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Françoise Sagan

Neuvième chapitre: Françoise Sagan et Barbara

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce qui est une évidence pour certains, ne l’est pas pour d’autres ! Entre 1940 et 1945, la ville de Saint-Marcellin a accueilli deux familles dont les filles sont devenues célèbres. La famille Quoirez, ce qui nous a permis de parler longuement de Françoise Sagan, et la famille SERF, dont est issue la chanteuse BARBARA.

Françoise Sagan est arrivée à Saint-Marcellin à l’été 1940. Elle y a passé toutes ses vacances et nombre de congés de fin de semaine. Elle a quitté cette ville en octobre 1945, mais y est souvent revenue, en 1946 lors du mariage de sa sœur, en 1949 lorsqu’elle était interne à Grenoble ou Villard-de-Lans, plus tard encore afin de rejoindre ses amis et faire étape sur la route du midi.

Vers 1939 – Françoise Sagan – Collection privée -Tous droits réservés

Monique Serf, Barbara, née le 9 juin 1930, est arrivée à Saint-Marcellin en juin 1943. Elle a quitté la ville en octobre 1945. C’est alors que se posent deux questions. La première: Françoise Sagan et Barbara se sont-elles rencontrées à Saint-Marcellin? Et la seconde: pourquoi la ville de Saint-Marcellin et ses habitants accordent-t-ils une reconnaissance à Barbara qu’ils n’accordent pas à Françoise Sagan ?

Afin de répondre à la première question, précisons qu’en 1943, quand arrive Barbara, elle a treize ans, tandis que Françoise Sagan n’a que huit ans. L’une est une pré-adolescente, l’autre n’est encore qu’une fillette. Le temps pendant lequel elles vivront à proximité l’une de l’autre se limite à deux années et trois mois, uniquement pendant les vacances, petites ou grandes. L’une est juive, elle et sa famille, réfugiée, doivent redoubler de prudence, d’autant que les évènements brutaux se profilent. Elle est scolarisée en établissement public à Saint-Marcellin. L’autre est catholique et sa famille veille à ne placer ses enfants que dans des écoles privées et catholiques. L’une ne vit, économiquement et socialement, qu’avec d’infinies précautions, tandis que l’autre vit dans une famille d’industriels qui ont les moyens de leur autonomie, quand bien même les temps de guerre rendraient cette autonomie plus fragile.

Il est largement improbable qu’une vraie rencontre ait pu se produire. Peut-être se sont-elles croisées, entre La Fusilière et le quartier du Mollard, près du logement de la famille Serf, ou sur la Place d’Armes, dans un commerce … et encore … ce ne pouvait qu’être simplement le hasard, un moment fortuit … Elles racontent qu’elles ne se sont connues qu’après leur accès à la célébrité et c’est alors qu’elles ont découvert qu’une partie de leur enfance s’était déroulée dans la même petite ville du Dauphiné.

1946 – Françoise Sagan à Cajarc – Collection privée – Droits réservés

La réponse à la seconde question est beaucoup plus difficile et plus délicate. En 1945, quand l’une et l’autre quittent Saint-Marcellin, il n’est personne qui fasse attention à leur départ et formule des hypothèses sur leur avenir. Barbara est bien allée chanter une fois ou deux dans les salons d’un hôtel local et Françoise Sagan était bien une cliente assidue de la librairie locale, ce n’est pas pour cela que l’on devinait en elles une future chanteuse et une future auteure. La guerre était finie et chacun repartait chez soi.

La première à connaître la célébrité fut Françoise Sagan, lors de la publication de « Bonjour tristesse », sorti en mars 1954, soit quatorze ans après son arrivée à Saint-Marcellin et neuf après son départ. « Bonjour tristesse » fut un véritable scandale. Comment une jeune fille mineure peut-elle faire l’amour avec un garçon, en être heureuse et ne pas subir le châtiment de la grossesse ? Comment une jeune fille de dix-huit ans peut-elle écrire des horreurs pareilles et oser les présenter à un éditeur ? Rappelons-nous que l’âge légal de la majorité était celui de 21 ans, que les femmes françaises ne disposaient du droit de vote que depuis le 21 avril 1944. Et souvenons-nous qu’elles ne pourront acquérir leur indépendance économique, disposer d’un compte bancaire qu’en 1965. Quant à leur autonomie sentimentale, il faudra encore attendre …

Un autre aspect de la vie de Françoise Sagan a compté également dans cette méfiance: c’était la « fille du patron de la Cégé », la plus grande entreprise de la région, et ce que les habitants de Saint-Marcellin savaient d’elle se résumait à un caractère bien trempé, un esprit libre et aventurier, des sorties à cheval et des visites au château de La Sône, bref, une vie de fille un peu gâtée par son milieu social. Mauriac venait de la qualifier de « charmant petit monstre », certains n’étaient pas loin de penser que c’était un monstre, tout court.

Barbara, pour sa part, a connu le succès entre 1958 et 1960. Ce que l’on savait alors de sa vie a constitué autant d’éléments en sa faveur et elle a été acceptée bien plus rapidement.

Michel Jarrié (†), un passionné de culture, de lecture, de cinéma, de peinture, de photographie, arrivé à Saint-Marcellin en 1958, n’a pas connu Françoise Sagan. Il l’a cependant bien aimée et cela l’autorise à faire ce reproche à ses concitoyens: « Si je vous disais que ce pays, par pudibonderie, n’a jamais honoré sa mémoire contrairement à Barbara qui passa également une partie de sa jeunesse dans les mêmes lieux ! » Tout est résumé là … Ce qui est certain, c’est qu’à l’issue de l’épreuve de la guerre, toutes deux gagneront un grand désir de vivre et une soif d’indépendance.

Afin de conclure cette « histoire », laissons la parole à Françoise Sagan elle-même. Dans « Chroniques 1954-2003 », elle raconte sa passion pour le cheval. Mais elle raconte également le Dauphiné, Saint-Marcellin, La Fusilière, son cheval Poulou, son enfance … Elle était alors une petite fille un peu survoltée, toujours en mouvement, parfois autoritaire et surtout sensible à l’amitié des garçons et à leur compagnie (témoignage).

 » Et moi aussi, cette passion me vient de loin. Quand j’avais huit ans, nous habitions, l’été, en famille, une maison perdue, à la campagne. Mon père y ramena un jour un cheval, qu’il venait d’arracher à la boucherie, sans doute, qui s’appelait Poulou et que j’aimai aussitôt passionnément. Poulou était vieux, grand et blond. Il était aussi maigre et fainéant. Je le menais par le licol, sans selle ni mors, et nous nous promenions dans les prés des jours entiers. Pour l’enfourcher, vu sa taille et la mienne – je devais, en plus, peser vingt-cinq kilos , j’avais mis au point une technique qui consistait à m’asseoir sur ses oreilles pendant qu’il broutait – et il ne faisait que ça – et à m’agiter jusqu’au moment où, excédé, il relevait le cou et me faisait glisser tout au long, jusqu’à son dos, où je me retrouvais assise dans le mauvais sens. Une fois perchée, je me retournais, je prenais le licol, je lui donnais des coups de talon et poussais des cris de paon jusqu’à ce que, par gentillesse, il partît dans la direction qui lui plaisait. Nous en avons parcouru des kilomètres dans le Dauphiné, Poulou et moi, baguenaudant, errant – parfois trottant quand il voyait un champ de trèfle qui lui plaisait ou un ruisseau. Il était, autant que moi, insensible au soleil. Tête nue, nous montions et descendions les collines, traversions des prés, en biais, interminablement. Et puis des bois. Des bois qui avaient une odeur d’acacia et où il écrasait des champignons de ses gros fers, cliquetant sur les cailloux. A la fin du jour, souvent, je n’avais plus de force. Le soir baissait. L’herbe prenait une couleur gris fer, inquiétante, qui le faisait galoper tout à coup vers son fourrage, vers la maison, à l’abri. Il galopait et, penchée à l’avant, je sentais son rythme dans mes jambes, dans mon dos. J’étais au comble de l’enfance, du bonheur, de l’exultation. Je revois la maison au bout du chemin, la grille au bout, le peuplier ondoyant à gauche. Je sens les odeurs de là-bas, je revois la lumière du soir. Arrivée, je me laissais glisser de côté, je tapotais la tête de Poulou avec la condescendance, l’assurance, que me donnait la terre ferme sous mon pied, je le menais dans sa remise ; et là, tout affligée, je le laissais devant son fameux fourrage, plus attentif à son menu qu’à mes baisers. »

REMERCIEMENTS

  • Mention très spéciale à Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, et à son Association Françoise Sagan – https://www.francoisesagan.fr/
  • Mention très spéciale à Cécile Defforey, la fille de Suzanne, sœur aînée de Françoise, et donc sa nièce
  • R.E.M.P.A.R.T., Groupe Patrimonial de Saint-Marcellin, dont Henri Inard (†), Denise Hebert, Marina Bertrand, Maurice Hendboëg et Marc Ellenberger, archiviste honoraire et remarquable initiateur en matière de recherches généalogiques dans les Archives Départementales
  • Mairie de Saint-Marcellin, service état-civil et service technique
  • Archives Départementales de l’Isère, de la Drôme, du Lot, du Nord, du Pas-de-Calais, de Paris, …
  • Gilles Meeus, association « Si Pont m’était conté … »
  • Michel Jolland, association « Saint-Vérand hier et aujourd’hui »
  • Gérard Micoud, Gérard Rousseau, Amicale des Anciens d’Arnoud, AAA
  • Jean Petinot, ancien directeur de Legrand, ex FAE
  • Clotilde Vermont, propriétaire du Château de La Sône
  • Jean-Luc Graven, association « Ensemble pour l’Hors du Temps »
  • Jean-Michel Revol, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Dominique Odoit, préfacier de « Souvenirs d’un chattois », mémoires de son père
  • Daniel Benacchio
  • Patrick Morel, fils de Charles Morel et frère de Bruno Morel
  • Bernard Giroud, historiographe, pour ses contributions relatives à la FAE et aux Ets Morel dans « Fabriques », ouvrage réalisé par l’AISG
  • Jacques-André Clerc, de l’historique famille des Clerc …
  • Gérard Ducoeur, président de la SHAAP
  • Jean Sorrel (†), auteur de l' »Histoire de Saint-Marcellin » en deux volumes
  • Ville d’Argenteuil, Services Archives
  • Ecoles Polytechniques de Lausanne et de Zurich
  • Mairie de Cajarc, Service état-civil
  • Liliane Austruy, fille de Ferdinand Brun, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Charlotte Carra
  • Michel Jarrié (†)
  • Madame Dachis-Chapoutier
  • Henri Perret
  • Madame Da Fonseca et Monsieur Amblard
  • Docteur Jean-Jacques Mathieu
  • Michel Laurent
  • Ville de Villard-de-Lans (38), Service Archives Etat-Civil
  • Maison du Patrimoine de Villard-de-Lans
  • Ville de Lagnieu (01), Service Archives Etat-Civil
  • Mr Malbos
  • ainsi qu’à toutes celles et tous ceux que j’ai pu oublier …

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3 réponses sur « Neuvième chapitre: Françoise Sagan et Barbara »

C’est très intéressant et cela nous permet de mieux anticiper ce qui a forgé le talent littéraire de l’écrivaine et le contenu de ses livres: un esprit total de liberté dès son enfance.
Merci de nous avoir fait connaître la jeunesse de cette femme attachante.

Bravo et merci pour ce travail de fourmi ! Intéressant forcément ! Je l’ai lu avec grand intérêt et j’y ai même retrouvé « mes petits » !!!