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Françoise Sagan

Sixième chapitre: Françoise Sagan et la voiture électrique

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce chapitre va nous entraîner à beaucoup parler, encore, de Pierre Quoirez. Le plus important est cependant de prendre conscience que notre région a été, pendant quelques temps, le centre de réflexion de nombreux ingénieurs et techniciens qui ont œuvré sur un projet novateur, très largement en avance sur son temps, celui d’une voiture à propulsion exclusivement électrique et à carrosserie en aluminium.

En 1940, lorsque Henri de Raemy a nommé Pierre Quoirez à la tête des usines dauphinoises de la FAE, il lui a également attribué une mission : celle de superviser le dossier d’étude et de réalisation d’une voiture électrique. Ce projet avait été confié à Jean Albert GREGOIRE. Né le 7 juillet 1899 et décédé le 18 août 1992, Jean Albert Grégoire avait effectué une partie de sa scolarité au Collège Stanislas où il s’était lié d’amitié avec Pierre Quoirez. Polytechnicien, entré en 1918 et sorti en 1921, il était devenu constructeur et pilote d’automobiles. Spécialiste de la traction avant, il est l’inventeur d’un procédé d’amélioration de celle-ci, le joint homocinétique Tracta. Excellent sportif, il a participé de 1927 à 1930, soit quatre années consécutives, aux « 24 heures du Mans », desquelles il est toujours sorti parmi les dix premiers.

C’est à cet homme que Henri de Raemy demande de réaliser cette voiture électrique. Celui-ci s’entoure d’une équipe de spécialistes, ingénieurs, mécaniciens, électriciens et précise qu’il estime bien préférable de concevoir un véhicule intégralement électrique et de ne pas chercher à adapter un véhicule à essence. Le prototype mis en chantier est celui d’un cabriolet de deux places. Il confie à Paul RAPIN la partie électrique consistant en un moteur permettant la récupération de l’énergie de décélération et de freinage. Et il propose que ce prototype soit réalisé à Lyon à la Société des Véhicules Electriques SOVEL, une société qui venait d’être reprise par la CGE. Nul ne sait exactement le rôle joué par Pierre Quoirez dans cette équipe. A-t-il contribué au projet en tant qu’ingénieur ? Quoi qu’il en soit, il est le cadre de la CGE en charge de la supervision du dossier.

Le cabriolet, baptisé officiellement « CGE Tudor », du nom du fabricant des batteries (une filiale de la CGE), ou encore, officieusement, « CGE Grégoire », est un véhicule en aluminium, construit par Hotchkiss sur une carcasse coulée. Il pèse, avec son moteur central, 510 kg. Il faut y ajouter les batteries, réparties à l’avant et à l’arrière, qui pèsent à elles seules 460 kg. Deux raisons ont présidé au choix de l’aluminium ; la légèreté du matériau afin de limiter le poids en marche du véhicule et la résistance de l’aluminium aux acides des batteries. En version finale, la CGE Tudor mesure 3,70 m de long, 1,40 m de hauteur et a un empattement de 2,35 m. Le 11 septembre 1942, ce véhicule bat un record en parcourant 225 km à la moyenne de 43,32 km/h.

CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)

Pour toutes les photographies de l’IHA: Droits réservés – culturalu@histalu.org Photos Thierry Renaux et Alexandre Kubiak

Quand les premiers exemplaires sortent des usines Hotchkiss, ils sont mis à disposition de la direction de la CGE, des directeurs des branches, des filiales et de quelques maisons amies, le but étant de populariser ce nouveau véhicule. C’est ainsi que Pierre Quoirez se voit doté d’un exemplaire de ce véhicule qu’il utilisera entre sa maison de la Fusilière et ses usines.

Fin 1944, la production de cette voiture est interrompue, malgré le soutien apparent de l’Etat (Vichy). Plusieurs arrêtés ont été pris, visant à organiser l’homologation des véhicules électriques (18 décembre 1940, 19 juillet 1941, 30 octobre 1942, 6 septembre 1943). Cependant, en date des 1er octobre 1942 et 16 décembre 1942, ce sont les autorités allemandes de l’office central de répartition des produits industriels qui interdisent l’emploi d’acier, de fonte, de fer et de métaux non ferreux pour la fabrication des véhicules électriques à accumulateurs. Par ce biais, les Allemands instaurent des restrictions sur des composants essentiels, peut-être en vue de s’approprier les projets. Par ailleurs, les constructeurs français; Renault, Citroën, Peugeot, ne sont pas en faveur du développement des voitures électriques, seul Panhard et Levassor s’y intéresse sans en avoir les moyens. Enfin, le Conseil d’Administration de la CGE n’y est plus très favorable: environ 200 exemplaires auront été fabriqués, dont le prix reste beaucoup trop élevé pour qu’un vrai marché soit créé.

Cette petite révolution industrielle manquée, avec quatre-vingt ans d’avance, n’a laissé que très peu de traces à Saint-Marcellin et rares sont celles et ceux qui connaissent l’aventure, malgré un bel ensemble de documentation consultable sur Internet (1). Nous tenons à remercier l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA) qui a accepté que nous reproduisions gracieusement quelques photographies de la « CGE Tudor ». Nombreux sont ceux qui se sont amusés à imaginer Françoise Sagan au volant de cette voiture, qu’elle aurait conduite avec autant de passion et de vitesse qu’elle conduira plus tard ses véhicules sportifs, voire même qu’elle serait allé à l’école avec cet engin ! Outre le fait que l’hypothèse de l’école est à éliminer, il est assez improbable qu’une jeune fille de 7 ans en 1942, de 9 ans en 1944, lors de l’arrêt de fabrication, ait pu conduire cette voiture. De même, il est incertain qu’elle ait pu suggérer des modifications quant à la position des commandes. Elle n’aurait, sans aucun doute, jamais pu atteindre les pédales de freinage et d’embrayage ! Par contre, rien n’interdit de croire le fait que son père lui confiait le volant alors qu’elle était assise sur ses genoux, ainsi que le racontent Marie-Dominique Lelièvre (2) et Denis Westhoff lui-même.

Marie Quoirez et ses trois enfants ont quitté Saint-Marcellin à l’automne 1945. Pierre Quoirez, quant à lui, est resté quelques années encore à la tête de ses usines, toujours locataire de La Fusilière. Il est certain que sa famille est revenue à Saint-Marcellin lors des vacances et il n’est pas impossible que Françoise Sagan se soit amusée avec cette voiture lors de l’un ou l’autre de ces retours, en 1950, quand elle avait quinze ans, ou ultérieurement.

1948 – Françoise Sagan au volant, à La Fusilière (?)-Sur le capot, sa nièce Cécile Defforey – Collection privée – Droits réservés

http://www.hotchkiss-gregoire.com/pdf/l_ingenieur_de_lauto.pdf

https://paleo-energetique.org/paleoinventions/la-voiture-electrique-cge-tudor/

https://www.culturalu.org/fr/pieces.php?idalb=280&page=1&nbp=12

http://mini.43.free.fr/5018gregoire.html

http://stubs-auto.fr/c-1/cge-tudor-1941-1944/

https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2012-2-page-70.htm

https://madelen.ina.fr/programme/jean-albert-gregoire

http://www.lesrendezvousdelareine.com/2016/10/ancetre-ecolo-la-cge-tudor-presque-80-annees-d-avance.html

  • 2- Marie-Dominique Lelièvre – Sagan à toute allure – 2008
  • Les références relatives aux arrêtés et décisions sont consultables sur le Journal Officiel de la République Française et le Journal Officiel de l’Etat Français pour la période d’occupation. (www.legifrance.gouv.fr)

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