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Démocratie

La France et la guerre

Encore une fois, il nous faut revenir sur le thème de la guerre et de ses justifications puisque la France vient d’obtenir une résolution à l’ONU afin de préparer une intervention en République Centrafricaine. Comme de bien entendu, nos ministres de la Défense et des Affaires Etrangères se sont empressés de déclarer qu’il était hors de question que la France intervienne seule dans ce pays, que le Centrafrique n’est pas le Mali, etc … etc …
Attendons de voir la conformité des promesses avec la mise en œuvre des décisions.
Si nous reparlons de ce sujet, c’est parce que notre Ministre des Armées, Jean-Yves Le Drian, se répand dans la presse et sur les tribunes (à Blois récemment) et développe une théorie contestable en ce qui concerne la guerre et le rôle de la France.
Faisons tout d’abord justice d’une affirmation répétée tant par François Hollande que par son Ministre des Armées, selon laquelle la France aurait gagné une guerre au Mali. La France n’a rien gagné du tout au Mali !
Qu’il soit bien clair que les 500000 personnes déplacées par ce conflit le sont toujours et vivent dans des conditions misérables, soit dans leur propre pays, plus au sud dans la région de Bamako notamment, ou dans des camps de Mauritanie ou du Burkina Faso.
Qu’il soit bien clair que les combattants djihadistes n’ont pas été neutralisés, mais qu’ils ont simplement été repoussés plus ou moins loin, pas toujours hors des frontières du pays, d’où ils reviendront, d’où ils reviennent déjà pour fomenter troubles et attentats dans tout le nord du pays (attentats à Gao, destruction d’un pont sur le Niger, …).
Qu’il soit bien clair que les revendications des touaregs (justifiées ou non, là n’est pas aujourd’hui la question !) en faveur d’une autonomie de leur région n’ont pas obtenu le moindre début de réponse.
Qu’ils soit bien clair que cette insuffisance de réponse entraîne des affrontements ethniques qui ne demandent qu’à se développer au fur et à mesure que la situation se dégradera.
Enfin, qu’il soit bien clair que l’armée française, loin de se retirer, reste en place à l’échelle de plus de 3000 combattants sur place dont certains qui étaient rentrés en France sont déjà repartis.
Si c’est cela que l’on appelle « gagner la guerre » !

Réfugiés maliens au Burkina (C)AFP

Alors, que nous dit Jean-Yves Le Drian ? Deux choses.
La France ne fait la guerre que « si la sécurité de la France, de la nation, du pays, est mise en danger ».
La France ne fait la guerre que « pour défendre des valeurs dont elle est héritière depuis la Révolution Française ».
Associant quasi indissolublement les deux affirmations, Jean-Yves Le Drian en vient à affirmer que « la guerre et la République sont concomitantes ». On aurait pu penser qu’étaient concomitantes la guerre et la naissance de la République. On verra qu’il n’en est rien: il s’agit bien de la guerre et de la République aujourd’hui.

La guerre, la sécurité et la défense des valeurs lui sont indissociables: le terrorisme est explicitement visé.
Il reste cependant à expliquer en quoi « laisser les djihadistes mener leurs opérations pour s’emparer de l’Etat malien touche à notre propre sécurité ». Outre qu’il n’a jamais été démontré que l’Etat malien était visé par les djihadistes, alors même qu’il était totalement déliquescent par les fautes d’un Capitaine putschiste (depuis nommé général !), il est difficilement compréhensible que notre sécurité ait été en jeu. Sauf à considérer que ce sont nos intérêts qui aient été en danger, ce qui n’est, on l’admettra, pas tout à fait la même chose.
Par ailleurs, comment imaginer que la sécurité de la seule France ait été compromise par l’action des djihadistes au Mali ? Parce que nous sommes l’ancien colonisateur ? C’est difficile à admettre, ce qui signifie que l’éventuel danger concerne tout autant la France que ses voisins européens. Alors pourquoi se sentir concerné au point d’intervenir seul au Mali, après avoir saboté des négociations, après avoir snobé la Communauté Européenne (avant de lui demander sa participation !)?

Le raisonnement est aussi contestable en ce qui concerne le volet des « valeurs ». « Les images des victimes des tribunaux islamiques, les actes commis, nous amènent à défendre une certaine conception du droit ». Le propos va encore plus loin lorsqu’il est question de la Syrie. « Nous assistons à des atrocités et l’arme chimique remet en cause des traités qui traduisent les fondamentaux universels auxquels la France est très attachée. S’ils ne sont pas respectés, elle doit jouer le rôle de gardienne des valeurs collectives du monde. Son histoire porte la France à dire, à interdire ».

Il y a quelque chose de fabuleusement hégémonique dans cette affirmation ! Les valeurs sont jugées universelles et c’est la France qui se donne le droit de dire, d’interdire et… de punir ! Au nom de quoi ? Au nom de Valmy (bataille fondatrice de la République), au nom de 1940 (qui exige le ressaisissement de la France), au nom sans doute de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (à la rédaction de laquelle la France a participé), enfin au nom de traités comme l’interdiction des gaz de combat … Tout cela est bien vrai, mais sont-ce là des justifications suffisantes ?

NON, et pour deux raisons.
La première est que les dites valeurs universelles ne le sont pas tant que ça. Notre ethnocentrisme les appelle ainsi, mais elles sont quotidiennement contestées par de très, très, nombreux pays d’Asie, d’Afrique, d’Océanie, voire d’Amérique Latine. Le fait de les avoir souvent rédigées après la seconde guerre mondiale, laquelle ne faisait que reconduire la première avec encore plus d’horreur et d’impérialisme, ne suffit pas, aux yeux des peuples et des dirigeants des pays en développement, pour qu’elles soient qualifiées d’universelles. Notre effroi d’alors et notre honte n’étaient pas les leurs !

La seconde est que si nous voulons tant leur attribuer un statut d’universalité, encore faudrait-il se mettre à plusieurs. Les temps ont changé, la France n’a plus rien à exprimer à titre personnel en ce domaine. Elle a sans doute à sensibiliser ses voisins européens, ses amis d’outre Atlantique, pour que tous ensemble, sous l’égide des grands organismes que sont l’ONU et tous ses satellites (UNICEF, UNESCO, PAM, HCR, …) les valeurs dites universelles le deviennent réellement et pour que le reste du monde commence à y croire.

Ajoutons qu’il existe une troisième raison pour que les belles valeurs universelles ne soient pas la « propriété » d’un seul pays: elles sont trop souvent bafouées !Le dramatique problème des immigrants qui traversent (qui ne traversent pas !) la Méditerranée vient à point pour rappeler que la guerre ne sert qu’à produire des victimes et des misères. Et que si les négociations venaient à bout des conflits et permettaient que s’installent les conditions d’un développement économique réel, il y aurait moins de réfugiés.
Les populations du Nord-Mali attendent, malgré la « fin » de la guerre que l’on vienne un tant soit peu les aider. Elles attendront longtemps encore et cela fera le lit de nouveaux djihadistes.

Les négociations ! Sur ce blog, on a un tout petit peu de fierté à s’être opposé à une intervention en Syrie et à prôner des négociations. La France, sur cette question, a été particulièrement mise en minorité et nous n’irons pas plus loin dans les qualificatifs. Les explications sont tout simplement à rechercher dans cette volonté de nos ministres à vouloir que la France dise, interdise et … punisse, au risque de se retrouver toute seule ! Et qu’on ne nous ressorte pas que sa détermination a vouloir faire des « frappes » a pesé dans la décision de Poutine. Ou alors, ce n’est pas pour le motif invoqué ! Les troupes de Bachar El Assad sont probablement allées « trop loin ». Les « renseignements » allemands ont parlé d’erreur de dosage ! Une frappe française, européenne, ou américaine aurait probablement entraîné des ripostes incontrôlables du dictateur syrien, ajoutant la guerre à la guerre. Si les menaces de frappes ont eu un effet, c’est bien à leur corps défendant !
Rien n’est acquis, rien n’est définitif, mais les gaz de combat sont en cours de destruction, la structure chargée de ce travail, l’OIAC, reçoit le Nobel de la Paix. Il faut désormais que toutes les parties se mettent autour de la table et discutent à minima d’un cessez-le-feu. Pour cela, nos ministres, Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius auraient mieux à faire que de donner des leçons en Centrafrique ou au Mali, ou de construire la « première armée d’Europe, celle qui demain sera à même de mener deux opérations comme le Mali en même temps ». Ils doivent exiger du Conseil National Syrien, comme de la Coalition Nationale des Forces de l’Opposition et de la Révolution qu’il s’assoient à la table de négociations. le but n’étant pas de reconnaître quelque droit à Bachar El Assad, mais de mettre en place un cessez-le-feu.

Jean-Yves Le Drian (C)Fred Tanneau/AFP

Dans le tout dernier Hors-Série du « Monde », « 1914-2014: un siècle de guerre », où nous avons lu les déclarations contestables de Jean-Yves Le Drian, se trouve également une analyse des différentes écoles de pensée en matière de guerre et de sécurité. Il y a les « réalistes », les « idéalistes », les « transnationalistes », les « constructivistes » et les « critiques ». Il en ressort que le ministre des Armées est un « réaliste », lui qui privilégie la sécurité nationale et se porte garant de la sécurité internationale !!
Thermopyles se verrait plutôt « transnationaliste », dans un système où les Etats et les sociétés civiles cohabitent dans le système mondial, au nom d’une sécurité globale. L’Etat n’a plus le monopole des affaires diplomatiques dans un monde interdépendant. (Descriptions extraites de ce N° Hors Série)
Avec la faiblesse de croire que cette attitude est plus conforme et plus progressiste pour un homme de gauche ! Et qu’il est temps de repenser ce que signifie l’universalité des valeurs et la façon de les défendre.