Les évènements se bousculent actuellement sur le sol égyptien: jugement de Moubarak et relaxe de certains des hommes de l’ancien régime, élections présidentielles dont le premier tour a sélectionné la candidat des Frères Musulmans et un ancien ministre de Moubarak prompt à retourner sa veste. En toute hypothèse, le candidat des Frères Musulmans devrait l’emporter les 16 et 17 juin prochain. Même si cela entraîne la fureur des militants « révolutionnaires » et « libéraux », cela n’est que normal.
Cela a été suffisamment dit et développé ici. La « révolution » égyptienne n’est pas une révolution populaire.
« Pourrions-nous considérer ces révolutions comme des mouvements populaires spontanés réunissant toutes les couches sociales de la nation. Au lieu de permettre l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle classe facilitant la domination d’un nouveau mode de production, ces mouvements viseraient à normaliser le système capitaliste. Sur le plan économique, cette normalisation consisterait à éliminer la figure du rentier, parasite et exploiteur. Sur le plan politique, elle tendrait à détruire les vestiges des partis uniques ou hégémoniques ». (Renaissances arabes-M. Béchir Ayari, V. Geisser (p.20).
La démocratie réelle n’est pas le souci premier des jeunes. Celui-ci est d’obtenir un emploi et de pouvoir prendre part au gigantesque pique-nique que notre société étale quotidiennement sur les écrans et les magazines. Cette jeunesse connectée à Internet ne transformera pas en chemin ces révolutions vers la démocratie réelle. Tout d’abord, parce que la connexion à Internet est une vaste illusion. Sur quelques 84 millions d’habitants qu’abrite l’Egypte, combien disposent d’un outil permettant d’envoyer des SMS, de Twitter, d’échanger sur les réseaux sociaux, même si pratiquement 8 égyptiens sur 10 disposent d’un mobile ? Combien ont le moyens de se payer un abonnement, alors qu’ils sont chômeurs ? Cette illusion est entretenue par 2-3 blogueurs qui ont réussi à se faire leur pub auprès d’organes de presse européens ou US: ils iront jusqu’à publier des livres. Qui les lira en Egypte ???
« Croire que Facebook a fait naître les révolutions, c’est croire que les nuages font naître le vent ». (Extrait du Magazine Là-Bas)
Depuis le début de la révolution égyptienne, les forces libérales ont accumulé les erreurs. Elles ont été incapables de s’entendre sur une plateforme constituante. Elles ont été incapables de s’entendre sur des candidats aux législatives et sur un candidat unique à la Présidentielle. Elles ont systématiquement traduit chaque évènement par un appel à la manifestation ou un appel au boycott des élections.
Elles sont allées jusqu’à dénoncer le rôle économique de l’armée, en appelant au boycott des produits qu’elle fabrique. Catastrophique erreur, car si l’armée produit des appareils ménagers, des engrais, de l’eau minérale et tant d’autres choses encore, c’est tout d’abord afin de faire vivre son million d’hommes sous le drapeau, leur femme et leurs enfants. Réussir un pareil boycott, c’est agresser l’armée dans ses besoins vitaux.
Au-delà de l’affirmation toute gratuite de l’existence d’un empire économique dans les mains des Forces Armées, personne jusqu’à présent n’a été capable d’en faire la démonstration. Il s’agit d’un empire bien fragile quand on sait que l’armée est … la première cliente de ce qu’elle fabrique !
Et prenons garde à ne pas détruire l’armée, car c’est entre ses mains que se trouve la régulation du marché de deux marchandises subventionnées: la farine et le pain (aïch baladi).
Le résultat de toutes ces erreurs ne s’est fait pas attendre: les « révolutionnaires » sont coupés de la population, ce ne sont pas les manifs de la Place Tahrir qui doivent faire illusion. Il y a beaucoup d’anarchisme dans leur comportement. L’économie est dévastée, contrairement à ce qu’une réaction « capitalistique » aurait pu laisser espérer.
Y a t’il un espoir ? Très certainement, oui !!! Mais il ne viendra pas des leaders actuels, mais de quelques hommes politiques, cultivés, au fait des affrontements humains et de l’histoire. Ce seront ceux qui réussiront à construire une véritable opposition démocratique.
Il y faudra sans doute quelques années, mais le pays en vaut la peine …