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Droit d’ingérence et droit de punition

Ce n’est pas l’objet de ce blog. Et donc chacun aura pu constater que nous n’avons fait quasiment aucun commentaire à propos de la crise syrienne. Nous n’avons pas l’envie de modifier notre position et nous limiterons donc notre analyse à une réflexion sur ce fameux droit d’ingérence, prétexte aujourd’hui à un « droit de punition » invoqué à l’encontre du régime syrien.
Si le sujet fait débat, c’est parce que l’opinion publique ne comprend pas les subtilités qui font que la France intervient au Mali pour en chasser les djihadistes et autres islamistes radicaux et veut intervenir en Syrie pour punir Bachar el Assad et, par voie de conséquence, « rééquilibrer » l’avancée des combattants rebelles qui sont quelque peu en difficulté, et qui sont de plus en plus dominés par … les islamistes radicaux. Ajoutons à cela une phase critique en politique intérieure: la rentrée sociale et politique, les indices de satisfaction toujours à la peine, l’augmentation des impôts, le chômage toujours croissant, .. tout cela conduit l’opinion a solliciter une énergie nouvelle en faveur des questions domestiques et non des questions diplomatiques et internationales.
Nous avons cité le Mali. L’attitude de la France au cours de la récente intervention militaire dans ce pays relève également d’un droit d’intervention, d’un droit d’ingérence, d’un droit de punir, qu’elle s’est attribué. Ici-même, nous avons suffisamment critiqué cette intervention, pour souligner qu’elle ne se faisait pas dans le cadre défini par l’ONU, qu’elle ne respectait pas les diverses résolutions de cet organisme, que la France intervenait directement et quasi seule dans un premier temps alors qu’elle s’était engagée sur l’inverse exactement et que cette opération Serval se traduisait au final par le maintien sur place d’un fort contingent de militaires français (3000 hommes). Rappelons-nous le vocabulaire. Il convenait de « tuer », « éliminer » les terroristes d’Al Qaïda et autres structures djihadistes. Il fallait intervenir vite, sans attendre, parce que ces « terroristes » étaient aux portes de Bamako …
Le droit d’ingérence, le droit d’intervention, déjà le droit de punir, argumentaient l’intervention et la présence de la France, tout autant pour sauver le Mali que pour défendre nos intérêts.
A l’exception du fort contingent militaire resté sur place, à l’exception des milliers de réfugié qui ne sont toujours pas rentrés chez eux, à l’exception du problème touareg qui n’est aucunement réglé, à l’exception des conflits persistants dans le nord entre touaregs et arabes, entre noirs et arabes et touaregs, conflits qui font des victimes quotidiennes, à l’exception du retour dénoncé des djihadistes, l’opération Serval se sera plutôt bien passée et pourra être qualifiée de « succès ». IBK a été élu à la régulière, son challenger Soumaila Cissé est en mesure, s’il le veut, de représenter une opposition crédible, le capitaine putschiste a été promu général et le président intérimaire a nommé toute une kyrielle de diplomates, de hauts fonctionnaires et grands administrateurs de l’Etat à la veille de son départ. François Hollande pourra assister à l’investiture du nouveau Président le 19 septembre prochain !
Juste une toute petite information ! Que l’on se souvienne que les élections présidentielles maliennes étaient prévues pour avril 2012, auxquelles IBK et Cissé avaient fait acte de candidature. Et que si ces élections n’ont pas eu lieu, c’est parce qu’un capitaine putschiste a pris le pouvoir et a indirectement permis aux « terroristes » de s’approcher de la Capitale.

Aujourd’hui, le même tandem français est à la manœuvre au sujet de la Syrie: Fabius et Le Drian, les Affaires Etrangères et l’Armée. En ce qui concernait le Mali, c’était Fabius qui était à la remorque de Le Drian. Pour la Syrie, c’est l’inverse.
Le résultat est le même. Après de fracassantes déclarations concernant l’impérieuse obligation de punir que la France faisait sienne, les difficultés sont apparues: c’est à reculons qu’Obama se dirige vers une intervention militaire dont il n’a pas du tout envie, la Grande-Bretagne s’y est opposée et le précédent irakien n’en est pas la seule cause, l’Europe, si elle condamne l’utilisation de gaz mortels, ne veut pas d’une intervention, l’Allemagne sans doute encore moins que ses voisins, la Ligue Arabe refuse de s’engager dans un guêpier pareil. La France est seule et toute les rhétoriques autour de la condamnation morale du régime syrien ne changeront rien à l’affaire.
En conformité avec ses choix éditoriaux, « Le Monde » s’est résolument engagé du coté des guerriers. Le « général » Nougayrède a rédigé un exceptionnel (de par sa longueur) éditorial nous expliquant ce qu’il fallait faire, pourquoi il fallait le faire et comment il fallait le faire. Depuis, toute sa rédaction développe les argumentaires présentés et les éléments de langage mis en exergue. Comme il moins facile que pour le Mali de négliger les opposants à la guerre, alors on les présente sous forme d' »opinions » divergentes. Sur Lemonde.fr, à deux reprises déjà, les opposants à la guerre ont été assimilés à l’extrême-droite et aux militants anti-mariage gay. C’est dire jusqu’où peut aller une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle: faire passer pour progressistes les tenants de la guerre !

 »Il faut punir », disent-ils.

Il existe deux sortes de punition.
La première se veut éducative, voire pédagogique. C’est la sanction infligée à l’élève, à l’apprenti, à l’esclave, lorsque celui-ci n’a pas respecté les méthodes et principes de réalisation d’un processus, n’a pas appris une leçon, n’a pas appliqué correctement des consignes. Cette punition est appliquée par un « maître ». On peut discuter à l’infini de ses valeurs pédagogiques, mais il est évident, philosophiquement parlant, que le maître et l’élève se « reconnaissent » mutuellement, même si cette reconnaissance peut être hautement conflictuelle. Il n’y aura plus de punition lorsque l’élève ne reconnaîtra plus le maître et s’émancipera.
Dans le cas syrien, est-ce ce type de sanction qui est envisagé ? En ce cas, qui donne à la France, aux Etats-Unis, à l’Occident le mandat de punir et, conjointement, la toge du « maître » ? A l’évidence, personne.


La seconde forme de punition s’apparente davantage au règlement de compte. Elle intervient d’ailleurs souvent après des tentatives infructueuses de la première méthode. Méthode radicale, le règlement de compte vise à éliminer celui qui tente d’échapper, par le bien ou par le mal, par le haut ou par le bas, aux règles imposées par les tenants de l’ordre. Il s’agit, dans notre cas, de l’ordre mondial ou de l’image que veulent diffuser les maîtres de l’ordre mondial. La guerre chimique est une « ligne rouge ». Pourquoi ? Pourquoi davantage de répréhension à l’égard du gazage qu’à l’égard du bombardement aveugle ? Peut-on qualifier d’immoral l’emploi de gaz de combat ? L’usage de bombes à fragmentation serait-il plus moral ?
Quoi qu’il en soit, le règlement de compte vise à éliminer celui qui, délibérément, ne respecte pas les règles imposées, celui qui fait un usage personnel, et souvent à son avantage ou bénéfice, des processus et méthodes généralement reconnues. Dans notre cas syrien, le but recherché est d’abord celui d’un « rééquilibrage » en faveur des forces rebelles. Le cas libyen nous rappelle cependant que l’expédition de l’OTAN s’est achevée par l’assassinat, par la France, de Mouammar Khadafi. La question est la même: qui donne à l’Occident, aux Etats-Unis, à la France, mandat pour mettre sur pied un règlement de compte ? A l’évidence, personne !

« Au départ on peut penser qu’on est seuls quand on prend la responsabilité d’agir et de prévenir les autres que nous, parce que nous sommes la France, avons un rôle particulier mais ensuite, il y a un travail de conviction, il se fait ». Ainsi s’est exprimé François Hollande le 8 septembre, à Nice, dans le cadre des « Jeux de la Francophonie ». Quel « rôle particulier » est celui de la France ? Quelle idée de la mission de ce pays François Hollande se fait-il ?

A woman holds up a placard during a demonstration against British military involvement in Syria opposite Downing Street in central London on August 28, 2013. AFP PHOTO/CARL COURT (Photo credit should read CARL COURT/AFP/Getty Images)


La seule autorité susceptible de délivrer un mandat pour une intervention en Syrie (ou ailleurs) est l’ONU. Il n’y en a aucune autre.
 »L’ONU n’est qu’un « machin » inefficace, lent à se décider, doté d’une incroyable inertie ? »
C’est exact ! L’ONU n’a pas 70 ans d’existence et l’ONU n’est que la somme de tous les pays qui la composent. Elle ne peut agir avec efficacité et promptitude que si les pays qui la composent prennent soin d’elles et l’utilisent aussi souvent que possible. L’ensauvagement du monde (cher à Madame Nougayrède), ne se renforce que lorsque les Etats mettent en avant leur prétendu « rôle particulier » et, ce faisant, tuent le multilatéralisme et une future gouvernance mondiale !
Si l’on doit rechercher où se trouve le progressisme, c’est ici qu’on le trouvera !

Si l’on refuse les « punitions », la seule méthode permettant de résoudre les conflits s’appelle la diplomatie. Il n’y en a aucune autre.
 »La diplomatie n’est que procédures et discussions longues et lentes, ne débouchant sur rien ou pas grand-chose, et pendant ce temps les victimes continuent de s’accumuler ? »
C’est sans doute exact ! Sauf que rien ne prouve que les victimes ne seraient pas encore plus nombreuses en cas de dissémination des affrontements si l’on pratique les expéditions punitives et si l’on ajoute la guerre à la guerre. Liban, Iran, Irak, Israël, qui pense à tous ces pays et aux éventuelles conséquences d’un déferlement de violences ?
La diplomatie, c’est déjà remplacer le bruit des armes par la parole. Et ceci sans aucun préalable, d’aucune sorte. Lorsque tirent les armes, elles le font sans préalable. Dans un premier temps, la diplomatie ne doit avoir pour objet que de remplacer les cris des armes par des paroles, des propos, violents s’il le faut, avec des intermédiaires s’il le faut. Il est singulier que de tous nos va-t-en-guerre, il n’en est aucun pour réclamer et aider à mettre en œuvre un cessez-le -feu, de quelques heures, de quelques demi-journées, de quelques jours. La diplomatie, dans sa fonction d’entremetteuse, est devenue gênante et obsolète, alors que la notion même de négociation fait partie de la guerre. L’exemple malien, cette fois-ci, l’illustre bien: la France a décidé de son intervention alors même que des discussions se tenaient à Bamako et au Burkina sous l’égide de l’ONU avec la présence de Romano Prodi, discussions qui ont été sabotées par le Mali fantoche et par la France. Les participants au conflit syrien qui, aujourd’hui encore, se refusent à prendre place autour d’une table (Genève 2, par exemple) doivent y être poussés par leurs propres soutiens. En l’occurrence, la France a l’impérieux devoir de pousser à la table la Coalition Nationale Syrienne (même si elle ne représente pas grand chose) plutôt que de chercher à « rééquilibrer ses positions » (Laurent Fabius).
Ici encore; l’ensauvagement du monde ne se renforce que lorsque les Etats mettent en avant leur prétendu « rôle particulier » et, ce faisant, assassinent le dialogue et la négociation !
Si l’on doit rechercher où se trouve le progressisme, c’est ici qu’on le trouvera !


Peux-t-on ajouter un commentaire plus général ?
Le prétendu « rôle particulier » des Etats ne s’exprime pas que dans le domaine guerrier. On le retrouve en matière de commerce, par exemple, dans le cadre de l’OMC où les occidentaux alternent avec mépris les demandes d’allègement des taxes douanières ou l’imposition de nouvelles taxes aux pays émergents et en développement, selon que les fluctuations des marchés les avantagent ou non.