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Bruits de bottes à Bamako et à Paris

Au classement mondial des pays selon leur PIB, le Mali intervient au 207° rang sur 227 pays cités, avec un revenu moyen par habitant de 1200 $ par an (estimation 2010).
Au classement mondial des pays selon la santé de leurs populations et les équipements de soins, le Mali se positionne au 163° rang sur 191 pays cités (OMS 2012).
Au classement mondial des pays selon leur Indice de Développement Humain, le Mali émarge à la 175° place sur 187 pays cités (IDH classement 2011).
Au classement mondial des pays selon la Perception de la corruption, le Mali se place au 116° rang sur 178 pays nommés, tout juste après le Sénégal récemment « honoré » (105°) et bien avant la Côte d’Ivoire (146°) (Transparency International 2010).
Il ne nous sera pas possible de vous donner le rang du Mali en ce qui concerne le taux d’alphabétisation des adultes ou l’Index de Performance Environnementale: le pays n’apparaît pas (ou plus) dans ces classements.

Il serait sans doute facile, et peut-être un peu faux et injuste, de n’incriminer que l’ancien colonisateur dans ce maigre bilan. Il n’empêche que plus de cinquante ans après l’émancipation du pays, après cinquante ans de Françafrique, le résultat est là: le Mali, même si on a pu, avec un peu d’exagération, le présenter comme un modèle de démocratie africaine, n’est qu’un pays pauvre, très pauvre.

C’est pourtant dans ce pays que François Hollande, à peine sèche l’encre de son Discours de Dakar (L-Europe-et-le-Mali:-prix-Nobel-et-discours-de-Dakar), se propose d’intervenir pour chasser les islamistes qui en occupent le Nord. Oh, pas directement, ni de façon trop visible (au moins dans un premier temps), mais en « soutien » d’une coalition d’armées africaines et, peut-être, algérienne. Est-ce là la première application des « nouvelles relations » que le Président français a défendues le 12 octobre ?
La vision de la France sur l’Afrique, singulièrement les anciennes Afriques Occidentale et Equatoriale (AEF et AOF), n’a pas changé. Il y a là un pré carré à défendre, des intérêts à protéger, des richesses à exploiter, un développement à mettre en place … Hollande marche dans les pas de Sarkozy, qui marchait dans les pas de Chirac, qui marchait dans les pas de Mitterrand, qui marchait …
Quant aux USA, soyons clairs, depuis 2009, ils ont choisi d’activer leur présence en Afrique Sub-saharienne (AFRICOM). La France et l’Europe, les Etats-Unis, ne vont pas au Mali pour y défendre un pays éclaté, ils y vont pour défendre des intérêts économiques et logistiques.

Comme dans le cas de la Libye, toutes ces forces nous tiennent le discours de la démocratie, de la lutte contre le terrorisme islamique ou de la reconstruction du Mali actuellement divisé en deux.
« Le Monde », ce soir, dans un éditorial d’une rare indigence, part de nouveau en guerre, avec la même précipitation, avec la même hâte que pour la Libye. Ses arguments sont simplistes: le Mali est la victime de l’islamo-gangstérisme: drogue, contrebande, proxénétisme et enlèvements au nom de l’islam … Accessoirement, la guerre inévitable et souhaitée aura également pour but de rétablir l’intégrité territoriale du pays.
L’éditorial en question débute par une affirmation totalement mensongère: « Toute tentative de négociations a échoué avec ces groupes ». Or, autant qu’on le sache, des discussions avaient encore lieu à Bamako voici 72 heures, en particulier avec Romano Prodi, l’envoyé spécial du Premier Secrétaire de l’ONU. Et la même ONU a donné un délai de 45 jours afin de laisser une chance à la négociation et de permettre aux états africains de formuler clairement les modalités de leur intervention. Mais non, « Le Monde » pousse à la roue de façon à ce que l’engagement ait lieu avant même que les réponses aux négociateurs aient eu le temps d’être formulées. Comme lors de l’action en Libye, « Le Monde » se comporte comme un va-t’en-guerre.

Il n’est pas question ici de minimiser les risques que comporte cette situation au Nord-Mali. Mais n’est-t-il pas curieux d’apprendre, le même jour, que « des centaines de djihadistes arriveraient par le Nord », une information inlassablement répétée dans tous les médias, histoire de créer un peu de panique et d’activer le mouvement, et que « les rebelles, inquiets d’un déploiement de forces imminent, déserteraient en masse » (http://maliactu.net/deploiement-imminent-de-la-cedeao-les-rebelles-islamistes-enregistrent-des-desertions-massives/) ? Manipulation de l’information, quand tu nous tiens …

Depuis le coup d’état du 22 mars, depuis la « déclaration d’indépendance » du MNLA, depuis la neutralisation de celui-ci par des troupes islamistes ayant fait plus ou moins allégeance à Al Qaïda, le Nord Mali vit dans la peur et sous le joug d’une nouvelle « culture »: fermeture des écoles au bénéfice des écoles coraniques, , interdiction du tabac, des loteries, des chants, des danses, des vêtements lumineux, … femmes et enfants sont les victimes de ce système digne des talibans. A ceci, vient s’ajouter une « législation » intransigeante: lapidations, mutilations, …
Pourtant, il y a des résistances. Des jeunes ont déjà eu l’audace de manifester contre cet ordre islamique. Des femmes disent vouloir porter les vêtements de leur libre choix, quitte à mourir mais à ne pas accepter la charia ….
Les touaregs du MNLA se déclarent disposer à renoncer à une revendication immédiate de l’indépendance, alors qu’ils n’ont jamais été écoutés par le pouvoir central de Bamako.

Ville de Gao, le 10 septembre 2012 (C)Reuters


Une négociation ne consiste pas à donner raison à l’inacceptable, elle consiste à faire savoir aux forces en présence que l’intervention sera inévitable si les positions restent inchangées. Elle consiste à soutenir les hésitants, à offrir des garanties à ceux qui se sépareraient des fanatiques, à promettre aux Touaregs, avec une garantie internationale, que le développement de leur « pays » sera enfin pris en compte, à exercer une présence physique importante, à susciter des divisions … or en parlant de groupes mafieux, ou d’islamo-gangstérisme, on s’interdit toute négociation. Mais là est peut-être le but recherché.

Toujours est-il que « Le Monde » achève son éditorial par une sentence pleine d’un cynique mépris à l’égard des Maliens: « Restent les Maliens, divisés par de petites querelles intérieures. Le moins qu’ils puissent faire est de manifester leur unité ».
Les Maliens ne sont pas divisés par « de petites querelles »: les Maliens vivent la catastrophe d’un pays démantelé et non gouverné (ou si peu) et redoutent le drame d’un conflit qui ne solutionnera rien et créera de nouvelles tensions (et guerres) entre africains et touaregs, entre africains et arabes, entre « noirs » et « blancs » ….

Ce n’est qu’un point de vue, à lire, pour compléter ce post: celui d’un journaliste camerounais, opérant dans Slate Afrique, Théophile Kouamouo (http://www.slateafrique.com/96123/pourquoi-les-maliens-ont-raison-de-se-mefier-bamako).



Ajout du 24 octobre 2012
Comme prévisible, le MLNA dément formellement l’arrivée massive de combattants djihadistes dans le Nord-Mali ! Comme en Tunisie, comme en Egypte, comme en Syrie, il faudra que la presse occidentale y regarde à deux fois avant de publier des informations en provenance des islamistes radicaux !!

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La fin de Khadafi et la fin d’ATT

Ce n’est pas un titre de gloire, mais le 30 octobre 2011, ici-même (Sauver-Benghazi-pour-mieux-punir-Syrte-…), nous annoncions ce qui allait, ce qui devait se passer dans cette vaste zone qui va de la Libye au Mali. Et nous parlions de désastre. De plusieurs désastres, car les motivations de la guerre menée en Libye, et les conditions dans lesquelles elle s’est réalisée, ne pouvaient pas déboucher sur autre chose.

Mais auparavant, faisons commentaire d’une info dont Mediapart s’est fait le porteur et qui s’avère être un véritable « flop ».
Le 12 mars, Mediapart publie un article selon lequel le financement de la campagne 2007 de Sarkozy aurait été financé, à hauteur de 50 millions d’euros, par Khadafi, son fils Saïf Al Islam, avec Brice Hortefeux pour intermédiaire. Ces informations, tapées en caractères sibyllins sur un vulgaire bout de papier, dateraient d’octobre 2005. Curieusement, aucun organe de presse ne développe cette information. Tous, en France, mais aussi en Belgique ou en Suisse, reprenne le contenu de l’article de Mediapart, mais quasi personne ne fait le moindre commentaire. A deux exceptions près. Celle du Réseau Voltaire, Thierry Meyssan, sur laquelle on ne s’étendra pas, sauf en ce qui concerne une bizarre accusation: si la campagne de Sarkozy a été financée par Khadafi, il en aurait été de même pour la campagne de …. Ségolène Royal. L’autre exception est celle de Marianne dont Philippe Bilger (http://www.marianne2.fr/Kadhafi-et-si-BHL-avait-servi-a-brouiller-les-pistes-du-financement-de-la-campagne-2007_a216408.html), dans son blog, souligne que bien des choses restent incompréhensibles alors qu’il laisse entendre qu’il doute de la sincérité de ce « mémo » présenté par Mediapart.

Coup de tonnerre, quatre jours plus tard, Mediapart déclare que Jean-Charles Brisard, son « indicateur », retirait tout ce qu’il avait pu dire au motif qu’il avait « été associé malgré lui à de soi-disant révélations ». Et là, curieusement, personne ne cite ce démenti, strictement personne.
Pourtant, il est loisible de se poser un certain nombre de questions.

  • Le 16 mars 2011, Saïf Al Islam, particulièrement remonté, accordait une interview à Euronews et déclarait que son père avait financé la campagne de Sarkozy.  » Nous avons les preuves, tous les détails, les comptes bancaires, les documents et les opérations de transfert ». Le 12 mars 2012, dans Mediapart, Jean-Charles Brisard déclare qu’il a un dossier, des notes, des documents de transfert. Curieux hommes que ces « mafiosi » qui gardent une trace réglementaire de tout ce qu’ils trafiquent !! Et pourquoi Khadafi n’a t-il jamais mis à exécution ses menaces de publication des fameux comptes bancaires ?
  • Une autre question vise à comprendre pourquoi Sarkozy aurait décidé de trahir aussi brutalement son donateur. Dire que c’est pour effacer les preuves de ce financement relève du « cinéma ».
  • Nicolas Sarkozy avait-il vraiment besoin de 50 millions ? Alors qu’il semble, à ce que l’on raconte, que la famille Bettancourt était à même de lui en donner à guichet ouvert ?
  • Et enfin, pourquoi ce prétendu bout de papier écrit en 2006 arriverait aujourd’hui, et seulement aujourd’hui, dans la rédaction de Mediapart ?
    Le problème, c’est que l’Internet laisse derrière lui une longue traîne. Lorsque « Rue89 » a déclaré que Camatte était un agent secret, à le suite probable d’une mauvaise interprétation d’un commentaire de fonctionnaire, cela n’a jamais été démenti et cela traîne encore dans de nombreux sites africains. Gageons qu’il en sera de même pour le financement de la campagne 2007 de Sarkozy …

    Cet imbroglio qui a présidé à la décision de faire la guerre en Libye et d’y supprimer Khadafi est donc à l’origine de plusieurs désastres.
    Le premier désastre potentiel était celui d’un risque de transfert de conflit d’une terre à l’autre. C’est chose faîte puisque les touaregs du MNLA, lourdement armés, ont quitté la Libye et sont rentrés au Mali pour y réclamer l’indépendance de l’Azawad (L-Azawad-et-le-Mali). Ils y mènent une guerre violente, dure, cruelle et rien ne les arrête. Les populations civiles fuient vers le Niger ou vers la Mauritanie (plusieurs centaines de milliers) et viennent gonfler d’autres populations déjà en situation de souffrance alimentaire.
    Le second désastre potentiel était celui d’une partition de la Libye. C’est chose faîte, ou presque, puisque la Cyrénaïque réclame son autonomie, avant de réclamer son indépendance. Celui également d’une partition du Mali puisqu’au-delà de la revendication d’indépendance de l’Azawad (curieusement limité aux frontières officielles du Mali), un groupe salafiste revendique maintenant (http://www.slateafrique.com/84371/de-nouvelles-fissures-dans-la-rebellion-touaregue-au-mali) son autonomie et veut étendre la loi islamique à l’ensemble du Mali.
    Ici, comme en Libye, le troisième désastre potentiel était bien de laisser le champ libre à tous les agitateurs religieux qui se multiplient au cœur de cette vaste zone quasi désertique: salafistes, AQMI, … Là aussi, c’est chose faite.

    Comme un désastre ne vient jamais seul, l’armée régulière malienne (une partie ?) vient de renverser ATT. Si elle a quelques griefs solides à exprimer au Président de la République du Mali, et notamment celui d’être abandonnée au fond du Nord, sans appui logistique (il a fallu qu’un hélicoptère de l’armée américaine largue des vivres !), et régulièrement massacrée par les combattants touaregs, cela ne l’autorisait en aucune sorte à prendre le pouvoir. D’autant plus, s’il s’agit de déclarer que l’on va organiser des élections, alors même que celles-ci devaient se tenir dans un mois !! Curieuse et inquiétante conception de la démocratie.
ATT (C)Reuters/Pool New

ATT est un démocrate. Dans le contexte africain, il dénote avec sa ferme volonté de ne pas faire de nouveau mandat, (il en a fait deux) et de céder la place. ATT a joué un rôle capital à l’égard de la part importante de ses compatriotes exilée en Europe, en France particulièrement: les Maliens de l’extérieur. Il s’est opposé à plusieurs reprises et avec fermeté à la signature d’accords de gestion concertée des flux migratoires avec la France, accords dont Besson, puis Hortefeux, s’étaient fait les champions. ATT s’est enfermé dans un refus de faire la guerre à AQMI dans le nord du pays, une guerre qu’il disait ne pas être la sienne, ni celle du Mali. C’est pour cela qu’il a été considéré comme le maillon faible de la lutte contre le terrorisme. Et quand les touaregs sont rentrés au pays pour affronter le pouvoir central, avec la complicité réelle ou tacite (malgré leurs dénégations) des islamistes, il n’a pas vu que la dimension du conflit et le rapport de forces n’étaient plus les mêmes. Le point de vue de Slate ici (http://www.slateafrique.com/84473/le%20bilan-conteste-de-amadou-toumani-toure).

Ce désastre-là ne fait que commencer. Les populations du nord, comme du sud, n’ont pas fini d’en souffrir, les libertés de choix et de convictions d’en pâtir, et la région toute entière (Mali, Niger, Sénégal, Burkina) d’en être durablement déséquilibrée.