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Neuvième chapitre: Françoise Sagan et Barbara

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce qui est une évidence pour certains, ne l’est pas pour d’autres ! Entre 1940 et 1945, la ville de Saint-Marcellin a accueilli deux familles dont les filles sont devenues célèbres. La famille Quoirez, ce qui nous a permis de parler longuement de Françoise Sagan, et la famille SERF, dont est issue la chanteuse BARBARA.

Françoise Sagan est arrivée à Saint-Marcellin à l’été 1940. Elle y a passé toutes ses vacances et nombre de congés de fin de semaine. Elle a quitté cette ville en octobre 1945, mais y est souvent revenue, en 1946 lors du mariage de sa sœur, en 1949 lorsqu’elle était interne à Grenoble ou Villard-de-Lans, plus tard encore afin de rejoindre ses amis et faire étape sur la route du midi.

Vers 1939 – Françoise Sagan – Collection privée -Tous droits réservés

Monique Serf, Barbara, née le 9 juin 1930, est arrivée à Saint-Marcellin en juin 1943. Elle a quitté la ville en octobre 1945. C’est alors que se posent deux questions. La première: Françoise Sagan et Barbara se sont-elles rencontrées à Saint-Marcellin? Et la seconde: pourquoi la ville de Saint-Marcellin et ses habitants accordent-t-ils une reconnaissance à Barbara qu’ils n’accordent pas à Françoise Sagan ?

Afin de répondre à la première question, précisons qu’en 1943, quand arrive Barbara, elle a treize ans, tandis que Françoise Sagan n’a que huit ans. L’une est une pré-adolescente, l’autre n’est encore qu’une fillette. Le temps pendant lequel elles vivront à proximité l’une de l’autre se limite à deux années et trois mois, uniquement pendant les vacances, petites ou grandes. L’une est juive, elle et sa famille, réfugiée, doivent redoubler de prudence, d’autant que les évènements brutaux se profilent. Elle est scolarisée en établissement public à Saint-Marcellin. L’autre est catholique et sa famille veille à ne placer ses enfants que dans des écoles privées et catholiques. L’une ne vit, économiquement et socialement, qu’avec d’infinies précautions, tandis que l’autre vit dans une famille d’industriels qui ont les moyens de leur autonomie, quand bien même les temps de guerre rendraient cette autonomie plus fragile.

Il est largement improbable qu’une vraie rencontre ait pu se produire. Peut-être se sont-elles croisées, entre La Fusilière et le quartier du Mollard, près du logement de la famille Serf, ou sur la Place d’Armes, dans un commerce … et encore … ce ne pouvait qu’être simplement le hasard, un moment fortuit … Elles racontent qu’elles ne se sont connues qu’après leur accès à la célébrité et c’est alors qu’elles ont découvert qu’une partie de leur enfance s’était déroulée dans la même petite ville du Dauphiné.

1946 – Françoise Sagan à Cajarc – Collection privée – Droits réservés

La réponse à la seconde question est beaucoup plus difficile et plus délicate. En 1945, quand l’une et l’autre quittent Saint-Marcellin, il n’est personne qui fasse attention à leur départ et formule des hypothèses sur leur avenir. Barbara est bien allée chanter une fois ou deux dans les salons d’un hôtel local et Françoise Sagan était bien une cliente assidue de la librairie locale, ce n’est pas pour cela que l’on devinait en elles une future chanteuse et une future auteure. La guerre était finie et chacun repartait chez soi.

La première à connaître la célébrité fut Françoise Sagan, lors de la publication de « Bonjour tristesse », sorti en mars 1954, soit quatorze ans après son arrivée à Saint-Marcellin et neuf après son départ. « Bonjour tristesse » fut un véritable scandale. Comment une jeune fille mineure peut-elle faire l’amour avec un garçon, en être heureuse et ne pas subir le châtiment de la grossesse ? Comment une jeune fille de dix-huit ans peut-elle écrire des horreurs pareilles et oser les présenter à un éditeur ? Rappelons-nous que l’âge légal de la majorité était celui de 21 ans, que les femmes françaises ne disposaient du droit de vote que depuis le 21 avril 1944. Et souvenons-nous qu’elles ne pourront acquérir leur indépendance économique, disposer d’un compte bancaire qu’en 1965. Quant à leur autonomie sentimentale, il faudra encore attendre …

Un autre aspect de la vie de Françoise Sagan a compté également dans cette méfiance: c’était la « fille du patron de la Cégé », la plus grande entreprise de la région, et ce que les habitants de Saint-Marcellin savaient d’elle se résumait à un caractère bien trempé, un esprit libre et aventurier, des sorties à cheval et des visites au château de La Sône, bref, une vie de fille un peu gâtée par son milieu social. Mauriac venait de la qualifier de « charmant petit monstre », certains n’étaient pas loin de penser que c’était un monstre, tout court.

Barbara, pour sa part, a connu le succès entre 1958 et 1960. Ce que l’on savait alors de sa vie a constitué autant d’éléments en sa faveur et elle a été acceptée bien plus rapidement.

Michel Jarrié (†), un passionné de culture, de lecture, de cinéma, de peinture, de photographie, arrivé à Saint-Marcellin en 1958, n’a pas connu Françoise Sagan. Il l’a cependant bien aimée et cela l’autorise à faire ce reproche à ses concitoyens: « Si je vous disais que ce pays, par pudibonderie, n’a jamais honoré sa mémoire contrairement à Barbara qui passa également une partie de sa jeunesse dans les mêmes lieux ! » Tout est résumé là … Ce qui est certain, c’est qu’à l’issue de l’épreuve de la guerre, toutes deux gagneront un grand désir de vivre et une soif d’indépendance.

Afin de conclure cette « histoire », laissons la parole à Françoise Sagan elle-même. Dans « Chroniques 1954-2003 », elle raconte sa passion pour le cheval. Mais elle raconte également le Dauphiné, Saint-Marcellin, La Fusilière, son cheval Poulou, son enfance … Elle était alors une petite fille un peu survoltée, toujours en mouvement, parfois autoritaire et surtout sensible à l’amitié des garçons et à leur compagnie (témoignage).

 » Et moi aussi, cette passion me vient de loin. Quand j’avais huit ans, nous habitions, l’été, en famille, une maison perdue, à la campagne. Mon père y ramena un jour un cheval, qu’il venait d’arracher à la boucherie, sans doute, qui s’appelait Poulou et que j’aimai aussitôt passionnément. Poulou était vieux, grand et blond. Il était aussi maigre et fainéant. Je le menais par le licol, sans selle ni mors, et nous nous promenions dans les prés des jours entiers. Pour l’enfourcher, vu sa taille et la mienne – je devais, en plus, peser vingt-cinq kilos , j’avais mis au point une technique qui consistait à m’asseoir sur ses oreilles pendant qu’il broutait – et il ne faisait que ça – et à m’agiter jusqu’au moment où, excédé, il relevait le cou et me faisait glisser tout au long, jusqu’à son dos, où je me retrouvais assise dans le mauvais sens. Une fois perchée, je me retournais, je prenais le licol, je lui donnais des coups de talon et poussais des cris de paon jusqu’à ce que, par gentillesse, il partît dans la direction qui lui plaisait. Nous en avons parcouru des kilomètres dans le Dauphiné, Poulou et moi, baguenaudant, errant – parfois trottant quand il voyait un champ de trèfle qui lui plaisait ou un ruisseau. Il était, autant que moi, insensible au soleil. Tête nue, nous montions et descendions les collines, traversions des prés, en biais, interminablement. Et puis des bois. Des bois qui avaient une odeur d’acacia et où il écrasait des champignons de ses gros fers, cliquetant sur les cailloux. A la fin du jour, souvent, je n’avais plus de force. Le soir baissait. L’herbe prenait une couleur gris fer, inquiétante, qui le faisait galoper tout à coup vers son fourrage, vers la maison, à l’abri. Il galopait et, penchée à l’avant, je sentais son rythme dans mes jambes, dans mon dos. J’étais au comble de l’enfance, du bonheur, de l’exultation. Je revois la maison au bout du chemin, la grille au bout, le peuplier ondoyant à gauche. Je sens les odeurs de là-bas, je revois la lumière du soir. Arrivée, je me laissais glisser de côté, je tapotais la tête de Poulou avec la condescendance, l’assurance, que me donnait la terre ferme sous mon pied, je le menais dans sa remise ; et là, tout affligée, je le laissais devant son fameux fourrage, plus attentif à son menu qu’à mes baisers. »

REMERCIEMENTS

  • Mention très spéciale à Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, et à son Association Françoise Sagan – https://www.francoisesagan.fr/
  • Mention très spéciale à Cécile Defforey, la fille de Suzanne, sœur aînée de Françoise, et donc sa nièce
  • R.E.M.P.A.R.T., Groupe Patrimonial de Saint-Marcellin, dont Henri Inard (†), Denise Hebert, Marina Bertrand, Maurice Hendboëg et Marc Ellenberger, archiviste honoraire et remarquable initiateur en matière de recherches généalogiques dans les Archives Départementales
  • Mairie de Saint-Marcellin, service état-civil et service technique
  • Archives Départementales de l’Isère, de la Drôme, du Lot, du Nord, du Pas-de-Calais, de Paris, …
  • Gilles Meeus, association « Si Pont m’était conté … »
  • Michel Jolland, association « Saint-Vérand hier et aujourd’hui »
  • Gérard Micoud, Gérard Rousseau, Amicale des Anciens d’Arnoud, AAA
  • Jean Petinot, ancien directeur de Legrand, ex FAE
  • Clotilde Vermont, propriétaire du Château de La Sône
  • Jean-Luc Graven, association « Ensemble pour l’Hors du Temps »
  • Jean-Michel Revol, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Dominique Odoit, préfacier de « Souvenirs d’un chattois », mémoires de son père
  • Daniel Benacchio
  • Patrick Morel, fils de Charles Morel et frère de Bruno Morel
  • Bernard Giroud, historiographe, pour ses contributions relatives à la FAE et aux Ets Morel dans « Fabriques », ouvrage réalisé par l’AISG
  • Jacques-André Clerc, de l’historique famille des Clerc …
  • Gérard Ducoeur, président de la SHAAP
  • Jean Sorrel (†), auteur de l' »Histoire de Saint-Marcellin » en deux volumes
  • Ville d’Argenteuil, Services Archives
  • Ecoles Polytechniques de Lausanne et de Zurich
  • Mairie de Cajarc, Service état-civil
  • Liliane Austruy, fille de Ferdinand Brun, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Charlotte Carra
  • Michel Jarrié (†)
  • Madame Dachis-Chapoutier
  • Henri Perret
  • Madame Da Fonseca et Monsieur Amblard
  • Docteur Jean-Jacques Mathieu
  • Michel Laurent
  • Ville de Villard-de-Lans (38), Service Archives Etat-Civil
  • Maison du Patrimoine de Villard-de-Lans
  • Ville de Lagnieu (01), Service Archives Etat-Civil
  • Mr Malbos
  • ainsi qu’à toutes celles et tous ceux que j’ai pu oublier …

Toute reproduction, même partielle, de cet article est soumise à l’accord préalable de l’auteur

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Huitième chapitre: Françoise Sagan et la guerre, la Résistance, la Libération

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Entre 1940 et 1945, la Ville de Saint-Marcellin, qui n’est pas dans le Vercors, mais au pied du Vercors, n’était pas au cœur des combats pour la libération du pays, face à l’occupant allemand. La famille de Pierre Quoirez n’est pas venue à Saint-Marcellin pour se réfugier en zone libre, mais parce qu’il avait été nommé directeur de deux usines. Cependant, la guerre est quotidiennement présente dans les nouvelles qui sont diffusées et les commentaires qui les accompagnent. Et il convient tout de même de se souvenir des actes de guerre les plus marquants qui ont été commis à Saint-Marcellin et dans ses proches environs, cette liste n’étant pas limitative.

  • 29 novembre 1943, Victor Carrier est sommairement exécuté, il était l’organisateur, avec le Docteur Valois, du secteur 3 de l’Armée Secrète de l’Isère. Son épouse décédera le 20 mars 1945 à Passy, des suites des tortures subies à la prison de Montluc, à Lyon.
  • 29 janvier 1944, après la quasi-destruction de Cognin-les-Gorges et de nombreuses victimes, c’est Malleval qui est le théâtre de 32 assassinats.
  • 25 mai 1944, Jean Rony, blessé le 22 lors de l’arrestation et l’exécution du radio Camille Monnier, décède.
  • 26 juillet 1944, 19 résistants sont fusillés à Beauvoir-en-Royans.
  • 27 juillet 1944, rafle à Saint-Marcellin, dont nous avons déjà parlé.
  • 29 juillet 1944, nouveau drame à Malleval, village martyr, avec 6 tués.
  • 22 août 1944, bombardement de Saint-Marcellin.

Dans ses souvenirs, repris par certains de ses biographes, Françoise Sagan raconte au moins quatre anecdotes dont il est bien difficile de confirmer les faits, car il s’agit de la mémoire d’un enfant et que les éventuels témoins ne sont plus là.

Il en est ainsi de la scène du patriote qui vient entreposer sa camionnette bourrée d’armes dans la propriété de La Fusilière, camionnette que Pierre Quoirez ira planquer à la campagne avant que les soldats allemands ne débarquent, avec agressivité, pour fouiller les lieux, après avoir alignés contre le mur la totalité des habitants de la maison. Pour certains, il s’agit d’un vrai patriote quelque peu léger dans son comportement. Pour d’autres, il s’agirait d’un provocateur. La scène laissera un souvenir d’angoisse et de peur dans l’esprit de Françoise Sagan.

Par contre, le bombardement de Saint-Marcellin, parce qu’il a été le seul de toute cette période, ne peut pas être mis en doute, même si les souvenirs ne le placent pas toujours au bon moment. Ce bombardement s’est produit le 22 août 1944, le jour de la Libération de Grenoble. Françoise Sagan, et ses porte-paroles, parlent d’un étang dans lequel sa sœur, sa mère et elle-même seraient en baignade, d’avions qui seraient venus bombarder les bâtiments des Tabacs … Il n’y a pas d’étang à Saint-Marcellin et le bâtiment des Tabacs n’a pas été visé par l’escadrille allemande. Les cinq bombes (qui ont fait 9 victimes tuées et de nombreux blessés) sont tombées sur le centre ville et de l’autre coté de la Cumane, rivière locale, pour la cinquième. Quant aux mitraillages qui les accompagnaient, c’est le centre ville encore, jusqu’au couvent de Bellevue, qui en a été la cible (1). Il est donc possible de résumer l’évènement en affirmant que les trois femmes étaient en baignade dans le grand bassin du parc de La Fusilière quand sont arrivés les avions allemands. Après avoir lâché leurs bombes, ils ont mitraillé un peu à l’aveugle et notamment le vallon en bordure duquel se trouve le couvent, en vue directe de la propriété. Affolées, les femmes, en maillot de bain, sont allées se cacher sous le couvert des arbres.

Françoise Sagan raconte également une séance de cinéma qui lui a apporté de terribles informations et dont elle a gardé un souvenir impérissable. Cela se passe-t-il à l’Eden de Saint-Marcellin, ou à Paris, ou bien à Lyon ? Le film projeté est-il « L’incendie de Chicago », « L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro » ? Fragilité des commentaires, légèreté des commentateurs … Une chose est certaine: lors de la fin de semaine des 15 et 16 juin 1946, « L’Incendie de Chicago » a été programmé à Saint-Marcellin, à l’Eden, et Françoise était à Saint-Marcellin, sa sœur Suzanne y préparant son mariage. Toujours est-il qu’en début de séance, dans le cadre des « Actualités », sont projetées les images de l’ouverture des camps de concentration par les Alliés, images montrant des bulldozers charriant, dans la neige, des monceaux de cadavres vers des fosses communes. Ces images, d’une violence extrême pour une jeune fille de dix ans, traumatisent Françoise Sagan qui interroge sa mère, ou sa sœur, ou bien la dame de compagnie qui accompagne la famille depuis des années.

C’est vrai, ça ?Oui, c’est vrai !

Enfin, dernière anecdote, la scène de tonsure de femmes accusées de faiblesses à l’égard de l’ennemi sera bien difficile à documenter, même s’il semble avéré qu’elle ait bien eu lieu, à Saint-Marcellin, en plein centre ville, comme dans de multiples communes …. C’est Marie, la mère de Françoise Sagan qui interpellera vivement les auteurs de ces actes en leur expliquant que ce qu’ils font là ne vaut pas mieux que ce qu’ont fait les Allemands. En faisant cette enquête, plusieurs nous ont affirmé la véracité de ces faits, en précisant parfois qu’il avait fallu protéger certaines femmes d’une vindicte totalement injustifiée.

Françoise Sagan a dit à plusieurs reprises que ces quatre anecdotes ont été, toute sa vie, porteuses de ses engagements très forts contre le racisme, l’antisémitisme et les violences de tous ordres contre les femmes et les hommes.

Toutes les guerres ont une fin. Cette période de la Libération est marquée aussi, dans les mémoires, par la présence de soldats américains à la Fusilière. Cela signifie, sans aucun doute possible, que ces soldats ont été invités par Pierre Quoirez et sa famille à venir quelques instants dans le parc de leur propriété, ce dont témoignent plusieurs photographies. En effet, cette maison est située totalement en dehors de l’axe utilisé par les troupes américaines et les FFI en ce 23 août 1944, jour de la libération de Saint-Marcellin.

1944 – Françoise Sagan et une autre jeune fille (?), probablement à La Fusilière – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés

Nous profiterons du fait de raconter la Libération pour effectuer un correctif à une erreur fréquente concernant la provenance des troupes qui ont libéré Saint-Marcellin. Même R.E.M.P.A.R.T s’y est trompé ! Il est souvent entendu que les troupes en provenance du Débarquement de Provence (entre Toulon et Cannes) ont « remonté » le territoire par les vallées du Rhône et de l’Isère. Cette interprétation est fausse : le débarquement a eu lieu le 15 août 1944, un premier regroupement de troupes anglo-américaines et françaises (armée française libre) remonte par Gap (20 août), le Col Bayard et Lus-la-Croix-Haute (21 août), la jonction est faite avec les maquisards de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère, ces troupes arrivent à Vif et affrontent les Allemands au Pont-de-Claix, pour parvenir à Grenoble le 22 août et défiler sur le Cours Jean-Jaurès. Le 22 août, libération de Voiron, Voreppe. Le 23 août, libération de Bourgoin par les FTPF et libération de Saint-Marcellin. Le 24 août, libération de Rives, toujours par des troupes en provenance de Grenoble. Le cas de Romans-sur-Isère est représentatif. La ville est libérée une première fois, le 22 août, par un groupe de FFI galvanisés par ce qui se passe un peu plus au nord. Mais la ville est reprise le 27 août par les Allemands couvrant la retraite de leurs troupes qui refluent de Montélimar. Ils ré-occupent la ville et détruisent les ponts les 29 et 30 août. Ce n’est que ce 30 août que les forces alliées, en provenance de Grenoble, libéreront définitivement la ville de Romans. Dans le même temps, une autre coalition remonte la vallée du Rhône et libère Montélimar le 28 août, Valence le 31 août et Lyon le 3 septembre. (2)

Françoise Sagan à Saint-Marcellin -Premières lectures – Collection privée – Tous droits réservés

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Septième chapitre: Françoise Sagan, Jacques, Bruno, Louis …

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Commençons par l’un des plus anciens: Jacques DEFFOREY. Ce qui aura, encore une fois, la particularité de nous ramener vers Henri de Raemy, le protecteur de Pierre Quoirez.

Le Figaro du 19 mars 1937, dans sa rubrique mondaine, publie le communiqué ci-après: « Brillante réception, mardi, chez Mr et Mme H. de Raemy. Reconnus dans l’élégante assistance: comte et comtesse d’Aiguesvives, Mr et Mme des Brosses, comte et comtesse de Bailliencourt, marquise de Colomb de Puisblanc, Mr et Mme de Blanpré, Mme Gérard Bauër, Mr de Berny, Mr et Mme Canonne, comtesse et Mlle de Diesbach, comtesse de Lenzbourg, Mr et Mme Lecat, Mr, Mme et Mlle Michal, Mr et Mme de la Messuzière, Mlle de Pourtalès, Mlle Boissy d’Anglas, Mr et Mme d’Espine, comte et comtesse de Viaris, Mr et Mme P. Fournier, Mr et Mme Defforey, Mr et Mme Naville, Mme Noguez, Mr et Mme Ray, baron et baronne de Pury, Mr et Mme F. Spitzer, Mr Robert Lazarus, Mr Corte Real de Rys, Mr de Vivis, baron Louis de Chollet, Mr de Weck, Mr Rochette, etc.« 

Ce jour-là, Henri de Raemy rassemble autour de lui un bel échantillon de la noblesse française et suisse (dont il fait d’ailleurs partie), ainsi que quelques figures remarquables de la diplomatie, de l’industrie et du commerce. Parmi ces dernières, Mr et Mme Defforey.

Les Defforey font partie d’une famille de l’Ain, de Lagnieu très exactement, tant elle s’est peu déplacée depuis un siècle. L’ancêtre, François-Joseph (1827-1891) y tenait bureau de tabac, épicerie et faisait grossiste.

Son fils, Charles Defforey, né le 27 octobre 1860 à Lagnieu, épousa le 22 juin 1888 à Bourgoin, Marie Françoise Clothilde BADIN, née le 25 mars 1862. Ils poursuivirent l’activité de l’entreprise de commerce d’épicerie sous le nom de « Comptoirs Badin-Defforey ». En 1919, leurs deux fils, Louis Laurent, né en 1889, et Joseph, né en 1891, la firent évoluer en « Defforey Frères » et lui donnèrent une exceptionnelle ampleur par le nombre de ses clients individuels et grossistes associés. En témoigne la flotte de véhicules que l’on retrouve sur certaines photographies.

Véhicule de livraison Defforey Frères – Tous droits réservés

Joseph Defforey épousa l’une de ses cousines, Yvonne Defforey. Louis Laurent Defforey épousa une grenobloise, Yvonne Anne Marie Léonie SISTERON. C’est probablement ce couple, celui de Louis Defforey et d’Yvonne Sisteron qui se trouvait présent à cette fameuse réception chez les de Raemy, invité par Madame de Raemy, native de Charnoz, dans l’Ain, proche village de Lagnieu.

Couple qui eut trois garçons. Dans l’ordre, Charles Paul, né à Lagnieu le 28 avril 1922, Jacques José, né à Lagnieu le 15 novembre 1923 et Denis Laurent, né à Lagnieu le 7 juillet 1925.

L’aîné, Charles, deviendra ingénieur civil des Mines, sera promu Chevalier de la Légion d’Honneur, mourra à Lucey (Haute-Savoie) le 14 avril 2017.

Le second, Jacques José, se retrouvera quatre ou cinq ans après cette réception, aux cotés de Suzanne Quoirez, à Lyon, à l’Ecole des Beaux-Arts. Il épousera Suzanne Henriette Madeleine Quoirez, la soeur aînée de Françoise Sagan, le 10 septembre 1946 à Saint-Marcellin. L’acte de mariage précise que les parents de la mariée, Marie Laubard et Pierre Quoirez, sont domiciliés à Saint-Marcellin, donc à La Fusilière. C’est Ferdinand Brun, Maire de Saint-Marcellin, qui a procédé à la cérémonie à laquelle Françoise Sagan s’est fait une joie de participer (1). Le couple aura deux filles : Cécile et Fanny, avant de se séparer, en février 1979.

Acte de mariage Suzanne Quoirez-Jacques Defforey – Etat-civil – Saint-Marcellin

Jacques Defforey deviendra rapidement célèbre. Avec son frère Denis et Marcel FOURNIER, ils sont les fondateurs du Groupe Carrefour. Un premier magasin est ouvert le 3 juin 1960 à Annecy et le premier hypermarché ouvre en 1963, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Jacques Defforey sera Directeur Général du Groupe Carrefour de 1976 à 1987, et sera membre du Conseil de Surveillance jusqu’en 1995. Il mourra le 26 mai 2000 au Brésil.

Le dernier des garçons, Denis Laurent Defforey, épousera, de son coté, le 30 juin 1949, Marie Marguerite Clotilde de Raemy, née à Fribourg le 6 novembre 1926. Marie Marguerite Clotilde est la fille d’Henri de Raemy et de Yvonne Marie Pauline de CHOLLET, née à Charnoz (Ain) le 6 septembre 1899. A la naissance de Marie Marguerite Clotilde, le couple avait déjà un garçon, Jean Jacques Marie Joseph, né le 10 janvier 1924 à Fribourg. Un troisième enfant naîtra ; Bruno Pierre Marie Laurent. Denis Defforey, associé à son frère Jacques et à Marcel Fournier, dirigera le Groupe Carrefour de 1985 à 1990. Il décèdera en Suisse, le 6 février 2006.

Dans les mémoires de Françoise Sagan, il est souvent question d’un autre Bruno, un ami avec lequel elle partage ses jeux lorsqu’elle est enfant, va à la piscine, le retrouve à Paris après la publication de « Bonjour tristesse » et l’emmène même aux USA pour une cérémonie de sortie d’un livre. Qui est ce Bruno ?

Bruno Charles Robert MOREL, puisque tel est son nom, est issu d’une lignée d’industriels dont la rapide histoire mérite d’être contée. Ne serait-ce que parce qu’elle concerne fortement le territoire du Sud-Grésivaudan. L’aïeul est Charles Morel. Il est né le 20 juillet 1848 à Vienne (Isère) et est décédé le 6 août 1914 à Domène (Isère). A Domène, dont il a été maire, il avait implanté ses ateliers industriels et s’était quelque peu spécialisé dans le cycle, après avoir déposé des brevets de broyage et de tamisage des matériaux. C’est ainsi qu’il a commercialisé une bicyclette pliante pour les soldats, et un curieux tandem, ou plutôt un bi-cycle puisque constitué de deux cadres assemblés cote-à-cote, donc à quatre roues et deux pédaliers synchronisés (2). Il en fera une version motorisée en 1897, la Victoriette.

Les cycles Morel

Le couple qu’il forme avec Clémence MONTEIL (30 juillet 1852 – 23 juillet 1897) aura six enfants. Le troisième de ces enfants, Emile, né le 12 avril 1877, décédé en 1940, épouse Marthe CHEVRANT le 14 décembre 1901 et est également industriel à Domène. Emile et Marthe auront quatre enfants, dont Charles Emile, né 6 décembre 1903 à Domène et décédé le 17 février 1981 à La Tronche.

C’est en 1938 ou 1939 que Charles Emile vient s’installer à La Sône pour y développer deux types d’activité : du moulage de pièces bakélite ou caoutchouc, par exemple le plateau des électrophones Teppaz et de l’électromécanique, démarreurs, bobines, volants magnétiques et alternateurs pour motocycles, voire pour l’Isetta Velam.

CPA – Usines Morel vue de la rive gauche de l’Isère
Bobine magnéto Morel

Charles Emile épouse Renée Paule Henriette PIOLLET, née le 3 janvier 1905 et décédée le 17 février 1998 à Paris, dont il a un garçon, l’ami de Françoise Sagan, Bruno Charles Robert, né le 14 novembre 1930 à La Sône et décédé le 15 juillet 2004 à Neuilly-sur-Seine.

Charles Emile épousera en seconde noces May Viola DRANGEL (1919-1973), suédoise d’origine. Ils auront quatre enfants, Laïla, née en 1939, Hugo Charles, né en 1943 et décédé en 2010, Patrick, né en 1945 et Renaud, né en 1948 (2bis).

Dans le chapitre consacré à la FAE, nous avions parlé d’une visite du préfet qui avait eu lieu en avril 1949. Le même jour, la délégation d’élus et du préfet s’est également rendu aux usines Morel.

Avril 1949 – Visite d’une délégation Préfet de l’Isère et élus – Au centre, Charles Morel – Collection privée Patrick Morel -Droits réservés

Parce que les Morel et les Quoirez vivent une véritable fraternité à la fois industrielle et amicale, ouverte à d’autres, ils se retrouvent souvent, alternativement chez les uns ou chez les autres. Peut-être davantage chez les Morel qui sont locataires du Château de La Sône depuis 1939, un château qu’ils achèteront en 1952 (3) et revendront en 1976. Patrick Morel, l’avant-dernier garçon, a d’ailleurs pour parrain Pierre Quoirez. Malgré la différence d’âge, il se souvient avoir vu Françoise Sagan monter le cheval, Javotte, de sa mère. Il se rappelle également de l’anniversaire des 50 ans de son père, en 1953 : Pierre Quoirez lui avait offert une céramique signée Jean Austruy, un artiste et industriel céramiste de Saint-Marcellin.

Château de La Sône – Collection privée – Droits réservés

Françoise Sagan aurait trouvé l’inspiration pour le titre de sa pièce « Château en Suède » en faisant un rapprochement de la notion de château et de la nationalité suédoise de l’épouse de Charles Emile Morel. Charlotte CARRA témoigne avoir rencontré Françoise Sagan et son époux Robert Westhoff, présentations faites, au château de La Sône. Ce ne peut être qu’en 1962 ou ultérieurement.

Les Morel avait également pour ami un célèbre physicien, titulaire d’un prix Nobel, à l’origine du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble, Louis NEEL. Né en 1904, il était de la même génération que les Morel, les Quoirez, les Fenestrier et d’autres encore. Spécialiste du magnétisme, en 1940 son premier objectif est de pouvoir créer un dispositif de désaimantation des coques des navires de la flotte française, permettant de les protéger des mines que l’adversaire y placerait. A ce titre, il échange souvent avec Charles Emile Morel dont il parle avec amitié dans son ouvrage « Un siècle de physique », aux Editions Odile Jacob 1991. (4) « De 1952 à 1959, j’ai donné des conseils de caractère très technique à une entreprise de taille beaucoup plus modeste : les établissements E. Morel, à La Sône, petite localité proche de l’Isère, sur la route de Valence, à quelques kilomètres au-delà de Saint-Marcellin. Entreprise familiale type, elle comptait une cinquantaine de salariés, et moulait de petites pièces en matière plastique ou en un alliage léger, le zamak. Elle fabriquait aussi des magnétos, des bobines d’allumage et, pour les cyclomoteurs, des volants magnétiques, ainsi que d’autres appareils du même genre, tous comportant des aimants permanents. Charles Morel en était le propriétaire majoritaire et le directeur. Sportif, sympathique, plutôt décontracté, il habitait un vieux château autrefois fortifié, adjacent à l’usine, construit sur une hauteur qui commandait un coude de l’Isère. A l’extrémité d’une immense salle à manger, des troncs d’arbres entiers brûlaient dans une cheminée monumentale, en répandant une vague tiédeur. Françoise Sagan, enfant, avait joué dans le parc. Au volant de sa voiture de sport, en des temps records, Morel se rendait régulièrement à Paris rendre visite à son agence. Il possédait aussi, à Domène, une petite usine de décolletage fabriquant des rivets. Marié à une suédoise, il passait ses vacances à chasser l’élan dans les vastes et désertiques forêts scandinaves ».

Mais revenons à Bruno Morel, l’aîné de la famille. Entre 1940 et 1945, nous l’avons dit, il est un ami de Françoise Sagan, il a cinq ans de plus qu’elle. Plus tard, il la retrouvera à Paris, et parfois il sera entouré d’amis qu’elle a déjà rencontrés à La Sône lors de surprise-parties auxquelles sa grande sœur l’invitait à participer. Ils ont noms Louis NEYTON, Jean-Claude GALTIER ou Noël Léon DUMOLARD.

Louis Joseph Neyton se rattache à l’histoire des FENESTRIER. Joseph Fenestrier (1850-1926) et son épouse Emélie ROUSSET (1853-1921) étaient charcutiers à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère) et tenaient boutique à Romans-sur-Isère (Drôme), 8 place Fontaine Couverte. Leur fils Joseph Marie Noël, né le 25 décembre 1874 créa à Romans sur Isère un atelier de fabrication de chaussures en 1895, âgé seulement de 21 ans. Il fut brièvement maire de Romans en 1900. Dès 1901, l’entreprise eut une belle croissance et en 1904 elle fut à l’origine de la première campagne publicitaire en faveur de chaussures. La marque UNIC naquit en 1907 et conquit l’Europe, la Russie, l’Egypte et le Moyen-Orient. Joseph Marie Noël mourut le 25 février 1916, à l’âge de 42 ans. Un incendie détruisit l’usine du Boulevard Gambetta de Romans, en 1917. C’est alors l’usine établie à Saint-Marcellin l’année précédente qui assura la production en attendant que l’usine de Romans soit reconstruite.

En 1922, le fils du couple Fenestrier, Joseph Emile-Jean, né le 2 mai 1901, prit la relève de son père. En 1926, l’entreprise regroupait 800 ouvriers et produisait 1200 paires de chaussures de grande qualité par jour. En 1930, la première collection féminine de chaussures de sport vit le jour. Pendant la guerre de 1939-45, l’entreprise fit des miracles pour fabriquer des chaussures faites de bois, de feutre ou de raphia. En 1945, Joseph Emile-Jean fut nommé Président de la Fédération Nationale de la Chaussure de France. Il mourut en 1961, laissant une fille, Martine, née en 1934. Mais l’entreprise continua son activité. En 1966, Martine Fenestrier, épouse de Louis Neyton, vendit l’entreprise au Groupe Revillon. En 1969, le groupe André la racheta et créa la Société Romanaise de la Chaussure, qui fut à son tour achetée par Robert CLERGERIE.(5)

CPA – Saint-Marcellin, la gare du tramway et l’usine de chaussures Unic

L’histoire raconte (les histoires racontent !) que Louis Neyton fut l’un des premiers flirts de Françoise Sagan, en 1953, à Paris, alors qu’elle est en Sorbonne. Mais elle l’avait connu bien avant, quand il faisait partie de la bande d’amis de Bruno Morel et qu’elle n’était qu’une gamine.

Les autres membres de la bande sont Jean-Claude GALTIER, né le 23 janvier 1928, qui fut le créateur du garage Renault-Galtier bien connu à Grenoble, et Noël Léon DUMOLARD, artiste peintre, surréaliste, vivant du métier de décorateur. Il est né le 13 avril 1925 à Voiron (Isère) et est décédé à Roybon (Isère) le 18 mars 1989.

Françoise Sagan -Collection privée – Droits réservés

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Sixième chapitre: Françoise Sagan et la voiture électrique

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce chapitre va nous entraîner à beaucoup parler, encore, de Pierre Quoirez. Le plus important est cependant de prendre conscience que notre région a été, pendant quelques temps, le centre de réflexion de nombreux ingénieurs et techniciens qui ont œuvré sur un projet novateur, très largement en avance sur son temps, celui d’une voiture à propulsion exclusivement électrique et à carrosserie en aluminium.

En 1940, lorsque Henri de Raemy a nommé Pierre Quoirez à la tête des usines dauphinoises de la FAE, il lui a également attribué une mission : celle de superviser le dossier d’étude et de réalisation d’une voiture électrique. Ce projet avait été confié à Jean Albert GREGOIRE. Né le 7 juillet 1899 et décédé le 18 août 1992, Jean Albert Grégoire avait effectué une partie de sa scolarité au Collège Stanislas où il s’était lié d’amitié avec Pierre Quoirez. Polytechnicien, entré en 1918 et sorti en 1921, il était devenu constructeur et pilote d’automobiles. Spécialiste de la traction avant, il est l’inventeur d’un procédé d’amélioration de celle-ci, le joint homocinétique Tracta. Excellent sportif, il a participé de 1927 à 1930, soit quatre années consécutives, aux « 24 heures du Mans », desquelles il est toujours sorti parmi les dix premiers.

C’est à cet homme que Henri de Raemy demande de réaliser cette voiture électrique. Celui-ci s’entoure d’une équipe de spécialistes, ingénieurs, mécaniciens, électriciens et précise qu’il estime bien préférable de concevoir un véhicule intégralement électrique et de ne pas chercher à adapter un véhicule à essence. Le prototype mis en chantier est celui d’un cabriolet de deux places. Il confie à Paul RAPIN la partie électrique consistant en un moteur permettant la récupération de l’énergie de décélération et de freinage. Et il propose que ce prototype soit réalisé à Lyon à la Société des Véhicules Electriques SOVEL, une société qui venait d’être reprise par la CGE. Nul ne sait exactement le rôle joué par Pierre Quoirez dans cette équipe. A-t-il contribué au projet en tant qu’ingénieur ? Quoi qu’il en soit, il est le cadre de la CGE en charge de la supervision du dossier.

Le cabriolet, baptisé officiellement « CGE Tudor », du nom du fabricant des batteries (une filiale de la CGE), ou encore, officieusement, « CGE Grégoire », est un véhicule en aluminium, construit par Hotchkiss sur une carcasse coulée. Il pèse, avec son moteur central, 510 kg. Il faut y ajouter les batteries, réparties à l’avant et à l’arrière, qui pèsent à elles seules 460 kg. Deux raisons ont présidé au choix de l’aluminium ; la légèreté du matériau afin de limiter le poids en marche du véhicule et la résistance de l’aluminium aux acides des batteries. En version finale, la CGE Tudor mesure 3,70 m de long, 1,40 m de hauteur et a un empattement de 2,35 m. Le 11 septembre 1942, ce véhicule bat un record en parcourant 225 km à la moyenne de 43,32 km/h.

CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)
CGE TUDOR – Collection Grégoire – Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA)

Pour toutes les photographies de l’IHA: Droits réservés – culturalu@histalu.org Photos Thierry Renaux et Alexandre Kubiak

Quand les premiers exemplaires sortent des usines Hotchkiss, ils sont mis à disposition de la direction de la CGE, des directeurs des branches, des filiales et de quelques maisons amies, le but étant de populariser ce nouveau véhicule. C’est ainsi que Pierre Quoirez se voit doté d’un exemplaire de ce véhicule qu’il utilisera entre sa maison de la Fusilière et ses usines.

Fin 1944, la production de cette voiture est interrompue, malgré le soutien apparent de l’Etat (Vichy). Plusieurs arrêtés ont été pris, visant à organiser l’homologation des véhicules électriques (18 décembre 1940, 19 juillet 1941, 30 octobre 1942, 6 septembre 1943). Cependant, en date des 1er octobre 1942 et 16 décembre 1942, ce sont les autorités allemandes de l’office central de répartition des produits industriels qui interdisent l’emploi d’acier, de fonte, de fer et de métaux non ferreux pour la fabrication des véhicules électriques à accumulateurs. Par ce biais, les Allemands instaurent des restrictions sur des composants essentiels, peut-être en vue de s’approprier les projets. Par ailleurs, les constructeurs français; Renault, Citroën, Peugeot, ne sont pas en faveur du développement des voitures électriques, seul Panhard et Levassor s’y intéresse sans en avoir les moyens. Enfin, le Conseil d’Administration de la CGE n’y est plus très favorable: environ 200 exemplaires auront été fabriqués, dont le prix reste beaucoup trop élevé pour qu’un vrai marché soit créé.

Cette petite révolution industrielle manquée, avec quatre-vingt ans d’avance, n’a laissé que très peu de traces à Saint-Marcellin et rares sont celles et ceux qui connaissent l’aventure, malgré un bel ensemble de documentation consultable sur Internet (1). Nous tenons à remercier l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium (IHA) qui a accepté que nous reproduisions gracieusement quelques photographies de la « CGE Tudor ». Nombreux sont ceux qui se sont amusés à imaginer Françoise Sagan au volant de cette voiture, qu’elle aurait conduite avec autant de passion et de vitesse qu’elle conduira plus tard ses véhicules sportifs, voire même qu’elle serait allé à l’école avec cet engin ! Outre le fait que l’hypothèse de l’école est à éliminer, il est assez improbable qu’une jeune fille de 7 ans en 1942, de 9 ans en 1944, lors de l’arrêt de fabrication, ait pu conduire cette voiture. De même, il est incertain qu’elle ait pu suggérer des modifications quant à la position des commandes. Elle n’aurait, sans aucun doute, jamais pu atteindre les pédales de freinage et d’embrayage ! Par contre, rien n’interdit de croire le fait que son père lui confiait le volant alors qu’elle était assise sur ses genoux, ainsi que le racontent Marie-Dominique Lelièvre (2) et Denis Westhoff lui-même.

Marie Quoirez et ses trois enfants ont quitté Saint-Marcellin à l’automne 1945. Pierre Quoirez, quant à lui, est resté quelques années encore à la tête de ses usines, toujours locataire de La Fusilière. Il est certain que sa famille est revenue à Saint-Marcellin lors des vacances et il n’est pas impossible que Françoise Sagan se soit amusée avec cette voiture lors de l’un ou l’autre de ces retours, en 1950, quand elle avait quinze ans, ou ultérieurement.

1948 – Françoise Sagan au volant, à La Fusilière (?)-Sur le capot, sa nièce Cécile Defforey – Collection privée – Droits réservés

http://www.hotchkiss-gregoire.com/pdf/l_ingenieur_de_lauto.pdf

https://paleo-energetique.org/paleoinventions/la-voiture-electrique-cge-tudor/

https://www.culturalu.org/fr/pieces.php?idalb=280&page=1&nbp=12

http://mini.43.free.fr/5018gregoire.html

http://stubs-auto.fr/c-1/cge-tudor-1941-1944/

https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2012-2-page-70.htm

https://madelen.ina.fr/programme/jean-albert-gregoire

http://www.lesrendezvousdelareine.com/2016/10/ancetre-ecolo-la-cge-tudor-presque-80-annees-d-avance.html

  • 2- Marie-Dominique Lelièvre – Sagan à toute allure – 2008
  • Les références relatives aux arrêtés et décisions sont consultables sur le Journal Officiel de la République Française et le Journal Officiel de l’Etat Français pour la période d’occupation. (www.legifrance.gouv.fr)

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