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Discussion dans un parfum d’essence

Quelques excuses pour une aussi longue absence: tout d’abord, cette période électorale n’a pas franchement été très inspiratrice dans la mesure où les sujets favoris de ce blog sont justement ceux qui n’ont pas été (ou si peu) abordés par les candidats.
Ensuite, le mois de mai est le mois de l’Europe (qui le sait ??) et nous nous sommes plutôt engagés en faveur d’une action concertée (http://blog.quadrivium-europa.eu/) avec divers Comités de Jumelage et surtout des liens avec des citoyens d’Allemagne, d’Italie, de Roumanie ..

Voilà c’est fait, un nouveau gouvernement est en place dont on peut attendre à tout le moins un plus grand respect de la République. Pour le reste, on verra à l’usage car, de toutes façons, l’exercice sera TRES difficile.
Ce soir, les premières décisions à caractère symbolique sont tombées. Il en est une, cependant, qui reste en sursis. C’est celle qui concerne le blocage du prix des carburants. La raison en est bien simple: depuis quelques dizaines de jours le prix des carburants est à la baisse et on ne bloque pas des prix lorsqu’ils sont à la baisse !

(DR)

Cela n’empêche cependant pas de réfléchir à cette proposition électorale. Electorale ou électoraliste ? Plus directement, le blocage des prix des carburants n’est-il pas une triple erreur: fiscale, politique et écologique ?

Une erreur fiscale.

Michel Sapin, nouveau ministre du travail, est allé, ces derniers jours, jusqu’à parler de la TVA perçue par l’Etat sur les carburants dont le coût est trop élevé comme d’une « TVA indue » qu’il faut restituer au consommateur. La notion de taxe indument perçue est, à l’évidence, avant tout morale. Mais la morale est-elle une bonne conseillère en matière fiscale ? Si la réglementation fiscale prévoit une taxation en pourcentage de la valeur, cela doit s’appliquer quelles que soient les variations de cette valeur. La règle ne peut être modifiée de façon arbitraire pour telle ou telle marchandise et pas pour une autre: gaz, huile d’olive ou abonnement téléphonique !
Si la morale doit prévaloir en matière fiscale, alors il vaudrait peut-être mieux s’attarder sur les taxes amoralement perçues (sans morale) sur les jeux de hasard, l’alcool et le tabac. Si cela n’est pas fait, c’est qu’elles rapportent trop à l’Etat, davantage sans doute que les dégâts que causent les produits en question. Alors pourquoi deux poids et deux mesures quand il s’agit de l’essence ?
Enfin, bloquer le prix des carburants revient à mettre en œuvre une injustice fiscale, car on ne peut à la fois prétendre aider les classes moyennes dans leurs déplacements et financer le carburant des 4 X 4 et autres véhicules de luxe !

Une erreur politique.

Bien évidemment, tout un chacun s’est fait la remarque: le prix de l’essence monte, on décide de le bloquer pendant trois mois. Que fait-on à l’issue des trois mois si, pendant ce temps-là, le prix « officieux » a continuer d’augmenter ? On prolonge le blocage ? On cherche une autre formule ? Si c’est pour en arriver là, autant chercher l’autre formule tout de suite !
Une bonne réponse à un problème ne se trouve que si le problème en question a été correctement posé. Lors de la campagne, François Hollande a déclaré que le surcoût du carburant pouvait atteindre 200 € par mois ! Quelle que soit la période prise en compte, ce surcoût est … impossible.
Prenons l’exemple du SP98, dont le prix moyen était de 1,55 € en novembre 2011. Le prix moyen constaté fin avril 2012 était de 1,71 €. Soit un surcoût de 0,16 €. Sur cette base de surcoût, 200 € représenteraient 1250 litres de carburant par mois !! Pour un véhicule consommant 9 litres au 100 km en parcours urbain, cela fait un kilométrage mensuel de … 13900 km. Et, pour un couple, près de 7000 km chacun. Impossible ! Impensable !
Des références: France Inflation (http://france-inflation.com/graph_carburants.php) ou Zagaz (http://www.zagaz.com/stats.php).

Pourquoi faire appel à des raisonnements erronés et à des calculs faux pour subventionner les carburants ? Et d’ailleurs, que doit-on subventionner ? Un besoin ou « une » réponse à ce besoin ? L’Egypte subventionne la farine et le pain, depuis des années. Il s’agit pour elle de permettre l’alimentation de ceux qui n’ont pas de ressources. En fait, ce qui est aidé, c’est le besoin de se nourrir et il n’existe pas d’alternative à ce besoin: si l’on n’a pas les moyens de se nourrir, il ne reste que le pain subventionné. Et soyons rassuré quant à la justice fiscale: les riches n’achètent pas l »’aïch baladi » (le pain populaire) !
Par contre, le besoin de se déplacer doit pouvoir trouver d’autres réponses, toutes aussi satisfaisantes, que la seule utilisation individuelle du pétrole et des carburants !! Cela nous amène à la troisième erreur.

Une erreur écologique.

Il fut un temps où les écologistes rêvaient d’un litre d’essence à 10 €. En raison de la raréfaction du pétrole (pic pétrolier), ils y voyaient un solide argument pour que la consommation de carburant soit drastiquement réduite et que des solutions de remplacement pour les déplacements quotidiens soient imaginées. Ce raisonnement faisait partie de la « pédagogie des catastrophes » chère aux écologistes. Mais il n’y a plus d’écologistes ! Leur score aux Présidentielles ne mérite même pas que l’on s’y attarde. Les leaders politiques ne pensent qu’à négocier des places au Parlement ou des portefeuilles dans les ministères. Les autres se sont tus ou répètent un catéchisme sans plus y croire.

Pourtant, et sans atteindre 10 €, un litre d’essence à 2 € aurait beaucoup d’avantages. Il permettrait, par simple effet mécanique, de limiter la circulation en distance parcourue et en vitesse. Or moins de vitesse + moins de kilomètres = moins de morts !

Il permettrait à chaque usager actuel de se poser vraiment la question des économies et donc d’utiliser les transports en commun, d’utiliser des moyens de transport alternatifs, de co-voiturer. Personne ne pourra s’exclure de cette réflexion et de ses solutions, car il n’est pas une seule personne, même la plus isolée à la campagne, qui n’ait pas un bout de chemin commun avec une autre personne lorsqu’elle va faire ses achats ou lorsqu’elle part au travail !
Comment faire ? Vivre, se déplacer et travailler en réseau ! Ou utiliser les réseaux pour vivre, se déplacer et travailler !
Et mettre en commun les horaires, les véhicules, les parkings …
Quel(le) ministre est prêt(e) à engager le débat sur cette nécessaire évolution des mentalités ?

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Mon ancienne voiture

Renault m’a fait récemment parvenir une publicité, illustrée d’une crème anti-âge, me précisant qu’il y a plus efficace pour rajeunir mon ancienne voiture. Bravo à Renault qui suit parfaitement ses clients et sait leur rappeler que leur voiture vieillit, quand bien même la mienne n’a pas encore 5 ans !!

La méthode de rajeunissement proposée est ni plus ni moins celle de l’achat d’un nouveau véhicule. La prime à la casse laisse des traces. Selon le Ministère de l’Industrie, au 14 décembre 2010 ce sont 563434 véhicules qui ont été retirés du circuit en 2010 pour être conduits à la ferraille. Tous véhicules âgés, mais pas tous véhicules hors d’usage. Aucune réflexion n’a été entreprise pour savoir si certains n’auraient pas pu être recyclés auprès de jeunes, ou auprès d’associations, après expertise bien entendu. Mais tous ont été détruits au motif de la lutte contre la production de CO2.

Cet objectif au moins a t-il été atteint ? Pas si sur !

TerraEco (http://www.terra-economica.info/La-prime-a-la-casse-est-elle,8571.html) s’est livré à un petit calcul rapide et sommaire qui prouve le contraire.

En 2009, la moyenne CO2 par kilomètre parcouru sur le parc automobile français tous âges confondus était de 176 g/km.

Après le retrait des véhicules concernés par la prime à la casse et leur remplacement, cette moyenne est tombée à 169 g/km en 2010. Soit sur la base de 12798 km parcourus en moyenne par chacun des 37,5 millions de véhicules français (UN pour DEUX habitants), la production de CO2 a été abaissée de 3,3 millions de tonnes en un an.

Or, dans le même temps, chaque voiture détruite a été remplacée par un véhicule neuf fabriqué sur l’une ou l’autre des chaînes de montage. TerraEco prend l’exemple d’une Laguna dont la fabrication est responsable de l’émission de 4,7 tonnes de CO2, un chiffre assez comparable quel que soit le type de véhicule. Ainsi donc les 563434 véhicules “échangés” dans le cadre de cette opération ont entraîné la production de 2,65 millions de tonnes de CO2.

Au total le bénéfice de l’opération n’est que de … 650 000 tonnes. Encore faut-il remarquer que ces calculs ne prennent pas en considération les coûts liés à la destruction des véhicules retirés de la circulation. Le bénéfice écologique de l’opération est donc quasi nul.

Certains vont se rassurer en disant que le nouveau véhicule va produire moins de CO2 pendant les quelques années de son existence et, donc, qu’à la longue, la balance sera moins négative. Oui, certainement, même si le gain restera à la marge.

Quant au bénéfice écologique personnel, prenons un automobiliste lambda qui a fait l’acquisition d’un nouveau véhicule qui produit 169 g au lieu de 176 g/km de CO2. Au cours d’une année (12798 km !), il économisera 90 000 grammes de CO2 ! Pour compenser les 4,7 tonnes liées à l’achat de son nouveau véhicule, il devra rouler avec son nouveau véhicule pendant … 52 ans. TerraEco a pris l’exemple d’une Twingo plus économe et le temps de conduite nécessaire n’est que de … 28 années.

Moralité: il y a encore beaucoup à faire pour réduire l’impact écologique de la voiture. Et ce ne sont pas les opérations de prime à la casse ou de prime de rajeunissement qui peuvent y contribuer. Ces opérations n’ont qu’un seul objectif; celui de maintenir en vie tout un secteur économique majeur dans notre pays comme dans tous les pays industrialisés. Ce secteur ne concernent pas seulement les fabricants d’automobiles ou d’accessoires, mais aussi le circuit des concessionnaires, des garages, des carrossiers, des additifs, des carburants, de la publicité, des routes, autoroutes et rond-points, et j’en oublie certainement.

2012 verra probablement apparaître les premières voitures électriques de qualité et de compétences (autonomie) suffisantes pour en faire de vrais véhicules. Connaît-on aujourd’hui le coût écologique de fabrication d’un tel véhicule et de ses batteries ? Connaît-on le cout écologique de la recharge de celles-ci et de son traitement en fin de vie ?

Renault (encore lui) fait de la Zoé (http://news.autoplus.fr/news/1437514/Genève-2011-présentation-stand-Renault-ZOE-PREVIEW) un vrai cheval de bataille. Mais toute la stratégie en reste encore et toujours à la voiture individuelle toujours et partout. Chaque année, le coût unitaire d’un ticket de train augmente, alors qu’il devrait diminuer, seule solution pour transférer des usagers vers ce moyen de transport collectif. Les parcs de stationnement à l’entrée des villes devraient être obligatoires et reliés au centre de la cité par un réseau dense et permanent de véhicules de transport en commun, sortes de taxis électriques gratuits. Il ne s’agit pas de supprimer la voiture individuelle, mais de ne lui laisser le champ libre que dans un domaine restreint dont la ville sera nécessairement exclue. Et pour cela, il faut faire évoluer (formation, conversion) tous les secteurs économiques précédemment cités. Une lourde charge …

Zoé Renault (DR)

Tout un changement de mentalité et de comportement.

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L’échec de la Nano, une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle ?

Voici près de deux ans, jour pour jour, nous parlions ici (Tata-Nano) de la Tata Nano, cette voiture populaire indienne à 1500 ou 2000 euros. Essentiellement pour nous indigner de ce que certains considéraient comme un “cauchemar environnemental”, au motif que le constructeur envisageait une production de l’ordre de 1 million de véhicules par an à partir de 2010. Et les commentateurs de proposer aux habitants de l’Inde de ne se déplacer qu’à pied ou en transport en commun ! En mars 2009, le site “carfree france” est allé jusqu’à considérer que cette offre n’était qu’un petit pas pour la démocratie, mais un grand pas pour la destruction de la planète.

Tata Nano (DR)

Faut-il persister et signer ? Nous n’avons (et nous n’aurons) strictement aucun droit à dicter à quiconque dans le monde l’attitude qu’il doit avoir en matière de consommation et/ou de développement tant que nous n’aurons pas décidé d’un changement réel, et mis en œuvre ce changement, de nos propres habitudes de consommation et de développement. Le « Faites ce que je dis, et pas ce que je fais » est totalement inacceptable.

Et voilà qu’on reparle de la Tata Nano pour nous dire que c’est un échec commercial ! Avant d’aborder ce sujet, revenons quelque peu en arrière. Présentée au public indien en mars 2009, cette voiture a rencontré un succès immédiat, à tel point qu’en trois semaines d’avril 2009 ce sont plus de 200000 véhicules qui ont été commandés et payés d’avance. Le constructeur, bien incapable de fabriquer ces véhicules dans les délais (manifestations paysannes au sujet des terrains d’implantation de son usine) a choisi de tirer au sort les clients, promettant de satisfaire tout le monde d’ici à fin 2010. On y est. Et en septembre 2010, ce sont plus de 50000 voitures qui avaient été fabriquées et vendues. Tata envisageait alors avec confiance de se développer vers l’Afrique, vers l’Amérique Latine et, pourquoi pas, vers l’Europe avec un modèle plus et mieux équipé.

Avec la crise et surtout à cause d’une image de marque assez déplorable que ce véhicule affiche (construction bâclée, sécurité limitée, auto-inflammabilité, prix trop élevé pour le service rendu, …), les ventes s’arrêtent pratiquement pour n’être en novembre 2010 que de 500 et quelques véhicules !

La fin d’un rêve ? France 2, au journal du soir, peut bien sourire en disant que même les pays en développement peuvent avoir des flops économiques. Le Monde lui-même, par la plume de Julien Bouissou, le 21 décembre dernier (un article introuvable sur Lemonde.fr), parle de « Nano caviar » au lieu de voiture du peuple.

Comme il y a deux ans, chacun peut bien rigoler, mais l’échec de la Nano n’est pas une bonne nouvelle. Si les indiens répugnent à acheter une Nano, c’est avant tout à cause de sa mauvaise qualité qui l’assimile davantage à une Traban extrême-orientale qu’à une voiture honorable. Mais il n’y a aucune motivation écologique dans ce choix, la preuve en est que les modèles avec climatisation sont privilégiés. L’histoire mythologique de la Ford T ne se reproduira pas et le monde des pays en développement ne se mobilisera pas pour CE véhicule à très (trop) bon marché. D’autres, comme Suzuki, Renault-Nissan, voire Citroën, voire les chinois, prendront la place et réussiront à vendre des véhicules, certes plus chers, mais plus séduisants.

Fin 2010, début 2011, l’heure n’a pas encore sonnée de la prise de conscience par les pays en développement du coût écologique de la voiture individuelle. Il faut dire qu’en France même, l’heure n’a pas encore sonnée de l’interdiction des véhicules les plus polluants à l’intérieur des villes, pour ne pas parler de l’interdiction totale des véhicules au cœur des villes.

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Le monde de Conrad Schmidt

Le texte qui suit a été publié dans « La décroissance, le journal de la joie de vivre » (?). Conrad Schmidt est le fondateur d’un parti canadien: le  »Workless Party » (Parti pour moins de travail) et l’auteur d’un livre intitulé « Workers of the World, Relax ».

« Çà a commencé par la voiture. Je me suis dit que si je m’en débarrassais, et que je me rendais en vélo au boulot, j’allègerais mon empreinte sur l’environnement. Résultat, outre le fait que j’étais plus en forme, je me suis retrouvé avec un surplus de 400 dollars par mois, parce qu’une bagnole ça coûte cher. Et la question s’est posée de ce que j’allais faire avec cet argent en plus. Si j’achète un plus gros ordinateur, ou que je me paye un voyage en Europe, ça revient au même, je continue de nuire. La consommation est donc exclue. De la même façon, si je m’offre des massages ou des cours d’espagnol, comment est-ce que, eux, mon masseur et mon prof vont-ils dépenser cet excédent de revenu ? Sans doute qu’ils seront moins scrupuleux que moi et qu’ils vont accumuler des biens inutiles qui viendront aggraver la situation. Conclusion, soit je détruis ce fric, je le brûle, sois je m’offre du temps. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à travailler quatre jours par semaine, puis j’y ai pris goût, je me suis investi dans la communauté, j’ai quitté mon job, j’ai enquêté sur les politiques, j’ai fait des films, écrit des bouquins … »

Conrad SChmidt (DR)

C’est pas parce que c’est l’époque du bac, mais on va faire un peu d’analyse de contenu de texte.

Voilà un homme, bien sous tout rapport, sans doute honorablement connu dans son quartier et apprécié par ses collègues, qui décide de se séparer de son automobile afin d’améliorer son empreinte environnementale. Cela lui rapporte quelques 400 $ mensuels, soit environ 320 euros, soit une quinzaine d’euros par jour de travail. A moins que la voiture soit très gourmande, ou que les péages urbains soient très élevés, cela représente tout de même plusieurs dizaines de kilomètres quotidiens … à faire en vélo. Passons.

En renonçant à sa voiture, Conrad a privé son garagiste et ses salariés (pour les révisions), son carrossier et ses salariés (pour les retouches en cas de petite rayure), son pompiste et ses salariés, et d’autres encore, de sa petite contribution personnelle à leur niveau de vie (et quel que soit le niveau de celui-ci). Je ne pense pas que pour eux, la solution se trouve dans la pratique du vélo.

En renonçant à sa voiture, Conrad a également renoncé à ses vacances que rien ne l’obligeait à prendre en même temps que tout le monde. Il a mis un terme aux escapades vers les montagnes de Banff où ses amis font encore de l’escalade. Il a ainsi privé son hôtelier et ses salariés, son restaurateur et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie. Pour eux, la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo. Il a aussi privé ses anciens amis de l’Université des visites qu’ils leur faisait une ou deux fois l’an: ils habitent trop loin et le Greyhound ne passe pas jusqu’au fond de leur vallée.

Conrad ne le dit pas ici (on peut supposer qu’il le dit ailleurs), mais il est probable que depuis sa découverte des économies possibles, il a du renoncer aussi à s’acheter de la viande, des fruits exotiques (et comme à part la pomme, la poire, la framboise, la cerise, le bleuet ou myrtille, il ne pousse pas beaucoup de fruits au Canada, ils sont presque tous exotiques), voire supprimer le café au bénéfice d’une camomille sucrée au sirop d’érable. Depuis, il élève trois poules, cultive ses salades et fait son pain. Il a ainsi privé son épicier et ses salariés, son boucher et ses salariés, son boulanger et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie.Pour eux la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo.

Poussant le raisonnement à fond, Conrad (puisqu’il ne bouge plus de chez lui) a simplifié son habillement au plus sobre: des socques, un pantalon de denim, une chemise à carreaux. Pour l’esthétique, la coupe de cheveux se fera à la maison … (et, à l’occasion, ce sera nu sur un vélo …)

Conrad est content de lui. Il a singulièrement réduit son empreinte écologique. Mais l’a fait tout seul, en indépendant, sans penser aux conséquences de ses actes, en égoïste

Et puis Conrad s’est posé la question de l’usage auquel il pouvait consacrer tout cet argent. Ne lui sont venues à l’esprit que trois hypothèses: le consommer, ou le brûler, ou moins travailler.

Le brûler ? Il devait rester en Conrad un fond de morale qui l’en a empêché en dernière extrémité.

Le consommer ? Cette hypothèse est rejetée pour deux motifs. Le premier vise à dire que si Conrad s’offre un matériel informatique dernier cri ou s’il décide de partir à la découverte du Monde, il ne fera que déplacer les causes de son hyperproduction de CO2. Donc, les fabricants d’ordinateurs et les compagnies aériennes n’auront pas sa petite contribution individuelle au niveau de vie de leurs salariés. Le second motif relève d’un comportement plus totalitaire: je ne me ferai pas faire de massages, ni n’apprendrai l’espagnol, car ces gens vivent déjà assez bien comme ça et n’ont pas besoin de mon argent qu’ils vont accumuler. Conrad s’est réservé le libre choix de l’usage de son argent, mais il est hors de question qu’il reconnaisse ce libre choix à un autre, de surcroît si cet autre est un industriel, un commerçant, un artisan, un libéral, un travailleur indépendant, bref un capitaliste.

Curieusement, il est une idée qui n’a même pas traversé l’esprit de Conrad: celle de faire profiter d’autres de cet argent économisé, les plus pauvres que lui par exemple, ou les immigrés en son pays, ou les habitants de pays en développement. Il n’est pas seul dans ce cas. Lors d’un reportage sur les décroissants, “Envoyé Spécial” avait filmé un couple de cadres qui fabriquait son lombricompost dans l’appartement et glanait sur les marchés. La question de l’usage de leurs économies n’avait pas été abordée et eux s’étaient bien gardé d’en parler. Le nombril de Conrad se trouve en occident et, honnêtement, il n’a rien à faire du développement des autres pays qui n’ont qu’à choisir le même modèle que lui.

Parvenu à ce niveau de réflexion, Conrad aurait du aller se coucher et attendre la fin. Pas d’auto, pas de tourisme, pas de découvertes intellectuelles, que fait-il de la musique, de la lecture, de la peinture, ? Non, Conrad est un intellectuel écologiste radical. Il a donc pris la plume, pris la caméra et développé le concept de la société qu’il préconise. Vend-t’il ses productions ? Le succès aidant, n’a t’il pas peur de se retrouver avec trop d’argent ? Ou distribue t’il ses écrits sur le net ? En ce cas, il existe encore une catégorie de travailleurs dont Conrad a besoin: les communicants, ceux qui (hard ou soft) permettent à la communication, aux idées, aux images, aux vidéos, de parvenir à nos écrans, nos téléphones, nos ordinateurs, nos tablettes.

L’écologie radicale, un combat ?