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Mali, ô Mali

Il n’était pas évident de lire ce livre dont le texte de présentation signé par l’auteur lui-même n’attirait pas très favorablement. En effet, partir à la rencontre du Mali actuel, en guerre, pour « rencontrer les femmes échappées de justesse aux horreurs de la charia, découvrir l’économie très puissante et très illégale dont vit grassement le Sahara, faire connaissance avec les soldats d’opérette terrorisés par les combats, voir comment bandits et djihadistes s’entendent comme larrons en foire, assister à l’arrivée des Français, … », tout cela paraissait bien schématique, bien réducteur.
Pourtant, outre « Madame Bâ » (2003), nous avions bien apprécié les réflexions mondialistes d’Erik Orsenna à propos du coton (« Voyage au pays du cotoné, 2006), de l’eau (« L’Avenir de l’eau », 2008) ou du papier (« Sur la route du papier », 2012) et, donc, une intelligente curiosité intellectuelle nous a poussé à lire « Mali, ô Mali ».

Stock édite cet ouvrage sous la catégorie des romans. Ce n’est pas tout à fat exact, même si les dialogues y sont riches et les situations parfois truculentes. Disons qu’il s’agit bien davantage d’une sorte de plaidoyer en faveur d’une thèse unique, et que pour assoir ce plaidoyer l’auteur a choisi de lui donner un fil conducteur qui en favorise la linéarité. Ce fil conducteur se trouve être Madame Bâ qui, telle Jeanne d’Arc, accompagnée de son petit-fils bombardé griot, retourne au pays pour le sauver (le pays) et y entendre des voix ! Mince différence avec notre Pucelle historique qui, elle, est allée sauver son pays après avoir entendu des voix !
Tout de suite, les choses se gâtent. Dès l’aéroport, Madame Bâ s’irrite de la présence de bonnes bourgeoises emperlées venues accueillir des Touaregs. Elle les agresse violemment en qualifiant leurs invités de « plaie de l’Afrique, ceux qui ont vendu nos aïeux noirs aux Arabes comme esclaves et qui vivent aujourd’hui de fortunes acquises par les trafics de la drogue, des armes et des otages ». Au griot qui s’indigne d’accompagner une grand-mère raciste, elle répond qu’il n’est qu’un imbécile et qu’elle lui expliquera (pages 30-32).

Madame Bâ a vraiment des idées toutes faites, découpées à la hache, puisées au fil des actualités de la presse et des organes militants. Lorsqu’elle part à Dakar afin de rencontrer ATT qu’elle aime bien, elle en revient avec des notions fort discutables en ce qui concerne la présence de ces fameux Touaregs dans le Nord-Mali. ATT lui dit que ce sont  »les Touaregs qui font le plus de bruit car ce sont eux qui aiment la guerre, le mouvement, les trafics. Mais dans le désert, ils ne sont qu’un sur dix, les dix autres sont peuls, songhaïs, maures » … (pages 242-244).
La répartition des populations, une notion fragile et difficile à manipuler, permet toute les interprétations. Quelle est la délimitation de la zone prise en considération ? Quelles sont les villes qui y sont incluses ? A quelle période faisons-nous référence ? Lors de l’indépendance acquise voici un peu plus de cinquante ans les populations de Kidal étaient majoritairement touarègues et celles de Gao l’étaient à quelques 40 %. Les choses ne sont plus les mêmes ? Cela justifie-t-il de parler d’un sur dix ?
Madame Bâ, qui a de la suite dans les idées, revient encore une fois sur cette question touarègue dont elle fait de sa solution la clé de voute de la crise malienne. C’est à la fin du livre (pages 396) « Touaregs, ô Touaregs, pourquoi vous laissez-vous représenter par les pires d’entre vous ? »
Tout comme elle ignore qu’actuellement il est bien impossible à un Touareg, à plus forte raison à un groupe de Touaregs, d’obtenir un visa pour la France et donc de se retrouver accueilli à l’aéroport, Madame Bâ ignore l’histoire de ce peuple en lequel elle ne voit que des voleurs et des trafiquants qui ont une vieille expérience: ils trafiquaient déjà les noirs !

(DR)

Madame Bâ a d’autres souffre-douleurs, et notamment les organisations internationales de l’ONU (pages 125-126). Nous ne sommes pas dans un roman, il suffit donc de 38 lignes pour stigmatiser une action (réelle ? imaginée ?) visant à faire fabriquer des demi-lunes de pierre (sorte de petites barcanes) afin de retenir les prochaines pluies pendant quelques instants. Ce sont des femmes qui sont payées pour faire ce travail  »pendant que les hommes somnolent ou parlotent; rien n’est perdu ! ». Effectivement, rien n’est perdu, Madame Bâ, puisque cet argent restera à disposition des femmes et sera peut-être réinvesti dans l’édification de greniers à mil ou l’achat de quelques chèvres ! Et puis, vous qui êtes si forte, Madame Bâ, pour parler de la limitation des naissances (qui est l’un de vos thèmes de prédilection), commencez-donc par apprendre ce qui fait la personnalité des femmes africaines. Est-ce Montreuil, ou bien est-ce votre « géniteur littéraire » qui vous éloigne donc tant de votre africanité ? Oui, chaque femme met au monde un peu plus de six enfants. Mais combien parviennent à l’âge adulte ?
Le Mali est aussi l’un des pays les plus pauvres du monde, l’un des derniers dans le classement de l’ONU. Quel est le facteur qui influe sur l’autre ? Est-ce la fécondité qui entraîne la pauvreté ? Ou bien, est-ce la pauvreté qui conduit les femmes a faire de nombreux enfants pour en garder quelques-uns ? Pour 1000 naissances vivantes au Mali, il y aura déjà 110 décès dans moins d’un an, soit 11 %. Et dans deux ans ? Et dans cinq ans ? Et dans dix ans ? Vous êtes sérieuse, madame Bâ, quand vous nous faites une comparaison avec l’Iran ? L’Iran, malgré ses inégalités, est la 21° puissance économique mondiale. L’Iran a un taux de mortalité trois fois inférieur à celui du Mali. Alors oui, l’Iran peut abaisser son taux de fécondité de 6 à 2 enfants par femme !!

Après lecture de ces quelques idées toutes faites, il nous reste l’essentiel, c’est à dire la défense de l’intervention française au Mali, la défense sans nuance de Serval, avec les légendes les plus tenaces, comme celle des forces djihadistes capables de parcourir les 640 kilomètres séparant Konna de Bamako en une journée et donc justifiant d’une intervention éclair (et peu légitime). Nous en avons beaucoup parlé ici, c’est pourquoi nous regrettons le manichéisme de Madame Bâ.

Il y a beaucoup de belles choses dans ce « roman », de séduisantes descriptions du Niger tout comme de généreuses descriptions du courage des Maliens, Mais pourquoi avoir noyé ces belles pages dans une compilation de positions dogmatiques ?

Erik Orsenna, vous avez déclaré que vous partagiez beaucoup des points de vue de Madame Bâ. Il vous faudra lui apprendre (lui réapprendre) au moins deux ou trois choses. La guerre dans son pays n’est pas que la somme de la lâcheté des militaires et de la cupidité des Touaregs. Ceux-ci ont une histoire qui ne se résume pas au trafic d’esclaves dans les siècles passés et de drogue au XXI° siècle. Enfin, la régulation des naissances ne s’impose pas en arrivant de France avec des valises de patchs contraceptifs.

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