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De retour du cœur de l’Afrique

C’est au cœur de l’Afrique, parce que c’est au Tchad et que le Tchad est au centre de ce continent. C’est au cœur de l’Afrique parce que c’est au centre du Tchad, dans la province du Guéra, dans la ville de Mongo. Et c’est au cœur de l’Afrique parce que nous vivons ici la vie africaine dans son sens le plus traditionnel du terme.

Depuis N’Djamena, il nous faut parcourir plusieurs centaines de kilomètres, tout d’abord d’une bonne route à deux voies (et à péage !), ensuite d’une piste rouge. Cette piste est en voie de transformation pour devenir une route goudronnée et rejoindre l’est du pays. Une partie du marché a été allouée à la Société Egyptienne Arab Contractors, l’autre partie est concédée aux Chinois. Lesquels chinois sont également présents dans l’exploitation d’une grande raffinerie aux portes de la capitale.

Tchad – Troupeaux sur la piste

Ce long trajet se parcourt dans une immense plaine d’altitude comprise entre 300 et 450 mètres. Il faut atteindre Ngoura pour découvrir les premiers reliefs sous forme d’immenses tas de roches dorées, énormes et pansues, un peu comme si un titan avait ramassé tous les cailloux de la plaine pour en faire des tas et permettre l’agriculture. En fait d’agriculture, elle est rare, parfois des champs de sorgho, mais l’élevage s’y montre intensif. La plaine est parcourue quotidiennement par des milliers et des milliers de têtes de bétail, des bœufs, des zébus, des troupeaux de veaux, des moutons, des chèvres, des chameaux … Tout ce peuple, guidé par quelques hommes parfois à cheval, traverse le pays et se dirige vers la capitale et vers le Nigeria, commerce de la viande oblige. Lorsque se présente un marigot, une mare d’eau subsistant après la saison des pluies, les animaux se regroupent pour s’abreuver. La végétation est celle d’une savane avec des arbustes courts, épineux ou gras. Abtouyour est un spectaculaire piton rocheux, lisse comme le plat de la main et, paraît-il, impossible à escalader. Une source y naitrait au sommet occupé par des oiseaux de proie et recouvert de fiente blanche discernable d’en bas. Ce rocher a un caractère sacré dans la région.

Tchad-Abtouyour

Les villages sont nombreux, parfois au bord de la piste, parfois un peu à l’écart. A quelques kilomètres de Bokoro, il en est un très beau, parfaitement circulaire, constitué de cases totalement végétales, murs et toits. Parfois, sur le bord de la route, des hommes coupent de longues tiges de graminées séchées qu’ils utiliseront pour la réfection de leur toit. Sur cette même route, quelques très jeunes filles tendent une banderole en travers, faite de foulards colorés mis bout à bout. Elles cherchent à arrêter les automobiles pour solliciter un peu d’argent à l’occasion du mariage de l’ainée qui doit avoir 15 ou 16 ans.

Enfin, Mongo, la dixième ville du pays, environ 30000 habitants. Nous y arrivons de nuit, la ville est plongée dans l’obscurité, seuls de rares lampadaires éclairent les abords de bâtiments publics, l’hôpital, la gendarmerie, … Mongo dispose d’un lycée et d’un établissement universitaire, un Institut Polytechnique, depuis une dizaine d’années. Un nouveau marché attend son inauguration, le recours aux panneaux photovoltaïques pour l’éclairage est généreux. L’hôpital, quant à lui, respire la misère et la pauvreté. Les lits, en nombre insuffisant, sont obsolètes et rouillés, le laboratoire n’a plus d’appareil automatique pour faire de l’hématologie, les incinérateurs à déchets ne sont plus opérationnels. A la gendarmerie elle-même les choses ne sont pas mieux, de nombreux véhicules 4 X 4 attendent des réparations improbables en étant posés sur des caisses ou des cailloux de façon à ne pas laisser cuire les pneus au soleil.

Tchad-Mongo-Le nouveau marché

Mongo vit du commerce, Mongo vit de l’artisanat (pas celui des touristes !), Mongo vit de l’élevage. En ce moment Mongo récolte son mil et le bat de façon traditionnelle. C’est également le temps de l’arrachage des cacahuètes dont les ruminants mangent les fanes avec plaisir. Mongo n’a pratiquement pas d’électricité, sauf appel aux groupes électrogènes. L’essence et le gasoil s’y vendent à la bouteille ou au jerrycan sur le bord de la route, tout simplement parce qu’aucune source d’électricité ne peut alimenter des pompes. Le coût de la vie est élevé à Mongo, car les ONG y sont nombreuses, entre autres le PAM. Et actuellement la Croix-Rouge …

Le choléra rode autour de Mongo, de Bitkine et des villages avoisinants, comme il rode dans tout le Tchad, au Mali, au Cameroun, au Nigéria, au Niger ou ailleurs en Afrique Centrale et de l’Ouest. L’épidémie, au Tchad, marque le pas en ce moment, mais un rien peut la réveiller. Le choléra est une maladie de la pauvreté, une maladie due à l’absence d’eau propre et comestible, une maladie due à l’absence de latrines et de traitement des eaux usées, une maladie due à l’absence d’hygiène. Et c’est pour établir un Centre de Traitement du Choléra que la Croix-Rouge Tchadienne, la Croix-Rouge Française, la Croix-Rouge Canadienne se sont installées à Mongo. Cette maladie, et surtout les causes de son développement, résument mieux que n’importe quel discours le retard incommensurable de l’Afrique par rapport au reste du monde. Si le discours au droit à l’eau à un sens, celui de la gratuité de l’eau que l’on entend parfois n’en a aucun. Voici un petit village, Sarah Arab, et son puits de fabrication belge installé depuis quelques temps déjà. Il distribue une eau assez claire, mais qui contrôle régulièrement la qualité de cette eau ? Et qui finance ce contrôle ? Le débit de ce puits paraît hésitant, il se peut que des clapets ou des joints aient perdu leur étanchéité. Qui assurera la révision de cette pompe ? Et qui le financera ? Apporter de l’eau à un village, c’est une énorme responsabilité. Cela s’accompagne toujours de l’incitation à ne plus utiliser l’eau du marigot voisin. Encore faut-il pouvoir garantir la potabilité de l’eau que l’on préconise. Il n’est pas interdit de considérer que l’eau peut être gratuite, comme un don du ciel, mais il n’est pas possible d’envisager la gratuité du service de l’eau.
Le choléra s’attrape et se transmet de façon dramatiquement banale. Ici, c’est une mare qui est contaminée, et pourtant, seul point d’eau, longtemps les femmes y ont poursuivi leurs prélèvements pour la cuisine ou sont venues y laver leur linge, à coté des animaux qui s’hydrataient. Ici, c’est un homme qui en est décédé. La famille s’est retrouvée pour le lavage rituel de son corps avant inhumation et a été contaminée. Là, c’est une femme qui est morte; les voisines sont venues pour présenter leurs condoléances et se lamenter. Elles sont reparties contaminées.

Tchad-Sarah Arab-Femme au puits

C’est le même chauffeur qui a fait le trajet aller et le trajet retour et cela a permis quelques échanges. « Hadj », puisqu’il a fait le pèlerinage de La Mecque, il raconte avoir épousé sa seconde femme alors qu’elle n’avait pas quatorze ans. Elle lui a donné neuf enfants, dont trois sont décédés en bas âge. Rien ne prouve que les six autres atteindront l’âge adulte. Le taux de natalité est de 41 pour mille (13 pour mille en France), mais le taux de mortalité est de 16 pour mille (9 pour mille en France). L’espérance de vie, au Tchad, ne dépasse pas cinquante ans. Alors, il faut bien faire des enfants pour assurer sa descendance et entourer les anciens quand ils ne pourront plus travailler.

Comme ceux qui affirment froidement que l’électricité en Afrique n’est pas un droit, il en est qui rêvent d’une décroissance en Occident et d’un maintien de l’Afrique dans son état actuel. Elle serait le symbole d’une vie simple, frugale, économe en énergie, faite de partage et de solidarité … Actuellement, ce que l’on découvre est bien davantage le symbole du sous-développement, de la misère, de la pauvreté, de la maladie, de la souffrance, de la vie écourtée …

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