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Les messies de l’apocalypse

L’information est déjà ancienne. Les 3 et 4 avril dernier, Michel Rocard, Dominique Bourg et Florian Augagneur ont rédigé un article alarmiste qu’ils ont confié au « Monde »: « Le genre humain, menacé ».
Dressant un état des lieux désormais classique, avec le pic pétrolier entraînant des prix à la hausse et une crise économique, avec la libération sans frein de CO2 conduisant au réchauffement climatique et à la crise écologique, avec les nouveaux doutes sur le nucléaire confirmant la crise énergétique, ils concluent que la situation fait apparaître le risque de dérives totalitaires parce que nos démocraties ne sont pas capables de se prémunir de leurs propres excès. Il ne nous est pas possible d’attendre le moment où la multiplication des désastres naturels effacera les doutes: il sera trop tard. Les drames écologiques et les évènements climatiques, la croissance démographique, la rareté de l’eau, l’énergie coûteuse, l’extrême pauvreté confrontée à l’extrême richesse ébranleront les équilibres géopolitiques et entraineront des catastrophes sociales qui conduiront à la disparition de sociétés entières.
 »Nos démocraties doivent se restructurer, démocratiser la culture scientifique, maîtriser l’immédiateté qui contredit la prise en compte du temps long », nous disent-ils.
Mais dans quelle galère Michel Rocard est t-il donc allé se fourvoyer ? La compagnie de Dominique Bourg, tout membre de la Fondation Nicolas Hulot qu’il est, n’est pas un gage de propositions démocratiques lorsque l’on se souvient que sa solution (Démocratie-écologique-ou-dictature-écologique) pour  »maîtriser l’immédiateté » consiste à suppléer les élus par un collège de scientifiques, d’experts et de représentants d’ONG.

La tonalité de ce discours alarmiste n’est en fait pas très nouvelle. Elle est l’aboutissement des réflexions de psychologues, sociologues et autres chercheurs prospectifs quant au devenir d’une société soumise à une forte crise déstructurante.
A l’époque de la grippe aviaire, il a été possible de prendre connaissance de vidéos présentant les risques de démantèlement de la société dans le cas où 30%, 40%, 50%, davantage encore, de ses individus seraient inopérants, soit par maladie, soit par décès. Le tableau dessiné est rapidement apocalyptique: dislocation des services publics, transports, nettoiement, hôpitaux, électricité, énergie, police, … absence des circuits de distribution alimentaire, usines, ateliers, bureaux vides ou quasiment inactifs, prise du « pouvoir » de la rue par des bandes soit d’affamés, soit de mafieux, insécurité, violences, … Ce scénario nous conduit tout droit à une société décrite par Cormac McCarthy dans « La Route », un livre abrupt et terrifiant, un essai quasi philosophique sur la subsistance de l’individu.
Pour leur part, nos auteurs écrivent: « Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire de nos processus, lents et complexes, de délibération. Pris de panique, l’Occident transgressera ses valeurs de liberté et de justice. Pour s’être heurtées aux limites physique, les sociétés seront livrées à la violence des hommes. Nul ne peut contester à priori le risque que les démocraties cèdent sous de telles menaces. Le stade ultime sera l’autodestruction de l’existence humaine, soit physiquement, soit par l’altération biologique. » …. « La Route ».

Michel Rocard (DR)

Peut-on poser la question du sens de cette démarche initiée par Michel Rocard et ses associés ? Cette contribution est-elle susceptible de nous motiver, de nous appeler à l’action en faveur d’une consommation plus réfléchie des énergies ? Qui peut se sentir concerné et motivé par ce texte au point de se mobiliser efficacement face aux crises économique, énergétique, écologique, climatique, sociale, …
Sous une forme plus pessimiste, plus négative, il ne s’agit que d’un texte dans la lignée d' »Indignez-vous ». Une version qui met en avant l’angoisse de la catastrophe pour tenter de mobiliser les hommes en fondant les espoirs sur la pédagogie de cette catastrophe.
Depuis l’an mil jusqu’au bug de l’an 2000 et aux prédictions de destruction de la terre en 2012, existe t-il un exemple de catastrophe annoncée qui ait fait changer l’humanité de chemin, peu ou prou ? Cette apocalypse annoncée sert avant tout les intérêts de ceux qui se croient investis d’un rôle majeur à l’égard de l’ensemble de nos sociétés, habités qu’ils sont par une sorte de messianisme. Derrière ces hérauts, ces messagers du drame qui se prépare, du drame de plus en plus proche et inéluctable, il ne peut y avoir que des sceptiques ou des résignés, des croyants ou des mécréants: pas de quoi faire un nouveau monde.

PS. Sensiblement dans le même temps que cet article, Michel Rocard a signé un appel pour que le Nobel de la Paix soit attribué à Stéphane Hessel (2011-ou-la-tentation-totalitaire), auteur d’un petit livre vendu à plusieurs millions d’exemplaires et dont le succès témoigne surtout de la vacuité de la réflexion contemporaine et de l’incapacité de nos congénères à trouver motif à agir. Que cet homme ait contribué à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qu’il ait toujours été fidèle à ses engagements n’en font pas un lauréat tout indiqué pour le Nobel de la Paix. Il est triste que Michel Rocard se soit laissé prendre à cette manipulation éditoriale prévue de longue date, car il est sans doute beaucoup d’hommes et de femmes actuellement en exercice qui peuvent prétendre à un Nobel de la Paix pour le rôle qu’ils jouent dans l’évolution de notre planète, mais qui ne pensent surement pas à le demander, serait-ce par l’intermédiaire de leur éditeur.

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Mon ancienne voiture

Renault m’a fait récemment parvenir une publicité, illustrée d’une crème anti-âge, me précisant qu’il y a plus efficace pour rajeunir mon ancienne voiture. Bravo à Renault qui suit parfaitement ses clients et sait leur rappeler que leur voiture vieillit, quand bien même la mienne n’a pas encore 5 ans !!

La méthode de rajeunissement proposée est ni plus ni moins celle de l’achat d’un nouveau véhicule. La prime à la casse laisse des traces. Selon le Ministère de l’Industrie, au 14 décembre 2010 ce sont 563434 véhicules qui ont été retirés du circuit en 2010 pour être conduits à la ferraille. Tous véhicules âgés, mais pas tous véhicules hors d’usage. Aucune réflexion n’a été entreprise pour savoir si certains n’auraient pas pu être recyclés auprès de jeunes, ou auprès d’associations, après expertise bien entendu. Mais tous ont été détruits au motif de la lutte contre la production de CO2.

Cet objectif au moins a t-il été atteint ? Pas si sur !

TerraEco (http://www.terra-economica.info/La-prime-a-la-casse-est-elle,8571.html) s’est livré à un petit calcul rapide et sommaire qui prouve le contraire.

En 2009, la moyenne CO2 par kilomètre parcouru sur le parc automobile français tous âges confondus était de 176 g/km.

Après le retrait des véhicules concernés par la prime à la casse et leur remplacement, cette moyenne est tombée à 169 g/km en 2010. Soit sur la base de 12798 km parcourus en moyenne par chacun des 37,5 millions de véhicules français (UN pour DEUX habitants), la production de CO2 a été abaissée de 3,3 millions de tonnes en un an.

Or, dans le même temps, chaque voiture détruite a été remplacée par un véhicule neuf fabriqué sur l’une ou l’autre des chaînes de montage. TerraEco prend l’exemple d’une Laguna dont la fabrication est responsable de l’émission de 4,7 tonnes de CO2, un chiffre assez comparable quel que soit le type de véhicule. Ainsi donc les 563434 véhicules “échangés” dans le cadre de cette opération ont entraîné la production de 2,65 millions de tonnes de CO2.

Au total le bénéfice de l’opération n’est que de … 650 000 tonnes. Encore faut-il remarquer que ces calculs ne prennent pas en considération les coûts liés à la destruction des véhicules retirés de la circulation. Le bénéfice écologique de l’opération est donc quasi nul.

Certains vont se rassurer en disant que le nouveau véhicule va produire moins de CO2 pendant les quelques années de son existence et, donc, qu’à la longue, la balance sera moins négative. Oui, certainement, même si le gain restera à la marge.

Quant au bénéfice écologique personnel, prenons un automobiliste lambda qui a fait l’acquisition d’un nouveau véhicule qui produit 169 g au lieu de 176 g/km de CO2. Au cours d’une année (12798 km !), il économisera 90 000 grammes de CO2 ! Pour compenser les 4,7 tonnes liées à l’achat de son nouveau véhicule, il devra rouler avec son nouveau véhicule pendant … 52 ans. TerraEco a pris l’exemple d’une Twingo plus économe et le temps de conduite nécessaire n’est que de … 28 années.

Moralité: il y a encore beaucoup à faire pour réduire l’impact écologique de la voiture. Et ce ne sont pas les opérations de prime à la casse ou de prime de rajeunissement qui peuvent y contribuer. Ces opérations n’ont qu’un seul objectif; celui de maintenir en vie tout un secteur économique majeur dans notre pays comme dans tous les pays industrialisés. Ce secteur ne concernent pas seulement les fabricants d’automobiles ou d’accessoires, mais aussi le circuit des concessionnaires, des garages, des carrossiers, des additifs, des carburants, de la publicité, des routes, autoroutes et rond-points, et j’en oublie certainement.

2012 verra probablement apparaître les premières voitures électriques de qualité et de compétences (autonomie) suffisantes pour en faire de vrais véhicules. Connaît-on aujourd’hui le coût écologique de fabrication d’un tel véhicule et de ses batteries ? Connaît-on le cout écologique de la recharge de celles-ci et de son traitement en fin de vie ?

Renault (encore lui) fait de la Zoé (http://news.autoplus.fr/news/1437514/Genève-2011-présentation-stand-Renault-ZOE-PREVIEW) un vrai cheval de bataille. Mais toute la stratégie en reste encore et toujours à la voiture individuelle toujours et partout. Chaque année, le coût unitaire d’un ticket de train augmente, alors qu’il devrait diminuer, seule solution pour transférer des usagers vers ce moyen de transport collectif. Les parcs de stationnement à l’entrée des villes devraient être obligatoires et reliés au centre de la cité par un réseau dense et permanent de véhicules de transport en commun, sortes de taxis électriques gratuits. Il ne s’agit pas de supprimer la voiture individuelle, mais de ne lui laisser le champ libre que dans un domaine restreint dont la ville sera nécessairement exclue. Et pour cela, il faut faire évoluer (formation, conversion) tous les secteurs économiques précédemment cités. Une lourde charge …

Zoé Renault (DR)

Tout un changement de mentalité et de comportement.

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L’échec de la Nano, une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle ?

Voici près de deux ans, jour pour jour, nous parlions ici (Tata-Nano) de la Tata Nano, cette voiture populaire indienne à 1500 ou 2000 euros. Essentiellement pour nous indigner de ce que certains considéraient comme un “cauchemar environnemental”, au motif que le constructeur envisageait une production de l’ordre de 1 million de véhicules par an à partir de 2010. Et les commentateurs de proposer aux habitants de l’Inde de ne se déplacer qu’à pied ou en transport en commun ! En mars 2009, le site “carfree france” est allé jusqu’à considérer que cette offre n’était qu’un petit pas pour la démocratie, mais un grand pas pour la destruction de la planète.

Tata Nano (DR)

Faut-il persister et signer ? Nous n’avons (et nous n’aurons) strictement aucun droit à dicter à quiconque dans le monde l’attitude qu’il doit avoir en matière de consommation et/ou de développement tant que nous n’aurons pas décidé d’un changement réel, et mis en œuvre ce changement, de nos propres habitudes de consommation et de développement. Le « Faites ce que je dis, et pas ce que je fais » est totalement inacceptable.

Et voilà qu’on reparle de la Tata Nano pour nous dire que c’est un échec commercial ! Avant d’aborder ce sujet, revenons quelque peu en arrière. Présentée au public indien en mars 2009, cette voiture a rencontré un succès immédiat, à tel point qu’en trois semaines d’avril 2009 ce sont plus de 200000 véhicules qui ont été commandés et payés d’avance. Le constructeur, bien incapable de fabriquer ces véhicules dans les délais (manifestations paysannes au sujet des terrains d’implantation de son usine) a choisi de tirer au sort les clients, promettant de satisfaire tout le monde d’ici à fin 2010. On y est. Et en septembre 2010, ce sont plus de 50000 voitures qui avaient été fabriquées et vendues. Tata envisageait alors avec confiance de se développer vers l’Afrique, vers l’Amérique Latine et, pourquoi pas, vers l’Europe avec un modèle plus et mieux équipé.

Avec la crise et surtout à cause d’une image de marque assez déplorable que ce véhicule affiche (construction bâclée, sécurité limitée, auto-inflammabilité, prix trop élevé pour le service rendu, …), les ventes s’arrêtent pratiquement pour n’être en novembre 2010 que de 500 et quelques véhicules !

La fin d’un rêve ? France 2, au journal du soir, peut bien sourire en disant que même les pays en développement peuvent avoir des flops économiques. Le Monde lui-même, par la plume de Julien Bouissou, le 21 décembre dernier (un article introuvable sur Lemonde.fr), parle de « Nano caviar » au lieu de voiture du peuple.

Comme il y a deux ans, chacun peut bien rigoler, mais l’échec de la Nano n’est pas une bonne nouvelle. Si les indiens répugnent à acheter une Nano, c’est avant tout à cause de sa mauvaise qualité qui l’assimile davantage à une Traban extrême-orientale qu’à une voiture honorable. Mais il n’y a aucune motivation écologique dans ce choix, la preuve en est que les modèles avec climatisation sont privilégiés. L’histoire mythologique de la Ford T ne se reproduira pas et le monde des pays en développement ne se mobilisera pas pour CE véhicule à très (trop) bon marché. D’autres, comme Suzuki, Renault-Nissan, voire Citroën, voire les chinois, prendront la place et réussiront à vendre des véhicules, certes plus chers, mais plus séduisants.

Fin 2010, début 2011, l’heure n’a pas encore sonnée de la prise de conscience par les pays en développement du coût écologique de la voiture individuelle. Il faut dire qu’en France même, l’heure n’a pas encore sonnée de l’interdiction des véhicules les plus polluants à l’intérieur des villes, pour ne pas parler de l’interdiction totale des véhicules au cœur des villes.

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Démocratie écologique ou dictature écologique

Dans “Le Monde” du 31/10/10 est paru un entretien avec Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL (Université de Lausanne) sur le thème de la nécessaire réforme de la démocratie si l’on veut faire face aux problèmes environnementaux.

Après avoir dressé un tableau désormais classique de disparition des espèces (sixième extinction) et de raréfaction des ressources, Dominique Bourg affirme tout crûment que la démocratie actuelle est incapable d’affronter ces problèmes et doit donc être réformée.

Elle en est incapable parce que:

  • les élus sont régulièrement soumis au jugement des individus selon le principe de la démocratie représentative. Or, les individus ne sont capables que d’un jugement spontané n’ayant rien à voir avec la durée dans le temps des problèmes environnementaux. De plus, les élus sont enclins à satisfaire les intérêts immédiats et particuliers de leurs mandants et non les intérêts globaux.
  • les individus sont formatés depuis le début de l’ère de la consommation par l’enrichissement matériel, clef du bien-être. Egoïstes, ils ne sont pas disposés à changer en faveur de moins de production et moins de consommation.
  • enfin, notre vie démocratique accorde une prime au court-terme et a bien du mal à prendre en compte les intérêts du futur.

Face à une analyse aussi sinistre, aussi négative et aussi pessimiste de notre vie démocratique, l’auteur propose une modification de notre constitution et une modification de nos institutions.

En ce qui concerne la constitution, il conviendrait d’ajouter deux nouveaux objectifs à l’Etat: celui de « veiller à la sauvegarde du bien commun qu’est la biosphère » et celui de « soumettre les ressources naturelles à une gestion internationale concertée ». Mais comme l’auteur est bien incapable de faire confiance, ni à l’Etat, ni aux futures instances internationales chargées de gérer ces deux dossiers, il envisage de modifier nos institutions.

En créant une “Académie du futur”, composée de chercheurs de tous pays qui auraient pour mission d’exercer une veille sur l’état de la planète et de faire des propositions aux “politiques”.

Au coté de cet aréopage distingué, un nouveau SENAT, en amont de l’Assemblée, élaborerait les mécanismes législatifs permettant de répondre aux nouveaux objectifs introduits dans la Constitution.

Ce SENAT serait constitué de 2/3 de “personnalités qualifiées” proposées par les ONG et d’1/3 de “citoyens”. Avec l’aval de “conférences de citoyens” (?), il aurait le pouvoir d’opposer son veto aux propositions de loi jugées contraires aux objectifs.

Voilà pour ces propositions ahurissantes qui rejoignent d’autres comportements tout aussi totalitaires. La populace est incapable de comprendre, la démocratie est trop lente, remplaçons-les par des experts et des représentants “éclairés” du peuple !! Toutes les dictatures (toutes !) ont tenu ce langage liminaire. Dans cet exemple, il est inquiétant de constater que Dominique Bourg fait partie de la Fondation Nicolas Hulot, que cet entretien publié dans “le Monde” l’a été également sur le blog (http://www.fondation-nicolas-hulot.org/blog/entretien-avec-dominique-bourg-un-systeme-qui-ne-peut-repondre-au-defi-environnemental) de la Fondation Nicolas Hulot et qu’il n’y a fait l’objet d’aucun commentaire.

Dominique Bourg (DR)

“Le Temps“, quotidien suisse, a publié dans son édition du samedi 13 novembre 2010 un article consacré au livre que Dominique Bourg et Kerry Whiteside ont consacré à ce thème de l’inadaptation de notre démocratie: “Vers une démocratie écologique: le citoyen, le savant et le politique”. Cet article d’Etienne Dubuis, intitulé “Vers une dictature écologique”, rejoint tout particulièrement mes critiques. Le voici  »in extenso ».

“L’environnement figure parmi les enjeux cruciaux de notre temps. L’homme a étendu à tel point son empire qu’il risque d’épuiser un certain nombre de ressources naturelles non seulement au niveau local mais aussi à l’échelle globale. Il se doit, par conséquent, de se préoccuper de son impact sur la planète et d’adapter son comportement à ce nouveau défi. Il reste à savoir comment. Un livre récemment paru répond à ce souci: Vers une démocratie écologique de Dominique Bourg et Kerry Whiteside, respectivement professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne et professeur de sciences politiques au Franklin & Marshall College en Pennsylvanie.

Pour les deux auteurs, l’heure est dramatique. «Les dégradations que l’humanité inflige aujourd’hui à la biosphère sont sans précédent, assure d’emblée leur ouvrage. Elles menacent notre bien-être collectif, l’équilibre économique et politique du monde, l’avenir des générations futures.» Or, selon Dominique Bourg et Kerry Whiteside, cette évolution a pour responsable la «démocratie représentative», qui serait incapable de s’élever au-dessus de ­l’égoïsme et de l’aveuglement des électeurs.

Vers une démocratie écologique propose de changer en conséquence les institutions. Il suggère de donner à la défense de la Nature une place prépondérante dans le jeu politique et de limiter le pouvoir des citoyens ordinaires. La pièce centrale de ce nouveau régime serait une Chambre haute du Parlement, le «Sénat», qui aurait le pouvoir d’«opposer son veto à toute proposition législative allant à l’encontre des objectifs constitutionnels». Objectifs parmi lesquels figureraient le «principe général de finitude» (des ressources) et, son corollaire, le «principe de précaution».

Comment seraient choisis les sénateurs? Ils seraient tirés au sort sur une liste de candidats constituée par des organisations non gouvernementales spécialisées dans la défense de l’environnement. A titre de variante, Dominique Bourg et Kerry Whiteside proposent qu’un tiers d’entre eux puisse être issu de la population «ordinaire», et ce, par tirage au sort pour éviter toute intrusion d’intérêts particuliers. «Des attachés parlementaires dotés d’une bonne culture scientifique devraient également permettre de faciliter le travail d’acculturation de ces nouveaux sénateurs», est-il précisé.

Dans la même veine, une «Académie du futur» formée de spécialistes de l’environnement et de philosophes serait chargée «de conférer un sens précis, scientifiquement informé» aux objectifs constitutionnels. Bref, d’indiquer sans appel la marche à suivre.

L’ouvrage ne manquera pas de séduire quelques écologistes radicaux. Mais il pèche de nombreuses façons et d’abord par ce qu’il tait.

Ce qu’il tait? Que le régime proposé n’est pas une démocratie, comme prétendu, mais une dictature. Le peuple n’est plus souverain lorsqu’une institution non issue de lui a le pouvoir de décider des lois. Or c’est bien ce qui est prévu. Les sénateurs sont choisis par une minuscule minorité de militants écologistes, qui ne peuvent en rien prétendre représenter l’ensemble des citoyens. Et, avec leur droit de veto, ils ont la capacité de trancher sur toutes les questions environnementales. Ce qui signifie qu’ils décident de tout, puisque l’environnement concerne de près ou de loin les domaines de l’existence les plus variés, de l’alimentation à la morale, en passant par les transports, la santé, l’éducation, etc.

Le projet est vieux comme la ­civilisation occidentale. Depuis l’Antiquité grecque, il s’est toujours trouvé des hommes pour estimer que les savants sont mieux placés que le commun des mortels pour gouverner. Vers une démocratie écologique reprend le thème sous une forme vaguement modernisée par la préoccupation environnementale. Il traduit une fascination pour le Savoir et ses détenteurs officiels, qui n’a d’égale qu’un mépris total pour l’homme ordinaire, décrété incapable de prendre la mesure des problèmes environnementaux parce qu’il ne les a pas sous les yeux.

La réalité, évidemment, est tout autre. Le Savoir n’existe pas. Il n’existe qu’une infinité de savoirs, d’ailleurs souvent approximatifs, sur des domaines extrêmement limités. Un physicien des hautes énergies possède un formidable bagage pour pénétrer les secrets de la matière. Mais il ne peut prétendre en dehors de sa spécialité posséder des connaissances susceptibles de le placer au-dessus du lot. Or la politique ne s’occupe pas d’un seul sujet, fut-il aussi large que l’environnement, elle empoigne tous les sujets. Et son objet n’est pas la connaissance mais l’action, qui suppose un type très différent, beaucoup plus complexe, de relation au monde.

Quant à l’opposition du savant transcendé par la connaissance et du pauvre pékin conduit par ses bas instincts, elle a paru sans doute nécessaire à la démonstration, mais elle ne tient pas. Comme si les esprits les plus instruits n’étaient pas mus également par leurs propres intérêts! Et comme si le peuple n’était pas capable d’écouter les experts! La différence entre la «démocratie représentative» et la soi-disant «démocratie écologique» prônée par Bourg et Whiteside n’est pas que la première ignore les avis éclairés. C’est que la seconde est formatée pour ignorer le peuple et ses aspirations”.