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Démocratie

L’Europe et le Mali: prix Nobel et Discours de Dakar

A y bien regarder, il est peu de journées dans une vie qui comportent des évènements aussi symboliquement significatifs. Ce 12 octobre 2012 restera l’une de ces journées.

D’abord l’Europe avec la décision du Comité Nobel d’attribuer le Prix Nobel de la Paix à l’Union Européenne. Bien évidemment, ce n’est pas la situation actuelle de l’Europe qui est ainsi honorée. La crise financière est plus profonde que jamais, les peuples du sud en souffrent de façon dramatique, les peuples du nord se referment derrière leur égoïsme (n’ayons pas peur des mots), les grecs (certains !) accueillent Angela Merkel avec des drapeaux et des slogans nazis, les atteintes à la démocratie et à la libre expression des citoyens sont nombreuses (ce fut le cas en Hongrie et en Roumanie), la conviction européenne se délite de partout, les nationalismes, les régionalismes, les particularismes se multiplient d’ouest en est, … Non, certainement, ce n’est pas cette Europe-là qui mérite un Prix Nobel.

Mais avant tout cela, l’Europe c’est aussi et surtout une magnifique idée qui brasse les cultures, qui permet non seulement à un anglais de rencontrer des italiens ou des grecs, mais aussi à des roumains de recevoir des français sans que se pose le moindre problème de papiers d’identité, de passages de frontières, de déclaration de biens ou de marchandises. Même si ce n’est pas le cas de tout les pays, « zone euro » oblige, il n’est pratiquement plus besoin de changer de devises, l’euro est reconnu et accepté partout.

L’Europe c’est également la source et le but d’un formidable brassage de jeunes: Comenius, Erasmus, Office Franco-Allemand pour la jeunesse, EACEA (Agence Européenne pour la Culture, l’Education et l’Audiovisuel), … permettent au moins de 30 ans d’échanger, voyager, étudier presque là où bon leur semble.

Enfin, l’Europe, née sur les cendres et les décombres de la dernière guerre, est le meilleur outil de paix qui se puisse créer. Il suffit de reprendre un par un les conflits qui perdurent où qui se créent actuellement en Europe, d’imaginer que l’Europe n’existe pas ou plus, et chacun comprendra que cette structure de débat et de rencontre constitue le meilleur moyen de dégonfler les conflits à défaut de les désamorcer.

Ce Prix Nobel, que 27 enfants européens feraient bien d’aller chercher, à défaut des « Pères » fondateurs », doit être un encouragement à poursuivre la lutte pour plus d’Europe, pour une plus grande intégration, pour la naissance d’une démocratie européenne et la désignation de tous ses représentants par l’élection. Alors, quand Mélenchon et Le Pen s’élèvent, dans les mêmes termes, contre cette attribution dont ils affirment qu’en récompensant « la guerre économique et sociale tous azimuts entre les peuples, qui ne peut conduire qu’à la guerre tout court », le comité Nobel s’est « discrédité à jamais », ils ont grandement tort. Angela Merkel, également, a cru pouvoir affirmer que l’Euro était ainsi récompensé: il n’en est rien !

Seuls une idée, un rêve, un chantier, un futur ont été honorés. A nous d’en poursuivre la construction sans désemparer.


A plusieurs milliers de kilomètres, François Hollande a prononcé un discours (http://fr.scribd.com/doc/109835017/Le-discours-de-Francois-Hollande-devant-l-Assemblee-nationale-du-Senegal-a-Dakar-le-12-octobre-2012) médiatiquement annoncé depuis de longs jours et dont on a voulu nous faire croire que ce n’était pas le discours destiné à « effacer » celui de Sarkozy en 2007 (Le-discours-de-Dakar-le-discours-de-Benghazi), mais l’affirmation de la volonté de mettre en place de toutes nouvelles relations avec l’Afrique. Qu’en est-il exactement ?

Après une courte introduction faisant référence à une histoire douloureuse, citant en quelques lignes l’esclavage qu’il lie à la lutte actuelle contre ceux qui exploitent les misères des jeunes, des réfugiés, des migrants, François Hollande précise que la vraie raison de sa présence au Sénégal est la démocratie dont le pays qui le reçoit est un exemple, preuve en est donnée par l’importante présence des femmes dans l’Assemblée.
Cette démocratie implique que « nous devons tout nous dire, sans ingérence, mais avec exigence ».
« L’Afrique est portée par une dynamique démographique sans précédent ». Il y aura près de 2 milliards d’hommes qui vivront au sud du Sahara en 2050. « L’Afrique est la jeunesse du monde » et une terre d’avenir pour l’économie mondiale. « Votre défi, c’est de renforcer la place de votre continent dans la mondialisation, de lui donner une finalité plus humaine ». Dans cet avenir, nous sommes votre premier allié. Et notre devoir est de vous accompagner dans des secteurs comme l’agroalimentaire, les télécoms, les services financiers.
Suivent alors quelques principes d’application de cet accompagnement: la transparence, la bonne gouvernance, l’égalité.
Nous sommes à mi-discours.

François Hollande et Macky Sall, à Dakar le 12/10/2012 (C)Seyllou/AFP


François Hollande aborde alors la question du combat identique auquel France et Afrique sont confrontées, « celui de la dérive identitaire, celui du terrorisme ». Et de citer le cas du Mali, où « c’est votre sécurité qui est en jeu, c’est aussi la notre et celle de l’Europe », avant de se livrer à une analyse critique des causes de la crise malienne:

  • pratiques mafieuses des groupes terroristes,
  • erreurs lors de la fin d’intervention en Libye, notamment le manque de contrôle des armes,
  • trafic de drogue ayant corrompu l’économie malienne,
  • insuffisance du développement économique et social du Sahel,
  • absence de mise en œuvre des accords passés.
    François Hollande termine cet aspect de son discours par un rappel des modalités de soutien de la France dans le cadre d’une intervention conduite par les Africains.
    La conclusion est une affirmation que « le temps de la Françafrique est révolu », il y a désormais un partenariat basé sur la clarté, le respect et la franchise, la solidarité par le développement, les financements innovants, la consolidation de la zone franc et des relations commerciales plus équitables.

    Ceux qui auraient rêvé d’un discours reflétant une position plus novatrice, plus courageuse, plus révolutionnaire, en seront pour leurs frais: c’est exactement la même idéologie qu’il y a cinq ans qui soutient ce discours. Certes, le ton « donneur de leçons » de Sarkozy n’y est pas. Certes, le mépris et l’attitude hautaine et néo-colonialiste n’y sont pas. Mais quelle différence fondamentale (en insistant bien sur le mot  »fondamentale ») voyez-vous entre ces deux phrases ?
  • « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » (Sarkozy).
  • « votre défi, c’est de renforcer la place de l’Afrique dans la mondialisation, de lui donner une finalité plus humaine » (Hollande).

    Hollande renouvelle les mêmes souhaits (exigences) quant à la collaboration de la France et de ses entreprise au développement africain. Hollande réaffirme les liens indispensables entre l’Afrique et l’Europe, elle aussi menacée par les dérives terroristes du continent noir. Toute la différence réside dans le ton du discours, plus humain, plus généreux.

    Alors, il n’est pas étonnant que la fin soit une approbation des préparatifs de guerre au Nord-Mali, en justifiant ceux-ci (les préparatifs) par les fautes commises par ATT (insuffisance de développement et absence de mise en œuvre des accords). Seule certitude: la fin du conflit sera mieux gérée et les armes n’iront pas tomber dans des mains sales !

    Pour notre part, nous croyons toujours que la négociation, les pourparlers, les « palabres » valent mieux que la guerre qui laissera un cortège de désolations, de misères … Le récent retournement de position des Touaregs, né de la négociation, vient à point prouver qu’il n’est pas trop tard. Désormais, ils ne parlent plus d’indépendance arrachée, mais d’autodétermination.
    Des centaines de jeunes maliens se pressent aux « frontières » de la zone occupée par les islamistes, pour y constituer des milices afin d’intervenir aux cotés de l’armée. Bien encadrés et protégés, ne pourraient-ils pas former une « armée » d’intervention pacifique, un peu comme des « casques bleus » du Sahel ? Car enfin, combien sont-ils ces djihadistes fanatiques ? Quelques milliers ! Et c’est pour ces 2 ou 3000 fous que l’on va faire la guerre ? Et que la France va soutenir cette guerre ? Ou bien, est-ce pour autre chose ?
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Ecologie

Primaires, croissance et petites voitures

Nous voici au bout de la dernière ligne droite et dans quelques heures sera connu le nom de celle ou de celui qui défendra les couleurs de la gauche socialiste aux prochaines présidentielles.
Nous n’allons pas gâcher notre plaisir. Ces primaires ont été une excellente occasion de parler de « politique » dans notre pays, ce qui n’est pas si fréquent que ça. Habituellement, on y parle bien davantage de scandales, de coups bas ou de valises de billets, ce qui n’est pas vraiment de la « politique ».
Ces primaires porteront également, si les électeurs se déplacent massivement, le renouveau, venu de l’extérieur, du parti socialiste, un parti où les éléphants et les militants devront faire preuve de modestie et d’ouverture, l’exact contraire d’un parti sénatorial.

A vrai dire, ces primaires ont été tellement passionnantes que la droite rêve d’en faire autant, ne serait-ce que pour retrouver quelques micros et quelques caméras. Fillon nous dit qu’il n’en est pas question avant 2012 puisque le président sortant est candidat. Cela n’est pas exact. Le président sortant n’est pas candidat et ne le sera, peut-être, qu’en février. Et il y a dans cette déclaration un manque certain de courage. Imaginons des primaires à droite. Soit Sarkozy est désigné comme le candidat et, en ce cas, il est suffisamment légitimé pour qu’il n’y ait aucune ambigüité à le voir solliciter un second mandat. Ses challengers n’auraient que la possibilité honorable de se retirer. Soit il n’est pas désigné et cela signifie a) que ses troupes se divisent et partent en débandade, b) qu’un(e) autre que lui fait mieux l’affaire, c) que les électeurs ne voteraient pas davantage pour lui. Dans ce cas, il est sans doute plus profitable de le savoir en février que d’attendre une sanction en mai.

Candidats aux Primaires de la gauche (DR)

Revenons à nos primaires et aux candidats socialistes. Bien évidemment, il leur a manqué du temps nécessaire pour aborder l’agriculture, la politique étrangère, … tous sujets qui se sont résumés à des phrases choc ou des expressions iconiques.
Il est cependant trois secteurs de l’actualité qui ont été totalement ignorés, et ceci par tous les candidats.

Il s’agit tout d’abord de l’Europe et de la nécessaire évolution vers davantage de fédéralisme. Seul Baylet a ici rappelé ses convictions. Il s’agit ensuite de la coopération avec les pays en développement (la citation à deux reprises du discours de Dakar par Martine Aubry ne tient pas lieu de politique !), du dialogue nord-sud, de la place de la France en Méditerranée, dans le Maghreb, au Proche-Orient et ailleurs dans le monde. Alors que les « printemps arabes » ne débouchent toujours pas sur davantage de liberté, d’indépendance et d’initiative, alors que les élections à venir sont lourdes de risques quant à la confiscation des espoirs, personne n’en a parlé. Tout comme personne n’a simplement posé la question du « Que fait-on en Afghanistan ? ». Pour des candidats à la présidentielle qui savent que la politique étrangère relève d’un pré-carré régalien, il y a là un singulier décalage. Ils sont restés bien franco-français !

L’autre secteur ignoré est celui du choix de développement pour notre pays et, au-delà, pour l’Europe et le reste du monde. Croissance ou décroissance ? La question ne se pose même pas ! Le salut est dans la croissance ! Quant à savoir quel type de croissance, cela n’interpelle aucun candidat potentiel. Si l’on envisage, peut-être, à l’horizon 2050, une possible raréfaction du pétrole, alors Ségolène Royal a une réponse toute trouvée: la voiture électrique dont SA région s’est faite la championne. Singulière pauvreté de raisonnement.

Tout d’abord, parce que le pétrole ne sert pas uniquement à fabriquer l’essence et le gazole de nos véhicules, le fioul lourd de nos bateaux ou le kérosène de nos avions. Certes, cela représente 60% du pétrole pompé. Mais les 40% restant servent à fabriquer les plastiques omniprésents, les matériaux de construction (isolation) et une vaste catégorie de produits chimiques (médicaments, engrais, alcools, huiles, cires, solvants, détergents, bitume, …). Dans ces 40% on trouve encore le pétrole utilisé pour faire tourner les industries majeures (acier, verre, …), les centrales électriques, le chauffage industriel, collectif et domestique, …

Alors, remplacer tous nos véhicules à moteur thermique par des véhicules électriques implique toujours une énorme consommation de pétrole: pour fabriquer ces nouveaux véhicules, qu’ils soient en acier ou en plastique, pour fabriquer les batteries, pour fabriquer l’énergie de ces batteries, …
Certes, au cœur des villes, à l’échelle des micro-transports, la solution de la voiture électrique est à prendre en considération. Mais dans l’ensemble de la société ? Combien de voitures dans le monde ? Un milliard, un milliard trois cent millions selon le compteur de Carfree (http://antivoitures.free.fr/). Dont 60 millions de plus rien qu’en 2011.
Il faut savoir que ce gros milliard de véhicules est essentiellement distribué en Occident: 815 véhicules pour 1000 habitants aux USA, 690 en Italie, 610 en Espagne, 600 en France et au Japon, 570 en Grande-Bretagne, 550 en Allemagne, 245 en Russie, mais seulement 150 au Brésil, 42 en Chine et 18 en Inde.

Les constructeurs redoutent la crise qui fait baisser leurs ventes … en Occident. Mais ils rêvent tous des ventes qui augmentent dans les pays en développement. Prenons l’exemple des BRIC: ces augmentations sont de 6% en Chine, 7,5% au Brésil, 15% en Inde, 56% en Russie, rien que pour l’année qui vient de s’écouler entre août 2010 et août 2011.

Faisons le même rêve que les constructeurs. La société de croissance poursuit son développement dans ces nouveaux pays avec les mêmes critères que ceux qui prévalent actuellement en Occident. Soyons réalistes et retenons le modèle français, soit 600 véhicules pour 1000 habitants (6 véhicules pour 10 personnes, parents, enfants et grand-parents compris !)

Le Brésil (194 millions d’habitants) dispose déjà de 150 véhicules pour 1000 habitants. Il lui faut en acquérir 600-150 = 450, soit 87 millions de véhicules (à population constante).

La Russie (142 millions d’habitants). C’est 50 millions de véhicules qu’elle doit acquérir pour passer de 245 à 600 véhicules pour 1000 habitants.

L’Inde (1 155 millions d’habitants). Même s’ils sont du type de la Nano Tata (Tata-Nano), ce sont … 672 millions de véhicules qui sont nécessaires pour atteindre le même taux de pénétration du véhicule individuel.

Enfin la Chine. Avec son milliard 330 millions d’habitants et son taux de 42 véhicules pour mille habitants, il lui faut s’équiper de … 838 millions de véhicules.

Soit, à population constante et pour ces seuls 4 pays des BRIC une mise en circulation sur  »x » années de 1 milliard 650 millions de véhicules, davantage que ce qu’il y a actuellement sur la planète.

Ce n’est plus un rêve, c’est un cauchemar. Alors, on entend dire « Il ne faut pas que ces pays choisissent ce mode de développement et de croissance ! ». Qui leur dit ça ? Qui leur en donne l’exemple ? Qui leur montre un contre-exemple ?Qui leur parle de transports collectifs ?Qui leur propose de rééquilibrer logement et travail ? (sans compter qu’il y a là des réponses à nos questions sur les banlieues !).

Oui, même passionnantes, ces primaires nous laissent sur notre faim et d’autres débats doivent encore avoir lieu. Notre conviction quant à la décroissance est bien connue, cela n’interdit pas de s’intéresser à ce qu’en dit le « candidat de la décroissance », Clément Wittmann (http://www.clementwittmann2012.fr/) !! Une façon de rééquilibrer les manques du discours socialiste …

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Droits de l'homme

Le discours de Dakar, le discours de Benghazi

Lors du premier débat entre les candidats des primaires socialistes, Martine Aubry s’est livrée à une rapide citation des discours de Sarkozy afin d’illustrer la nature de sa politique. Elle a ainsi fait référence à deux discours qui n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre: le discours de Dakar et le discours de Grenoble.
Le discours de Grenoble, un discours de stigmatisation, de ségrégation, d’exclusion, notamment à l’égard des Roms, n’est pas de notre propos, ici et aujourd’hui.

Par contre, le discours de Dakar mérite quelques commentaires et il y a longtemps que nous souhaitons le faire sur ce blog. En effet, ce discours est devenu un incontournable, une icône de la critique envers Sarkozy, un leit-motiv du TSS. Or, ce discours ne mérite paradoxalement, ni autant de mépris et d’insultes, mais ni éloges particuliers. Pour s’en rendre compte, encore faut-il le lire au préalable et faire un petit effort de compréhension et d’analyse. ce qui n’est assurément pas le cas, ni de Martine Aubry, ni de François Hollande qui, à La Rochelle, le rattachait à la francophonie, ni de Ségolène qui, à son propos, a demandé pardon (!), ni de ceux qui le référencent sous DailyMotion (ou autres serveurs de vidéos) comme « discours raciste » en n’en retenant qu’une infime portion …

Prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université de Dakar, ce texte a été écrit par Henri Guaino. S’il a suscité immédiatement des réactions contrastées et parfois très vives en Afrique, il a fallu attendre plusieurs mois (en fait octobre 2007) pour qu’en France il fasse l’objet d’un débat public. Car c’est BHL qui a qualifié son auteur de « raciste », en prenant bien soin de distinguer l’auteur (raciste) de l’orateur (pas raciste !). Il est des distinctions qui sont particulièrement subtiles, mais bien utiles pour l’avenir de celui qui rêve d’être Grand Vizir !

Alors le racisme ? Toute une première partie (28% du texte !) est consacrée à une dénonciation de la traite des noirs, de l’esclavage, puis du colonialisme. Jamais aucun Président, ni de Gaule, ni Mitterrand, ni Pompidou, Giscard, Chirac, ni aucun ministre, fut-il Premier, n’a prononcé de pareilles phrases. Et même s’il s’y trouve un refus explicite de la repentance, nous ne sommes pas loin de la demande de pardon.

 »… le passé ne s’efface pas . ».
 »il y a eu des fautes, il y a eu des crimes … »
 »il y a eu la traite, il y a eu l’esclavage … »
 »les européens sont venus en conquérants, ils ont pris la terre de vos ancêtres. »
 »ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes … »
 »ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire … »
 »ils ont eu tort. »
 »le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. »
 »il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail … »

Même les dix lignes qui suivent alors et qui se veulent inscrites dans la vision que le colonialisme n’a pas été que mauvais, même ces dix lignes sont reconnaissance de faute.

 »… il y avait parmi eux des hommes de bonne volonté, qui croyaient faire le bien … »
 »ils se trompaient … »
 »ils croyaient donner la liberté, ils créaient l’aliénation … »
 »ils croyaient briser les chaînes de l’obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante … »
 »ils croyaient donner l’amour sans voir qu’ils semaient la révolte et la haine … »
 »la colonisation fut une grande faute. »

Cette déclaration est alors suivie d’un appel à la jeunesse à qui il est dit que  »c’est en puisant dans les valeurs de la civilisation africaine que vous serez tirés vers le haut, car ces valeurs sont un antidote au matérialisme et à l’individualisme ».
Ce passage revêt une grande importance: il se situe juste avant le « virage » du discours, cette fameuse phrase tellement souvent sortie de son contexte, voire interprétée totalement à contresens:  »le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Les mots qui précédaient montrent bien qu’il ne s’agit pas de dire que l’homme africain ne serait pas entré dans l’histoire, ou que l’homme africain n’aurait pas d’histoire. Non, le texte dit que  »jamais l’homme ne s’élance vers son avenir ».

Et se développe alors une consternante seconde partie, aussi longue que la dénonciation des méfaits de l’homme blanc. Une seconde partie dans laquelle est décrite sur un ton paternaliste, condescendant et docte, une culture noire faite d’une  »croyance en un éternel recommencement, où il n’y a pas d’idée de progrès et dans laquelle la nature commande tout. L’homme y est immobile au milieu d’un ordre immuable, il ressasse et répète ses regrets d’un âge d’or qui n’a jamais existé et il n’arrive pas à se libérer de ses mythes. »

Après une référence à Léopold Senghor, qui adressait des poèmes en français à toute l’Afrique, le discours lance un appel à une Renaissance africaine qui débarrassera l’Afrique des mythes qui voilent sa face.

 »Et cette Renaissance, je vous la propose ». Tel est le thème de la dernière partie de ce discours (là-aussi, une petite trentaine de %). Ce que veut l’Afrique est ce que veut la France; la coopération, l’association, le partenariat, l’immigration négociée, l’unité africaine, l’Eurafrique …

A ce niveau du discours, y a t-il sincèrement quelque chose de nouveau ? Probablement pas. Il s’agit toujours de cette volonté française de garder coûte que coûte le pré-carré africain, en s’assurant d’obtenir une part conséquente des matières premières, une part conséquente des marchés de développement de ce continent, une part conséquente de soumission ou de vassalité politique à l’égard de la vieille métropole, dans toutes les cours et les tribunes internationales où cela est utile.

Alors raciste ? Non. Mais néo-colonialiste, oui. Et ne mélangeons pas colonialisme et racisme, car même si le second a souvent accompagné le premier, il n’en est pas l’essence.

Considérer ce discours comme « le discours raciste de Sarkozy », c’est faire une grossière erreur, une faute. C’est se priver de toute possibilité de critique élaborée, car quand on a dit raciste on a tout dit. Et dans le cas présent on n’a rien dit des relations entre la France et l’Afrique.

Discours de Benghazi (DR)

Un autre exemple ? La récente « libération » de la Libye a donné lieu à un vibrant discours de Sarkozy auprès des habitants de Benghazi. Très paradoxalement, les commentateurs et analystes français, les ténors politiques et en particulier ceux du PS, ont salué ce discours tout comme ils avaient tous globalement salué l’action guerrière de la France dans ce pays. Le voici:  »« Jeunes de Benghazi, jeunes de Libye, jeunes Arabes, la France veut vous dire son amitié et son soutien. Vous avez voulu, vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique. La France, la Grande-Bretagne, l’Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen. Mais, amis de Benghazi, nous vous demandons une chose, nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée. Peuple de Libye, vous avez démontré votre courage. Aujourd’hui, vous devez démontrer un nouveau courage, celui du pardon et celui de la réconciliation. Vive Benghazi, vive la Libye, vive l’amitié entre la France et la Libye » »

Bien qu’il ne comporte que quelques lignes, n’y retrouve t-on pas la même construction ? L’appel aux jeunes, la leçon toute de paternalisme et de condescendance, et l’appel subliminal à la coopération économique ?