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Arbre de Mai, le « Maibaum » de Saint-Marcellin

Si nous consacrons un article à l’Arbre de Mai du Champ-de-Mars de Saint-Marcellin, c’est parce que, malheureusement, il n’existe plus. En effet, il a été enlevé le 16 septembre 2022, parce qu’il commençait à vieillir et à devenir dangereux. De fait, il commençait à pencher un peu !

Une longue tradition

L’arbre planté en place publique, ou devant telle ou telle habitation ou bâtiment collectif, relève d’une longue tradition à la fois nordique, celtique, germanique … On retrouve de tels arbres dans les mythes et croyances des Vikings. L’arbre, sapin ou peuplier, est l’expression du mystère de la vie et de l’aspiration à une existence heureuse et épanouie. Ses racines plantées solidement en terre, il élève sa ramure jusqu’aux cieux. Symbole de renouveau vital, de régénération, il est également symbole de virilité et de fécondité. Ce n’est pas pour rien que sa version « mat de cocagne » populaire en Italie et dans le sud de la France était escaladée avant tout par les garçons.

Ce n’est pas innocemment non plus qu’en Bavière les hommes du village gardent jour et nuit l’arbre destiné à être planté le 1er mai. Et que les hommes des villages voisins tentent de le dérober. Si un tel vol advient, le maire du village dépouillé se doit de payer rançon au village vainqueur sous forme de bière, tandis que les jeunes filles se détournent des garçons de leur village pour aller à la rencontre de ceux d’en face ! Rassurez-vous, tôt ou tard, les rôles seront inversés, mais pendant ce temps les unions à venir limiteront considérablement les risques de consanguinité villageoise.

L’arbre de Saint-Marcellin

Saint-Marcellin a célébré son jumelage avec Grafing le 10 juillet 1993, à Grafing. Les maires des deux villes étaient respectivement Louis Ferrouillat et Aloïs Kleinmaier. Comme il est de tradition, le jumelage se célèbre deux fois, une fois dans chaque ville, à un an d’intervalle. Le « retour » de jumelage entre Saint-Marcellin et Grafing a été célébré le 10 septembre 1994, à Saint-Marcellin.

L’arbre de Saint-Marcellin a été offert à la ville en 1997 par la ville de Grafing. L’élaboration de ce projet revient à Otto Hartl qui l’a conduit du début à la fin. L’arbre a été abattu en décembre 1996 et est resté en forêt, afin de sécher, jusqu’en avril 1997. C’est alors qu’il a été transporté à Grafing pour y être écorcé, poli, poncé et peint en bleu et blanc, les couleurs de la Bavière. Dans le même temps, les 12 panonceaux qui l’illustrent ont été conçus et peints sur les deux faces, tandis qu’un coq monumental, destiné à coiffer le mat, était réalisé.

Scié en deux parties, en biseau, pour être déplacé sans devoir recourir à un transport exceptionnel, l’arbre a quitté Grafing le 21 mai 1997 et est arrivé à Saint-Marcellin le 22 mai. Une fois les deux parties réunies, l’arbre de Saint-Marcellin mesurait 26 mètres de hauteur. Avec son coq de 2 mètres, soit 28 mètres, il était l’Arbre de Mai le plus haut, le plus beau, que la France ait jamais connu ! Ce sont les randonneurs de l’Amicale Laïque qui ont assuré son gardiennage, nuit et jour, jusqu’au 24 mai, jour de son érection et de son inauguration solennelle, en présence d’une foule considérable, dont de très nombreux habitants de Grafing.

25 mai 1997-Le Dauphiné Libéré
25 mai 1997 – Le Dauphiné Libéré

Les maires des deux cités étaient Rudolf Heiler et Jean-Michel Revol, tous deux récemment élus.

Que signifient les panonceaux peints attachés à l’arbre ?

En Bavière, tous les Arbres de Mai possèdent ces fameux panonceaux qui ont pour fonction de décrire la commune au travers de ses bâtiments publics et officiels, de ses commerces et artisanats d’importance et de ses associations ou groupements de quartiers.

L’arbre offert par Grafing à sa ville jumelle se devait d’afficher de semblables panonceaux, sous l’aspect de blasons, mais il fallait tenir compte des deux villes puisque ce cadeau avait pour vocation d’illustrer un jumelage.

L’arbre de Saint-Marcellin porte 12 panonceaux répartis sur six niveaux, chaque panonceau ayant 2 blasons en recto et verso, soit un total de 24 images. Dans l’ordre ascendant, nous trouvons les hôtels de ville de Grafing et de Saint-Marcellin et, au dos, les groupes de danses folkloriques Altenthaler et Sarreloups. Au second niveau, les églises catholiques respectives des deux villes et, au dos, les métiers de boucher et de boulanger. Au troisième niveau, le temple protestant de Grafing et le kiosque de Saint-Marcellin et, au dos, les pompiers et les orchestres d’harmonie de la StadtKapelle et de la Lyre. Au quatrième niveau, les métiers du bâtiment et du bois et, au dos, les associations sportives du judo et du football. Au cinquième niveau, les clubs cycliste et photographique et, au dos, les métiers de la serrurerie-ferronnerie et la fabrication de la bière. Enfin, au sixième niveau, le club de golf du Château d’Elkofen et une edelweiss pour immortaliser les randonneurs, ainsi qu’au dos, les productions de la vigne et de la noix et l’industrie automobile. A la base de l’arbre, deux panonceaux présentent les armoiries des deux villes et, au dos, le texte en allemand et en français rappelant que cet arbre de vie a été « offert par Grafing à sa ville jumelle Saint-Marcellin en contribution à l’Amitié entre les Peuples et à l’Unité de l’Europe ».

Panonceaux peints à Grafing: la boucherie et la boulangerie
L’automobile, la bière, la ferronnerie, la vigne et la noix
Métiers du bâtiment, pompiers, métiers du bois et orchestres d’harmonie
Dédicace de la Ville de Grafing à la Ville de Saint-Marcellin

Un nouvel arbre

En Allemagne , la loi impose que les Arbres de Mai soient remplacés tous les cinq ans, et ceci pour des raisons de sécurité. Celui de Saint-Marcellin a vécu bien davantage. Cependant, il a du être raccourci après quelques années d’existence en raison des intempéries, orages et coups de vent, et surtout de la fragilité initiale due à son découpage en deux parties lors du transport.

En 2013, soit 16 ans après sa mise en place, l’arbre a été définitivement enlevé : il était devenu trop dangereux.

C’est alors que les Services Techniques de Saint-Marcellin se sont mis à l’œuvre pour fabriquer son remplaçant, son successeur. La procédure est toujours la même, l’arbre est abattu, mis à sécher, puis écalé et peint en bleu et blanc. Savez-vous que ces deux couleurs veulent représenter le ciel bavarois : « bleu avec du blanc » ? Tout le travail de finalisation du nouvel Arbre de Mai, qui s’est déroulé dans l’atelier de Antonio Pereira, aboutira à son installation, un peu à la sauvette, le 13 juin 2014. Moins haut que l’original, portant la totalité des panonceaux d’origine, cet arbre sera rapidement intégré à l’ensemble des décorations de fin d’année puisqu’une succession de couronnes lumineuses viendra l’habiller sur toute sa hauteur. Il sera inauguré de façon très officielle lors des manifestations du 20° anniversaire du jumelage le 31 août 2014, cette fois encore en présence d’une belle délégation de grafinoises et grafinois.

13 juin 2014 – Le second Arbre de Mai est mis en place
31 août 2014-La Stadtkapelle inaugurant le nouvel Arbre de Mai

Un troisième arbre ?

Ce deuxième arbre de mai aura donc vécu huit ans, une durée inconcevable en Bavière. Si l’on voulait le remplacer le plus rapidement possible, c’est dès demain qu’il conviendrait d’aller en forêt couper un arbre respectable (en prononçant la prière qu’il est d’usage de formuler avant de se permettre d’achever la vie d’un bel arbre et en lui promettant une nouvelle vie de témoignage). En effet, c’est à l’entrée de l’hiver que l’arbre doit être coupé, bien avant la montée de sève.

Alors pourquoi ne pas patienter pendant un an et préparer le troisième Arbre de Mai de Saint-Marcellin pour l’ériger lors du 30° anniversaire du jumelage entre les villes de Grafing et de Saint-Marcellin, dont les cérémonies « de retour » auront lieu en 2024 ?

Laissons les deux villes et leurs Comités de Jumelage respectifs discuter de cette hypothèse, ou d’une autre, mais espérons que cette belle tradition venue de la nuit des temps et forte de ses valeurs de renouveau, sera perpétuée à Saint-Marcellin.

Nous te saluons humblement, arbre magnifique !

Nous nous tenons devant toi sans oser te présenter notre prière ;

Permets-nous, dans ta miséricorde de t’abattre

Pardonne-nous de porter les mains sur toi,

.

Nous espérons que grâce à ta force, tout prospérera autour de nous :

Champs, plants, animaux, hommes .

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Le pays où les vaches rentrent toutes seules à la maison

C’est en Roumanie, à l’autre extrémité de l’Europe. L’occasion nous a été donnée d’y passer quelques jours, non pas en touriste, mais en compagnie de quelques élus et de responsables d’associations. Cela se passait dans le nord-ouest du pays, entre Oradea et Cluj, dans une zone des Carpates appelée Monts Apuseni. Hébergement chez l’habitant, rencontres de familles, bien des aspects de ce petit voyage permettaient de vrais échanges.

La Roumanie, forte de ses 19 millions d’habitants est un récent membre de l’Union Européenne (1er janvier 2007) et tout indique: discours de la population, affichage important de l’aide européenne, …, que le pays attend beaucoup de cette Union. Le fait que la Roumanie soit maintenue hors de l’Espace Shengen est perçu avec frustration.

A t-on à apprendre de ce pays ? Très certainement. Le temps de la visite ne permet pas de faire des analyses fouillées, mais deux domaines au moins sont à analyser.
Le premier a trait à la prépondérance agricole de ce pays. 7 % du PIB (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/roumanie/presentation-de-la-roumanie/article/presentation-1120) sont issus du secteur primaire, mais ils sont assurés par 28 % de la population active. Voilà déjà une façon de souligner la dispersion de l’activité rurale et son faible rapport financier. Le village où nous étions en est l’exemple. 2500 habitants vivent dans cinq villages rattachés en une seule commune. Outre des habitations classiques, mais minoritaires en nombre, ces habitants disposent de 719 maisons-fermes, lieux où ils vivent en petites communautés de trois ou quatre générations et où ils élèvent des animaux de ferme. Oh, pas beaucoup ! Une vache et deux cochons en moyenne, puisque le recensement de 2011 permet de savoir que ces maisons-fermes abritent environ 800 bovins et 1100 cochons.

Dans la communauté, c’est la génération des grands-parents qui s’occupe des animaux. « Baba », la grand-mère se lève tôt pour traire ses deux vaches et à 6 heures, elle les conduit à la grande porte qui donne sur la rue. Les vaches iront toutes seules au pré où les garde un berger communal. A 20 h 30 (horaires du mois d’août !), les vaches reviennent toutes seules à la maison et chacune sait parfaitement retrouver son portail ouvert.

Campani-Roumanie retour des vaches à la maison

La maîtresse des lieux va traire à nouveau ses deux vaches. Le lait récolté est transformé sur place, tous les deux jours, en fromage; un fromage salé et un fromage peu salé. Le petit lait sert à nourrir les trois cochons.
Lorsqu’ils sont tués, leur viande est transformée en charcuterie. Il existe également un jardin où poussent des cornichons, des courgettes, des concombres, des tomates, des pommes de terre … et c’est encore la grand-mère qui s’en occupe. Elle trouve ensuite le temps de faire la cuisine et de concocter des gâteaux pour sa fille et son gendre et leurs deux enfants.Les restes de cuisine servent à nourrir une flopée de poules et leurs poussins.
Le verger comporte des noyers et des pruniers bien utiles pour faire l’eau de vie nationale.
Alors, à la maison, tout ce qui se mange; légumes, fruits, viande, charcuterie, lait, fromage et œufs provient du jardin. Et comme la production est supérieure aux besoins familiaux, la grand-mère se rend deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, au marché du chef-lieu, distant d’une quinzaine de kilomètres.

Stei-Roumanie Le marché bi-hebdomadaire


Si l’aïeule fait tout ce travail, c’est parce que ses enfants et les conjoints travaillent tous, souvent assez loin du village et ne rentrent qu’en fin de journée. Quant à leurs enfants, ils vont à l’école, primaire ou secondaire, eux aussi à plusieurs kilomètres du village. L’absence de ramassage scolaire organisé oblige à les y conduire.

Cette agriculture éclatée, au service de petites communautés, présente l’avantage d’être une agriculture de proximité. Les familles productrices, puis les citadins proches consomment des produits issus d’une zone agricole extrêmement voisine. Le souhait écologiste du « produisez et consommez local » trouve ici une réponse évidente. Au-delà des statistiques, il est difficile d’apprécier le « rendement économique » de ce travail. Cependant, il est aisé de constater que la grand-mère est liée à cette tâche du premier au dernier jour de l’année. Interrogée à ce sujet, elle a répondu: « Oui, mais j’aime ça ! ».
Les choses sont-elles si belles ? Non, il ne s’agit là que d’une agriculture pauvre, une agriculture de subsistance. Et dans le même temps, des agriculteurs européens (http://www.illustre.ch/Agriculture-Roumanie-viande-bio-domaine-agricole-roumain_141473_.html) ambitieux rachètent des terres et font de l’élevage ou de la culture de façon intensive.

Un autre aspect de la société roumaine a trait à l’importance et à l’influence de la religion, orthodoxe pour 90 % de la population. Lors de la période de dictature communiste, de très nombreuses églises et autres lieux de culte ont été détruits. A l’issue de la révolution de 1989, les popes ont repris leur place et se sont un peu livrés à une surenchère en matière de construction d’églises. Surenchère par toujours exempte d’orgueil afin d’avoir le plus bel édifice. La construction de ces églises se fait par appel à la générosité des fidèles, pauvres dans une grande majorité (le revenu mensuel moyen reste inférieur à 400 €) et il arrive que de trop vastes et ambitieux monuments ne soient jamais achevés.
Cette multiplication des églises fait que chaque village a son lieu de culte. Cinq églises dans les cinq villages de la commune où nous avons vécu quelques jours ! Le culte est assuré par les popes qui sont …. des fonctionnaires. L’entretien des églises est assuré par les communes. La cathédrale de Bucarest est construite avec l’aide primordiale de l’Etat. Les œuvres de l’Eglise sont financées par l’Etat, de façon plus ou moins importante, … Malgré l’inscription du terme dans la constitution roumaine, la Roumanie n’est pas un Etat laïc.

Campani-Roumanie Eglise aux champs


Ce ne sont là que deux impressions de voyage. Mais à elles deux, elles font de la Roumanie un pays fort différent de ceux de l’Europe occidentale. Et lorsque les tensions en vue de la maîtrise du pouvoir se seront un peu calmées, il sera intéressant de suivre l’évolution de la Roumanie dans ces domaines de l’agriculture et de la laïcité, ainsi que dans d’autres secteurs, comme l’environnement par exemple.