14 novembre 1930 à La Sône et décédé le 15 juillet 2004 à Neuilly-sur-Seine.

Charles Emile épousera en seconde noces May Viola DRANGEL (1919-1973), suédoise d’origine. Ils auront quatre enfants, Laïla, née en 1939, Hugo Charles, né en 1943 et décédé en 2010, Patrick, né en 1945 et Renaud, né en 1948 (2bis).

Dans le chapitre consacré à la FAE, nous avions parlé d’une visite du préfet qui avait eu lieu en avril 1949. Le même jour, la délégation d’élus et du préfet s’est également rendu aux usines Morel.

Avril 1949 – Visite d’une délégation Préfet de l’Isère et élus – Au centre, Charles Morel – Collection privée Patrick Morel -Droits réservés

Parce que les Morel et les Quoirez vivent une véritable fraternité à la fois industrielle et amicale, ouverte à d’autres, ils se retrouvent souvent, alternativement chez les uns ou chez les autres. Peut-être davantage chez les Morel qui sont locataires du Château de La Sône depuis 1939, un château qu’ils achèteront en 1952 (3) et revendront en 1976. Patrick Morel, l’avant-dernier garçon, a d’ailleurs pour parrain Pierre Quoirez. Malgré la différence d’âge, il se souvient avoir vu Françoise Sagan monter le cheval, Javotte, de sa mère. Il se rappelle également de l’anniversaire des 50 ans de son père, en 1953 : Pierre Quoirez lui avait offert une céramique signée Jean Austruy, un artiste et industriel céramiste de Saint-Marcellin.

Château de La Sône – Collection privée – Droits réservés

Françoise Sagan aurait trouvé l’inspiration pour le titre de sa pièce « Château en Suède » en faisant un rapprochement de la notion de château et de la nationalité suédoise de l’épouse de Charles Emile Morel. Charlotte CARRA témoigne avoir rencontré Françoise Sagan et son époux Robert Westhoff, présentations faites, au château de La Sône. Ce ne peut être qu’en 1962 ou ultérieurement.

Les Morel avait également pour ami un célèbre physicien, titulaire d’un prix Nobel, à l’origine du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble, Louis NEEL. Né en 1904, il était de la même génération que les Morel, les Quoirez, les Fenestrier et d’autres encore. Spécialiste du magnétisme, en 1940 son premier objectif est de pouvoir créer un dispositif de désaimantation des coques des navires de la flotte française, permettant de les protéger des mines que l’adversaire y placerait. A ce titre, il échange souvent avec Charles Emile Morel dont il parle avec amitié dans son ouvrage « Un siècle de physique », aux Editions Odile Jacob 1991. (4) « De 1952 à 1959, j’ai donné des conseils de caractère très technique à une entreprise de taille beaucoup plus modeste : les établissements E. Morel, à La Sône, petite localité proche de l’Isère, sur la route de Valence, à quelques kilomètres au-delà de Saint-Marcellin. Entreprise familiale type, elle comptait une cinquantaine de salariés, et moulait de petites pièces en matière plastique ou en un alliage léger, le zamak. Elle fabriquait aussi des magnétos, des bobines d’allumage et, pour les cyclomoteurs, des volants magnétiques, ainsi que d’autres appareils du même genre, tous comportant des aimants permanents. Charles Morel en était le propriétaire majoritaire et le directeur. Sportif, sympathique, plutôt décontracté, il habitait un vieux château autrefois fortifié, adjacent à l’usine, construit sur une hauteur qui commandait un coude de l’Isère. A l’extrémité d’une immense salle à manger, des troncs d’arbres entiers brûlaient dans une cheminée monumentale, en répandant une vague tiédeur. Françoise Sagan, enfant, avait joué dans le parc. Au volant de sa voiture de sport, en des temps records, Morel se rendait régulièrement à Paris rendre visite à son agence. Il possédait aussi, à Domène, une petite usine de décolletage fabriquant des rivets. Marié à une suédoise, il passait ses vacances à chasser l’élan dans les vastes et désertiques forêts scandinaves ».

Mais revenons à Bruno Morel, l’aîné de la famille. Entre 1940 et 1945, nous l’avons dit, il est un ami de Françoise Sagan, il a cinq ans de plus qu’elle. Plus tard, il la retrouvera à Paris, et parfois il sera entouré d’amis qu’elle a déjà rencontrés à La Sône lors de surprise-parties auxquelles sa grande sœur l’invitait à participer. Ils ont noms Louis NEYTON, Jean-Claude GALTIER ou Noël Léon DUMOLARD.

Louis Joseph Neyton se rattache à l’histoire des FENESTRIER. Joseph Fenestrier (1850-1926) et son épouse Emélie ROUSSET (1853-1921) étaient charcutiers à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère) et tenaient boutique à Romans-sur-Isère (Drôme), 8 place Fontaine Couverte. Leur fils Joseph Marie Noël, né le 25 décembre 1874 créa à Romans sur Isère un atelier de fabrication de chaussures en 1895, âgé seulement de 21 ans. Il fut brièvement maire de Romans en 1900. Dès 1901, l’entreprise eut une belle croissance et en 1904 elle fut à l’origine de la première campagne publicitaire en faveur de chaussures. La marque UNIC naquit en 1907 et conquit l’Europe, la Russie, l’Egypte et le Moyen-Orient. Joseph Marie Noël mourut le 25 février 1916, à l’âge de 42 ans. Un incendie détruisit l’usine du Boulevard Gambetta de Romans, en 1917. C’est alors l’usine établie à Saint-Marcellin l’année précédente qui assura la production en attendant que l’usine de Romans soit reconstruite.

En 1922, le fils du couple Fenestrier, Joseph Emile-Jean, né le 2 mai 1901, prit la relève de son père. En 1926, l’entreprise regroupait 800 ouvriers et produisait 1200 paires de chaussures de grande qualité par jour. En 1930, la première collection féminine de chaussures de sport vit le jour. Pendant la guerre de 1939-45, l’entreprise fit des miracles pour fabriquer des chaussures faites de bois, de feutre ou de raphia. En 1945, Joseph Emile-Jean fut nommé Président de la Fédération Nationale de la Chaussure de France. Il mourut en 1961, laissant une fille, Martine, née en 1934. Mais l’entreprise continua son activité. En 1966, Martine Fenestrier, épouse de Louis Neyton, vendit l’entreprise au Groupe Revillon. En 1969, le groupe André la racheta et créa la Société Romanaise de la Chaussure, qui fut à son tour achetée par Robert CLERGERIE.(5)

CPA – Saint-Marcellin, la gare du tramway et l’usine de chaussures Unic

L’histoire raconte (les histoires racontent !) que Louis Neyton fut l’un des premiers flirts de Françoise Sagan, en 1953, à Paris, alors qu’elle est en Sorbonne. Mais elle l’avait connu bien avant, quand il faisait partie de la bande d’amis de Bruno Morel et qu’elle n’était qu’une gamine.

Les autres membres de la bande sont Jean-Claude GALTIER, né le 23 janvier 1928, qui fut le créateur du garage Renault-Galtier bien connu à Grenoble, et Noël Léon DUMOLARD, artiste peintre, surréaliste, vivant du métier de décorateur. Il est né le 13 avril 1925 à Voiron (Isère) et est décédé à Roybon (Isère) le 18 mars 1989.

Françoise Sagan -Collection privée – Droits réservés

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Sixième chapitre: Françoise Sagan et la voiture électrique

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce chapitre va nous entraîner à beaucoup parler, encore, de Pierre Quoirez. Le plus important est cependant de prendre conscience que notre région a été, pendant quelques temps, le centre de réflexion de nombreux ingénieurs et techniciens qui ont œuvré sur un projet novateur, très largement en avance sur son temps, celui d’une voiture à propulsion exclusivement électrique et à carrosserie en aluminium.

En 1940, lorsque Henri de Raemy a nommé Pierre Quoirez à la tête des usines dauphinoises de la FAE, il lui a également attribué une mission : celle de superviser le dossier d’étude et de réalisation d’une voiture électrique. Ce projet avait été confié à Jean Albert GREGOIRE. Né le 7 juillet 1899 et décédé le 18 août 1992, Jean Albert Grégoire avait effectué une partie de sa scolarité au Collège Stanislas où il s’était lié d’amitié avec Pierre Quoirez. Polytechnicien, entré en 1918 et sorti en 1921, il était devenu constructeur et pilote d’automobiles. Spécialiste de la traction avant, il est l’inventeur d’un procédé d’amélioration de celle-ci, le joint homocinétique Tracta. Excellent sportif, il a participé de 1927 à 1930, soit quatre années consécutives, aux « 24 heures du Mans », desquelles il est toujours sorti parmi les dix premiers.

C’est à cet homme que Henri de Raemy demande de réaliser cette voiture électrique. Celui-ci s’entoure d’une équipe de spécialistes, ingénieurs, mécaniciens, électriciens et précise qu’il estime bien préférable de concevoir un véhicule intégralement électrique et de ne pas chercher à adapter un véhicule à essence. Le prototype mis en chantier est celui d’un cabriolet de deux places. Il confie à Paul RAPIN la partie électrique consistant en un moteur permettant la récupération de l’énergie de décélération et de freinage. Et il propose que ce prototype soit réalisé à Lyon à la Société des Véhicules Electriques SOVEL, une société qui venait d’être reprise par la CGE. Nul ne sait exactement le rôle joué par Pierre Quoirez dans cette équipe. A-t-il contribué au projet en tant qu’ingénieur ? Quoi qu’il en soit, il est le cadre de la CGE en charge de la supervision du dossier.

Le cabriolet, baptisé officiellement « CGE Tudor », du nom du fabricant des batteries (une filiale de la CGE), ou encore, officieusement, « CGE Grégoire », est un véhicule en aluminium, construit par Hotchkiss sur une carcasse coulée. Il pèse, avec son moteur central, 510 kg. Il faut y ajouter les batteries, réparties à l’avant et à l’arrière, qui pèsent à elles seules 460 kg. Deux raisons ont présidé au choix de l’aluminium ; la légèreté du matériau afin de limiter le poids en marche du véhicule et la résistance de l’aluminium aux acides des batteries. En version finale, la CGE Tudor mesure 3,70 m de long, 1,40 m de hauteur et a un empattement de 2,35 m. Le 11 septembre 1942, ce véhicule bat un record en parcourant 225 km à la moyenne de 43,32 km/h.

CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)

Pour toutes les photographies de l’IHA: Droits réservés – culturalu@histalu.org Photos Thierry Renaux et Alexandre Kubiak

Quand les premiers exemplaires sortent des usines Hotchkiss, ils sont mis à disposition de la direction de la CGE, des directeurs des branches, des filiales et de quelques maisons amies, le but étant de populariser ce nouveau véhicule. C’est ainsi que Pierre Quoirez se voit doté d’un exemplaire de ce véhicule qu’il utilisera entre sa maison de la Fusilière et ses usines.

Fin 1944, la production de cette voiture est interrompue, malgré le soutien apparent de l’Etat (Vichy). Plusieurs arrêtés ont été pris, visant à organiser l’homologation des véhicules électriques (18 décembre 1940, 19 juillet 1941, 30 octobre 1942, 6 septembre 1943). Cependant, en date des 1er octobre 1942 et 16 décembre 1942, ce sont les autorités allemandes de l’office central de répartition des produits industriels qui interdisent l’emploi d’acier, de fonte, de fer et de métaux non ferreux pour la fabrication des véhicules électriques à accumulateurs. Par ce biais, les Allemands instaurent des restrictions sur des composants essentiels, peut-être en vue de s’approprier les projets. Par ailleurs, les constructeurs français; Renault, Citroën, Peugeot, ne sont pas en faveur du développement des voitures électriques, seul Panhard et Levassor s’y intéresse sans en avoir les moyens. Enfin, le Conseil d’Administration de la CGE n’y est plus très favorable: environ 200 exemplaires auront été fabriqués, dont le prix reste beaucoup trop élevé pour qu’un vrai marché soit créé.

Cette petite révolution industrielle manquée, avec quatre-vingt ans d’avance, n’a laissé que très peu de traces à Saint-Marcellin et rares sont celles et ceux qui connaissent l’aventure, malgré un bel ensemble de documentation consultable sur Internet (1). Nous tenons à remercier l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA) qui a accepté que nous reproduisions gracieusement quelques photographies de la « CGE Tudor ». Nombreux sont ceux qui se sont amusés à imaginer Françoise Sagan au volant de cette voiture, qu’elle aurait conduite avec autant de passion et de vitesse qu’elle conduira plus tard ses véhicules sportifs, voire même qu’elle serait allé à l’école avec cet engin ! Outre le fait que l’hypothèse de l’école est à éliminer, il est assez improbable qu’une jeune fille de 7 ans en 1942, de 9 ans en 1944, lors de l’arrêt de fabrication, ait pu conduire cette voiture. De même, il est incertain qu’elle ait pu suggérer des modifications quant à la position des commandes. Elle n’aurait, sans aucun doute, jamais pu atteindre les pédales de freinage et d’embrayage ! Par contre, rien n’interdit de croire le fait que son père lui confiait le volant alors qu’elle était assise sur ses genoux, ainsi que le racontent Marie-Dominique Lelièvre (2) et Denis Westhoff lui-même.

Marie Quoirez et ses trois enfants ont quitté Saint-Marcellin à l’automne 1945. Pierre Quoirez, quant à lui, est resté quelques années encore à la tête de ses usines, toujours locataire de La Fusilière. Il est certain que sa famille est revenue à Saint-Marcellin lors des vacances et il n’est pas impossible que Françoise Sagan se soit amusée avec cette voiture lors de l’un ou l’autre de ces retours, en 1950, quand elle avait quinze ans, ou ultérieurement.

1948 – Françoise Sagan au volant, à La Fusilière (?)-Sur le capot, sa nièce Cécile Defforey – Collection privée – Droits réservés

http://www.hotchkiss-gregoire.com/pdf/l_ingenieur_de_lauto.pdf

https://paleo-energetique.org/paleoinventions/la-voiture-electrique-cge-tudor/

https://www.culturalu.org/fr/pieces.php?idalb=280&page=1&nbp=12

http://mini.43.free.fr/5018gregoire.html

http://stubs-auto.fr/c-1/cge-tudor-1941-1944/

https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2012-2-page-70.htm

https://madelen.ina.fr/programme/jean-albert-gregoire

http://www.lesrendezvousdelareine.com/2016/10/ancetre-ecolo-la-cge-tudor-presque-80-annees-d-avance.html

  • 2- Marie-Dominique Lelièvre – Sagan à toute allure – 2008
  • Les références relatives aux arrêtés et décisions sont consultables sur le Journal Officiel de la République Française et le Journal Officiel de l’Etat Français pour la période d’occupation. (www.legifrance.gouv.fr)

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Cinquième chapitre: Françoise Sagan et les usines de la FAE

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Dans ce chapitre et dans celui qui va suivre, nous parlerons beaucoup du père de Françoise Sagan, mais pas beaucoup de l’enfance de celle-ci. Il nous a semblé important de connaître le contexte dans lequel vivait cette jeune fille entre 1940 et 1945 et le rôle non négligeable que le directeur de l’entreprise a joué dans notre région. Pierre Quoirez se voit confier, par Henri de Raemy, en 1940 la direction de deux usines, celle de Pont-en-Royans et celle de Saint-Marcellin. Ces deux usines appartiennent à la FAE, Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. Pour les salariés et pour la population locale, il s’agit de la « Cégé » !

La CGE a été fondée le 31 mai 1898, à une époque où l’électricité commence à se répandre dans les villes, les entreprises, la société. Il est grand temps pour la France de disposer d’une telle entreprise, dans la mesure où de grandes sociétés spécialisées existent déjà à l’étranger : Siemens et AEG en Allemagne, General Electric aux Etats-Unis, GECO en Grande-Bretagne, Brown-Boveri en Suisse, …

Son fondateur est Pierre AZARIA, né Bedros Azarian, arménien orthodoxe d’Egypte. Ingénieur centralien, il prendra la direction de l’Electricité de Rouen, une petite entreprise fragile qui parviendra rapidement en tête des entreprises de production d’électricité en France. Le signal du départ est donné et Pierre Azaria crée la Compagnie Générale d’Electricité qui, par acquisitions dans les domaines de la production de l’électricité, de la fabrication de câbles afin de la transporter jusqu’à l’utilisateur, de lampes, d’isolants, d’accumulateurs, d’appareillages électriques (interrupteurs, douilles, disjoncteurs…) afin de l’utiliser, et d’accumulateurs et batteries (Tudor) afin de la stocker … deviendra un grand groupe industriel dont il sera le président de 1929 à 1938 (1).

En 1930, la CGE forme un complexe considérable, employant plus de 20000 salariés et composé d’une cinquantaine de sociétés, dont quarante dans lesquelles elle a un intérêt majoritaire (2).

Extrait de « Les grandes industries modernes et les Centraux: http://archives-histoire.centraliens.net/pdfs/centraux_et_industrie.pdf

L’usine de Pont-en-Royans date de l’automne 1918, suite au rachat par la CGE des locaux d’une soierie, anciennement un couvent. Elle fabrique des douilles et des interrupteurs, dont les composants, obtenus par emboutissage et usinage, sont souvent assemblés à domicile. L’usine de Saint-Marcellin est construite en 1922 et le siège social de la FAE y est transféré en 1935. Encore un mot de biographe que l’on va faire disparaître ! L’usine de la FAE de Saint-Marcellin n’a probablement jamais eu « trois cheminées qui dominent la ville » ! (Gohier et Marvier) Les photographies aériennes du début des années 50 montrent clairement de vastes bâtiments abritant des ateliers de montage d’appareillages électriques qui ne disposaient pas de fours, ou de fonderie, leur activité ne relevant pas de la sidérurgie.

FAE – Catalogue 1922 (détail) – Collection AAA – Droits réservés
FAE – Les ateliers de Pont-en-Royans – Collection AAA – Droits réservés
FAE – Les ateliers de Saint-Marcellin – Collection AAA – Droits réservés

Pendant la période 1940-45, le directeur général des deux sites, installé à Saint-Marcellin désignée comme siège social, est Pierre Quoirez. A Pont-en-Royans, le directeur est Samuel SCHNAIDER, ingénieur d’origine juive, diplômé de l’Institut Electrotechnique de Grenoble, qui fera toute sa carrière à la FAE, de 1930 à 1972. Lors de sa mobilisation en 1939, il est affecté comme ingénieur chef des services techniques et de fabrication des usines de Pont-en-Royans et de Saint-Marcellin, lesquelles, réquisitionnées en 1943, fabriquent des matériels de guerre, des « queues de bouchons », un matériel jamais expédié et dont personne ne sait de quoi il s’agit.(3)

1941 est resté dans les mémoires de la région saint-marcellinoise par la création d’un Centre de Formation des Apprentis, plus exactement dénommé Centre Régional pour le Travail des Jeunes (CRTJ). Il n’est, au début, qu’un des ateliers de l’usine de Saint-Marcellin. Dans le même temps, un Centre « officiel », animé par « Vichy » et le Secrétariat Général de la Jeunesse, est mis en place dans la Grande Rue de Saint-Marcellin. Finalement, tout le monde se retrouvera dans les locaux de la Grande Rue, puis dans ceux de l’ancienne prison et enfin dans trois baraquements de bois installés sur le terrain qui accueillera, plus tard, la piscine de Saint-Marcellin, à coté du couvent de Bellevue. Les Contrats d’Apprentissage, faisant référence aux lois des 20 mars 1928 et 10 mars 1938, sont signés de la main de Pierre Quoirez, directeur. Ce centre a perduré jusqu’en 1944 et rassemblait une cinquantaine d’externes, demi-pensionnaires et internes, originaires de Saint-Marcellin, Chatte, Valence, L’Albenc, certains même du Centre Guynemer de Grenoble. Le rythme de vie était calqué sur l’armée qui assurait l’encadrement, utilisant des sous-officiers et des officiers de corps dissous après la défaite de mai-juin 1940. Les formations n’étaient pas uniquement celles que pouvait proposer la FAE, il y avait par exemple des formations d’artisans de petits commerces comme la cordonnerie, mais l’essentiel était formé d’élèves ajusteurs, fraiseurs, dessinateurs industriels, techniciens, … (4)(5)

Le 27 juillet 1944, les Allemands encerclent Saint-Marcellin. La FAE était classée usine « S.BETRIEB 00 4093 », ce qui signifiait qu’elle était réquisitionnée et soumise au fait qu’une partie minimum de la production devait être destinée directement ou indirectement à l’Allemagne. Ce pouvait être également l’obligation pour l’entreprise de se soumettre à un programme de fabrication approuvé à la fois par les autorités françaises et allemandes. Les entreprises S-Betrieb (Sperr-Betrieb), créées le 8 octobre 1943, étaient exemptées de tout départ de main-d’œuvre, jeunes classes du STO incluses, vers l’Allemagne (6). Ce jour-là, Pierre Quoirez fait sortir les ouvrières, réunit les hommes, leur demandant de ne pas sortir de l’usine, puis se rend sur la Place d’Armes, parlementer avec le commandant du régiment allemand. Pendant ce temps quelques hommes, sans doute peu en règle avec l’occupant, en profitent pour s’échapper par derrière, une auto-mitrailleuse étant braquée sur le portail de l’usine. En fin d’après-midi, les camions militaires allemands, avec plusieurs dizaines d’hommes de Saint-Marcellin (le chiffre variant selon les sources), s’arrêtent un court instant devant l’usine. Chacun croit que c’est pour embarquer les ouvriers restés dans l’usine. En fait, il n’en est rien, les camions repartent. En gare de Valence, quelques-uns des hommes réussiront à s’échapper, les autres se retrouveront en camp de travail à Wesermunde, d’où ils seront libérés vers le 8 mai 1945 (7)(8).

Le directeur de l’usine de Pont-en- Royans, Samuel Schnaider, fut déchu de sa nationalité en 1943. Dès avant juin 1944, il participe activement à la résistance, en «hébergeant de nombreux réfractaires au STO, en leur procurant du travail et des faux papiers» (Attestation du Capitaine Villard en date du 18-07-1975). Engagé dans les FFI entre le 9 juin et le 9 novembre 1944, il participe aux combats du Vercors, puis des Alpes. Après la chute du Vercors qui eut lieu le 23 juillet 1944, il est à Pont-en-Royans lorsque les Allemands «raflent» le 15 août, jour du débarquement en Provence, 62 hommes du village et les emmènent comme otages vers Villard-de-Lans. Selon plusieurs témoignages, le Directeur de l’usine, prévenu, rejoint le groupe à la Balme de Rencurel, interpelle l’officier au péril de sa vie: « J’ai des ouvriers dans ce groupe, sans eux l’usine ne peut pas produire, il faut qu’ils reviennent travailler« . L’officier libère une quinzaine de personnes. Les autres ont été relâchés quelques heures plus tard.(tout ce § est extrait de note 3)

Plus tard, en 1948, après la fin de la guerre, alors que sa famille est à Paris, Pierre Quoirez sera chargé d’assurer le développement des établissements de Pont-en-Royans et de Saint-Marcellin. Il embauchera plusieurs jeunes ingénieurs, dont il ira jusqu’à organiser le logement et à mettre une gouvernante à leur disposition (9).

Françoise Sagan à Saint-Marcellin – Collection privée – Tous droits réservés

  • 1- Jean-Pierre Hauet – Aperçu sur l’histoire de la CGE de 1898 à nos jours – 1987 – http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31808/C&T_1987_17_12.pdf?sequence=1
  • 2- Jules Rapp. Aux origines de la Compagnie générale d’électricité. In: Bulletin d’histoire de l’électricité, n°6, décembre 1985. pp.103-120
  • 3- C. Schenlker – Un village industriel au XX° siècle, Pont-en-Royans – Exposé à l’Académie Delphinale – 29/09/2018
  • 4- Dominique Odoit – Souvenirs d’un Chattois – 2012 – https://fr.calameo.com/books/0045491232e4b9bff5527
  • 5- Le Centre des Jeunes Travailleurs -Notice d’Henri Inard (†) -R.E.M.P.A.R.T.
  • 6- Produire pour le Reich-Les commandes allemandes à l’industrie française (1940-1944) – Arne Radtke-Delacor. https://www.cairn.info/publications-de-Arne-Radtke-Delacor–5773.htm?WT.tsrc=cairnPdf
  • 7- Dominique Odoit – Souvenirs d’un Chattois – 2012 – op. Déjà cité
  • 8- CGE FAE.AM FAE.ARNOULD NORMABARRE SAPAREL LEGRAND.ISERE, ouvrage réalisé par l’Amicale des Anciens d’Arnould (AAA) – 2013 -op.déjà cité
  • 9- la FAE en 1948 – Louis Bouteille, dans ouvrage de l’AAA déjà cité

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