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Libye

Sauver Benghazi pour mieux punir Syrte,

défendre les populations civiles à Benghazi avec un mandat à peu près clair de l’ONU pour mieux violer ce mandat à Syrte et y faire la chasse à Khadafi, invoquer la démocratie et la responsabilité de l’Occident à Benghazi pour mieux s’en moquer et ne pas les respecter à Syrte dans le but de se venger de celui que l’on a appelé un tyran et qui venait camper (au sens propre) sous les fenêtres des chefs d’état occidentaux. Est-ce là le bilan de la campagne de Libye ?

Guerre en Libye, 20 mars 2011 (DR)

Et qu’avons-nous gagné ? Rien, si ce n’est probablement un désastre.

Un désastre en raison de la réaction (de la contre-révolution !!) islamiste. Comme il était prévisible, les révoltes arabes donnent tour à tour le pouvoir aux islamistes et c’est une vue de l’esprit que de croire qu’Ennahda, en Tunisie, sera respectueux de la démocratie, de la place de la femme, du droit de croire ou de ne pas croire. Des déclarations inquiétantes ont déjà été faites en ce sens, qui ont été démenties par les nouveaux hommes forts qui ont besoin de la « reconnaissance » occidentale.
En Libye, point n’est besoin de s’étendre: la « collaboration » entre les factions se fera sur le dos des droits élémentaires.
Quant à l’Egypte, tout s’y prépare pour que les Frères Musulmans et les salafistes se partagent le pouvoir.
Ce qui n’était pas une révolution cède la place à la réaction la plus classique. Il fallait s’y attendre et seuls les journalistes romantiques pouvaient se tromper et nous tromper en nous gavant d’images de madones au drapeau ou de lanceurs de grenade et en nous faisant vivre les évènements en « direct live ». Pour mémoire, il en est ainsi de toutes les « révolutions »: Mai 68 s’est achevé sur les Champs par une monstre manif de la droite et le retour de l’essence dans les pompes, Obama encensé par les chroniqueurs n’est plus désormais qu’un velléitaire, … Les révoltes arabes suivent le même chemin parce que les forces de la jeunesse, celles qui ont su si bien utiliser les réseaux sociaux et internet, ne revendiquent pas tant un fonctionnement démocratique de la société, mais avant tout la LIBERTE, la liberté de travailler, de gagner sa vie, de discuter, de consommer, de se déplacer, de voyager.
Et parce que les forces de la contestation, quoique souvent riches culturellement, ne sont pas politisées. Les militants aguerris se trouvent dans des structures qui attendent cette alternative depuis des décennies et qui ont su réagir très rapidement: Ennahda ou les Frères Musulmans et la kyrielle d’institutions sociales et humanitaires qu’ils ont su mettre en place et animer. Quant aux intellectuels de gauche, aussi méritant soient-ils, ils n’ont bien souvent aucune structure, aucun parti historique, aucun syndicat derrière eux. Et ce ne sont pas eux qui peuvent promettre que demain, la télévision sera gratuite !

Un désastre à cause du « deux poids, deux mesures ». Parce qu’il n’y a pas à se venger d’humiliations qu’aurait pu infliger le président Assad aux gouvernements occidentaux, aucune intervention n’est prévue pour mettre un terme au calvaire de son peuple. Certes Assad a sans doute raison: il sait depuis toujours que céder la place, c’est laisser entrer, ici aussi, l’islamisme politique. Alors, pour sauver ce qui peut encore l’être, tout comme ce qui aurait pu être imaginé en Libye, n’est-il pas possible d’exercer d’impitoyables pressions (refus de tous produits en provenance de Syrie, fermeture de tous les comptes, boycott de toutes les entreprises, exclusion de toutes les institutions internationales, …?
Il restera dans l’esprit des peuples du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Afrique la terrible explication de ce « deux poids, deux mesures »: il s’agissait, en Libye, de faire main basse sur les richesses.

Un désastre à cause du transfert des risques de conflit. Les Touaregs que l’on a, bien imprudemment, traités de mercenaires alors qu’il ne s’agissait que de tribus fidèles à la tribu des Khadafi (et cette sorte de fidélité ne se rompt que par la mort) rentrent au pays les bras chargés d’armes. D’autres combattants, ceux d’AQMI, cherchent à occuper le Nord-Mali, le Nord-Niger, les franges de la Mauritanie pour y installer leur base africaine. Eux aussi ont les bras chargés d’armes de toutes sortes. Afin de déloger AQMI de leur territoire, les Touaregs ne leur déclarent ni plus ni moins que la guerre, ainsi qu’à l’armée malienne dont ils considèrent qu’elle a des « connivences » avec les terroristes. Et tout cela moins d’un an avant les élections présidentielles au Mali (avril-mai 2012), l’un des rares pays africains à être une démocratie quasi exemplaire ! Au-delà du Mali, ce sont le Niger, l’Algérie et la Mauritanie qui ne manqueront pas d’être concernés par ce nouveau conflit.

Un désastre à cause de la mort de nos relations avec l’Afrique. D’aucuns diront « Tant mieux, c’est la fin de la Françafrique ». Mais le bilan est plus triste que cela parce que les relations entre notre pays et les pays africains vont bien au-delà de ces relations de pouvoirs et d’affaires.
Il y avait déjà les questions de l’émigration des Africains et de leur immigration rejetée chez nous. Il y a maintenant un sentiment de mépris de la part des occidentaux et d’humiliation pour les Africains, et ceci pour une raison essentielle. La Libye a été le théâtre d’une intervention militaire, et son chef d’état a été assassiné par des armées occidentales (ou sous couvert de celles-ci) sans l’accord du Continent africain. Le Continent africain a été bafoué, son avis n’a jamais été pris en considération, il n’a même jamais été sollicité. Certes, cet avis était peu audible, entaché qu’il était pas des « solidarités » acquises avec beaucoup d’argent, beaucoup de contrats. Il n’empêche, Khadafi a été l’un des rares à savoir parler de la Nation Africaine. Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud, a tenté, à plusieurs reprises, d’ouvrir des pourparlers (et non des négociations !) entre les forces en présence. En avez-vous seulement entendu parler ? Il a dénoncé la primauté accordée à l’OTAN (et donc à Paris, Londres et Washington) sur l’ONU pour « gérer » l’affaire libyenne. En avez-vous eu connaissance ?
La guerre libyenne s’achève sur l’humiliation de toute l’Afrique (http://www.journaldumali.com/article.php?aid=3772), du Maghreb au Proche-Orient et à l’Afrique du Sud, en passant pas l’Afrique de l’Ouest. En date du 18 octobre dernier, l’intellectuel et historien Achille Mbembe affirmait dans « Le Monde » que « la France n’est plus notre soleil ». Le conflit libyen et son traitement spécifiquement français, avec la complicité de quasi toutes les forces politiques, et notamment celles de gauche, n’ont fait qu’assombrir un peu plus notre « soleil ».

Enfin, pour terminer, un probable désastre à cause d’une possible partition de la Libye. On ne le dira jamais assez, la Libye est un pays de tribus que Khadafi avait réussi à rassembler sur un objectif commun, au prix, c’est certain, de violences et de crimes impardonnables. Désormais, ceux de Benghazi s’opposent et s’opposeront à ceux de Tripoli ou de Syrte ou de Misrata et vice-versa. Les territoires, les richesses, le pétrole, tout fera l’objet de conflits et de partages violents et la Libye d’aujourd’hui risque la partition en deux, voire trois, entités non viables.

Oui, un désastre et aucun bénéfice, si ce n’est pour quelques pétroliers …

PS: chroniqueuse au « Monde », Caroline Fourest a un vrai beau franc-parler et ses analyses sont d’une justesse et d’une précision dignes du scalpel. Il faut la lire sur son blog (http://carolinefourest.wordpress.com/) et sur le site de l’association-revue dont elle fait partie: ProChoix (http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2006/12/19/1061-presentation-de-la-revue).
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Droits de l'homme

Niger, Tunisie, Egypte nous interpellent

Depuis le début de l’année, des événements tous plus violents les uns que les autres s’enchaînent et interpellent vigoureusement la France, et au-delà l’Europe, voire tout ce qu’il est coutumier d’appeler le monde occidental.

Le Niger, tout d’abord, avec l’enlèvement et la mort des deux otages Vincent Delory et Antoine de Léocour. Nous en avons parlé ici (Le-Niger-la-France-et-les-otages). Indubitablement, leur mort est consécutive à l’engagement des forces armées nigériennes et françaises pour arrêter le convoi d’AQMI ou de ses “fournisseurs” avant qu’il ne “disparaisse” au Mali. La mort des deux jeunes gens n’est pas une bavure, c’est la conséquence d’un acte de guerre au cours duquel deux adversaires se sont affrontés. Avec cet événement, nous avons assisté à un virage brutal de l’attitude française envers les prises d’otages. Il n’est désormais plus question de laisser AQMI kidnapper ou faire kidnapper des français sans réagir. Il doit être mis fin au lucratif négoce des rançons qui permet à Al Quaida de s’équiper en armes et en matériel et de financer ses intermédiaires. Les activistes ont pourtant déjà remporté une victoire: les européens sont partis, y compris et surtout ceux qui apportaient une aide humanitaire au pays, au travers de multiples ONG. Les touristes ne viendront plus avant longtemps, alors que certains villages ne vivaient que de ce tourisme équitable. Il est probable que désormais la situation évolue vers des attentats, comme tout dernièrement en Mauritanie avec la destruction d’un véhicule chargé d’explosifs.

Quel intérêt avons-nous à être au Niger et à y rester, protégés par une force militaire ? AREVA, notre quasi seule présence économique dans ce pays, celle de l’extraction de l’uranium (http://www.temoust.org/uranium-le-marche-va-t-il-se,13964). La question n’est pas celle de notre programme nucléaire, car même s’il devait être freiné ou interrompu, nous aurions besoin d’uranium (d’autres pays aussi à qui nous le revendons sous forme de concentré). Désormais, son extraction se fera sous la protection de l’armée !

Mines d’uranium au Niger (DR)

Il est certain (quoi qu’en pense Ecologie-Les Verts) qu’il n’est pas possible de privilégier la négociation par rapport à l’usage de la force. Car AQMI ne veut pas négocier, ne cherche même pas à négocier, il ne veut qu’éradiquer les occidentaux du Sahel, parce que ce sont des infidèles. Et pour cela, il enrôle les jeunes sans emploi et les assomme d’une idéologie basique. Comment contrer cette dangereuse évolution ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? On rejoint là le débat récurrent des relations entre la France et l’Afrique. La France a remis 3 millions d’euros d’aide budgétaire au Niger en début d’année. Ce n’est pas suffisant. C’est AREVA qui doit faire son aggiornamento, mettre ses pratiques en accord avec ses mots (http://www.areva.com/FR/notreoffre-412/prospection-et-extraction-d-uranium-pour-un-approvisionnement-durable.html), embaucher des jeunes maintenant que tous les expats sont partis, maintenant que tous les humanitaires sont partis, les former, leur apprendre les techniques d’assainissement des villes et villages, la viabilité des routes, les former pour distribuer l’aide alimentaire, pour trouver de l’eau, créer un jardin, faire un peu d’agriculture, satisfaire la faim des enfants, reconstituer les troupeaux … Et puis investir dans la protection de l’environnement (neutralisation de ses produits d’extraction) et enfin verser à l’état nigérien une juste compensation de la plus-value opérée sur le bien mis à sa disposition: la terre du Niger. Est-ce rêver ?

Pour terminer sur le Niger, notons le calme du 1er tour des élections législatives et présidentielle et saluons la promesse faîte et tenue par les militaires: rendre le pouvoir aux civils, peut-être au peuple …

La Tunisie ensuite, au sujet de laquelle nous avons déjà émis quelques commentaires (Tunisie-Egypte-…). Toutes les 48 heures, le comportement du gouvernement français revient sur le devant de la scène, alimenté par les centaines de commentaires des “révolutionnaires de la dernière heure”. (« Depuis trois semaines, une effervescence médiatique sans précédent rattrape deux décennies de mutisme, de mensonges et d’ignorance » – Myriam Marzouki, le 23/01/2011).

Prenons le récent exemple de MAM. Des colonnes entières de journaux et des centaines de commentaires Internet lui reprochent d’avoir utilisé l’avion d’un industriel proche de Ben Ali. C’est là une instrumentalisation de la révolte tunisienne à des fins strictement internes à la politique française. Sur l’affaire, effectivement entre Noël et le Jour de l’An, les manifestations étaient encore circonscrites loin de Tunis, même si elles commençaient à prendre ampleur et signification. Avec MAM, des milliers de Français (sans doute certains commentateurs d’aujourd’hui …) prenaient des vacances à Hammamet ou à Djerba.

Aucun de ces commentateurs n’a posé le vrai problème. Si elle avait utilisé l’avion de cet industriel six mois plus tôt, en août, cela aurait-il été normal ? Si cet avion appartenait à un industriel d’opposition, cela aurait-il été normal ? Apparemment oui, pour tous ces commentateurs ! Et pourtant c’est NON: il s’agit d’un conflit d’intérêt, et en tant que tel c’est inacceptable. Là est la vraie faute de MAM, comme celle de Sarkozy avec le yacht de Bolloré.

Et maintenant l’Egypte qui sombre progressivement dans le chaos.

Très probablement des foules sont manipulées pour défendre Moubarak. Mais il est fondamental de comprendre que ce pays de 80 millions d’habitants n’est pas la Tunisie. Il existe deux Egypte aujourd’hui. Celle des jeunes, nourris à l’Internet (Facebook, Twitter, les blogs …), assez cultivée et très contemporaine, ouverte sur l’occident, avide de connaître elle aussi la liberté et la richesse qu’affiche cet autre monde. Et puis celle des pauvres, souvent analphabètes, soumise, qui gagne chaque jour à peine ce qu’il faut pour manger trois  »falafels » le soir: cette Egypte-là ne peut que ressentir le vertige et la peur à l’idée de perdre son Raïs. Ce n’est pas une raison pour la mépriser. Les policiers eux-mêmes en font partie (au contraire de l’armée), leurs salaires sont miséreux (ce qui explique leur quête constante d’un bakchich) et il n’est pas besoin de les pousser beaucoup pour aller contre-manifester.

People demonstrate in support of the Egyptian people’s protests against the regime of President Hosni Mubarak in front of the Egyptian consulate in Chicago on January 29, 2011. The embattled Mubarak tapped Egypt’s military intelligence chief as his first-ever vice president and named a new premier as a mass revolt against his autocratic rule raged into a fifth day. Fresh riots in several cities left three protesters dead in Cairo and three police in the Sinai town of Rafah, bringing to at least 51 the number of people killed nationwide since the angry protests first erupted on January 25. AFP PHOTO / Mira OBERMAN

Qu’on ne se méprenne pas sur les convictions de ce blog très souvent exprimées dans les nombreux posts consacrés à l’Egypte: 30 ans de pouvoir autocratique et de régime “spécial”, c’est trop !

Des hommes essaient de comprendre et d’expliquer qu’il faut sans doute passer par des phases de transition correctement négociées (contenu, échéance). Boutros Boutros-Ghali est de ceux-là. Mais il est copte … il ne sera même pas écouté. D’autres sont trop seuls, comme El Baradei, et s’appuient sur des forces “obscures”. Enfin, il en est, sans doute, qui attendent que le fruit mur tombe de l’arbre …

Comment devons-nous nous comporter ? Quelle attitude prendre ? Que faut-il dire ?

Les mots définitifs emplissent les colonnes des journaux: “Il faut appeler une dictature, dictature”, “les intellectuels français fustigent le silence de Paris”, “L’Union de la méditerranée: l’échec de Sarkozy”, etc …

Peut-on dénoncer une “dictature” (Tunisie ou Egypte) quand plusieurs millions de français y ont pris leurs vacances depuis des années: 600 000 français par an dans chaque pays ?

Comment peut-on conserver des liens avec ces pays tout en faisant comprendre que des progrès doivent être accomplis en matière de libertés individuelles, de statut de la femme, de liberté de la presse, … ?

Comment concilier ces impératifs avec la réalpolitik ? Pour la Tunisie, l’Egypte, comme pour le Niger, on peut aussi cesser toutes relations commerciales et se réfugier dans la posture. Cela ne changera rien et d’autres pays feront les affaires que nous ne ferons plus. La Chine, par exemple, ne sera pas regardante sur la démocratie … elle ne connaît pas !! Et les mêmes commentateurs viendront demain reprocher à un autre gouvernement (voire au même) le déclin de la France. La voie est étroite entre le silence complice et l’ingérence inacceptable. La presse a un rôle à jouer. Mais elle doit le jouer en permanence et non seulement lorsque le maelström médiatique le lui impose. Ensuite, les hommes et femmes politiques… s’ils renoncent aux privilèges et aux conflits d’intérêt.

De même, dire et écrire que l’Union pour la Méditerranée est un échec à cause des conditions de sa création avec des états insuffisamment démocratiques est une fondamentale erreur. Cela veut d’abord dire qu’elle n’a, même actuellement, aucun droit à exister. Et puis, avec de tels principes, l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale, l’UNICEF, l’UNESCO, tout cela n’aurait pas le droit d’exister. En Europe, l’Espagne n’a certes été intégrée qu’en 1985 parce que la CEE voulait qu’elle évolue vers un régime démocratique. Cependant, dès 1970, un accord préférentiel était signé pour servir de cadre aux échanges commerciaux entre les deux parties. Le dialogue a toujours des vertus, y compris avec un partenaire peu démocratique. Le tout est de ne pas remplacer le dialogue par la complaisance.

Si l’UPM est actuellement un échec, c’est bien à cause des rivalités entre pays et à cause du conflit israélo-palestinien. Et si les révoltes actuelles ne recouvrent pas le Maghreb et le Proche-Orient d’un voile de fermeture et de repli sur soi, alors oui, l’Union pour la Méditerranée sera à réinventer. Car ce n’est que par elle que pourront être abordées des questions de paix, de développement, de croissance et d’environnement. L’idée ne doit pas être si mauvaise, puisque des intellectuels africains nous la reprochent en considérant qu’elle est tournée contre eux et qu’elle devrait être remplacée par un plus large accord Europe-Méditerranée-Afrique.

En attendant, avec vigilance et fermeté, ici et maintenant, il nous faut refonder la démocratie.

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Immigration

Les migrants du Mali

Sous le titre général de « Bamako World Wide », Carine Fouteau a publié récemment sur Médiapart une série d’articles consacrée aux migrations maliennes et surtout au dramatique devenir de ces migrants.

En quelques mots, le cadre est tracé: la faiblesse des revenus (36% des habitants vivent avec moins de 1 dollar par jour), ajoutée aux aléas du climat et à l’explosion démographique (13,7 M d’habitants aujourd’hui, 40 millions en 2050 ??) fait que les maliens, déjà traditionnellement enclins à la migration, partent encore plus nombreux.

C’est ainsi que les commerçants préfèrent le voyage sud-sud, notamment avec Dubaï ou l’Arabie Saoudite. Un bilan de la BCEAO indiquerait que la part des exportations vers l’Europe serait tombée de 83,5% en 2002 à 5,6% en 2006. Que valent ces chiffres stupéfiants qui n’ont de valeur que s’ils sont rapportés au volume d’affaires. Le dernier rapport connu des comptes extérieurs du Mali (09/04/2010) précise que les exportations ont atteint 935 milliards de Francs CFA en 2008, dont 70% pour l’or, 10% pour le coton et 5,5% pour les animaux vivants. Les zones destinataires de ces exportations étaient l’Afrique pour 86,7%, l’Asie pour 7% et l’Europe pour 5%. D’où il ressort que des chiffres incomplets ne peuvent rien signifier ! Quant au reste du commerce dont parle l’article, il relève avant tout des importations. D’une part sous la forme d’une activité qui échappe à tout contrôle et à toute réglementation, aussi bien à la sortie d’Arabie Saoudite qu’à l’entrée au Mali. D’autre part, dans le cadre d’un commerce unilatéral consistant en l’importation de matériels ou de pièces détachées d’origine chinoise via Dubaï ou Charjah. Cette “mondialisation par le bas” comme l’appelle l’auteure n’est en fait qu’un aspect de la mondialisation tout court.

L’article suivant aborde le choix des étudiants qui préfèrent poursuivre leurs études aux USA plutôt qu’en France. A n’en pas douter, il s’agit là de la conséquence de deux mouvements. Le premier est la volonté des élites africaines issues des classes supérieures de s’exprimer en anglais et de s’orienter vers des professions dites d’avenir: informatique, économie, … Le second est à chercher dans les très mauvaises conditions d’attribution des visas par la France, conditions qui ne peuvent que jouer un rôle d’épouvantail. « L’état des lieux des relations diplomatiques entre le Mali et la France est désastreux ». Et la dernière incursion de l’armée française au Nord Mali, sans en avoir prévenu ATT et sans son accord, ne va pas arranger les choses.

De tels faits sont bien plus graves qu’un discours encore une fois cité dans ces articles, celui de Dakar. Il a pu certes heurter quelques intellectuels, sans doute avec raison. Mais il est impensable d’accuser ce discours d’être raciste. Il n’est en fait qu’une imagerie datée, traditionnelle et paternaliste de l’Afrique. C’est un discours vieux de plusieurs dizaines d’années. C’est en fait une manière de dire que l’Afrique n’a pas pris le train de la mondialisation. Pourtant, d’autres tiennent, sans s’en rendre compte, le même discours. A commencer par les écolos radicaux, tenant de le décroissance, qui veulent vouer l’Afrique à un développement agricole auto-centré. A continuer par les milliers d’associations charitables qui consacrent leur quelques sous, en toute bonne foi, à l’apprentissage de la langue française, à la récupération et au recyclage de matières diverses, bref à l’acceptation d’une vie faite de misère et de soumission …

La série des articles s’oriente alors vers le descriptif apocalyptique des conditions d’expulsion des maliens, des ghanéens, des tchadiens ou nigériens depuis la Libye. Le postulat de départ est qu’ainsi la Libye répond favorablement aux attentes des pays européens avec lesquels elle a normalisé ses relations.Elle se comporte comme un “chien de garde” de l’Europe.Tout comme l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ou la Mauritanie.

Outre que cette affirmation très “politique” fait peu de cas de l’identité de chacun de ces pays, elle s’appuie sur une affirmation “erronée”. Tous les maliens expulsés de Libye déclarent s’y être rendus pour y travailler ! Ont-ils le choix de dire autre chose lorsqu’ils sont emprisonnés et battus ? La vérité est qu’ils sont en Libye (ou en Algérie, ou au Maroc, …) pour rejoindre l’Eldorado européen. Et qu’ils sont des centaines chaque jour à grossir le flux. Ils ne viennent pas pour travailler en Libye, car cela relève d’une insupportable soumission envers les arabes. La migration africaine des maliens se fait avant tout vers le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Burkina Faso, … elle ne se fait pas vers le Maghreb.

Migrants maliens de retour de Libye (C)France24

En lieu et place de développer une thèse fausse, il serait sans doute plus constructif de comprendre l’émigration des Africains, de comprendre la difficulté à les recevoir de la part de pays comme le Niger ou le Maghreb, de favoriser une meilleure circulation des gens, des richesses et des talents là-bas comme ici chez nous.

Très curieusement, et comme en écho avec la volonté des étudiants maliens d’aller poursuivre leurs études aux Etats-Unis, la série d’articles s’achève par l’expulsion d’une malienne depuis l’état de l’Ohio. Les titres de la presse d’aujourd’hui nous apprennent que les républicains veulent faire de la lutte contre l’émigration leur prochain cheval de bataille. Les hispaniques sont visés en priorité, certes, mais un jour viendra où les noirs non américains seront inquiétés à leur tour.

En conclusion, la série est intéressante, très intéressante, mais trop souvent construites sur des idées préconçues, alimentant la désormais traditionnelle opposition entre tenants d’un contrôle dur de l’immigration et partisans d’un humanisme qui ne solutionne rien.

Ce sont 200 nouveaux émigrants qui arrivent chaque jour à Agadès, au Niger. Certains restent, certains repartent, certains reviennent, certains disparaissent, … Les passeurs font leurs affaires et les bandits de tous ordres ont organisé le “marché”.

Le Niger, c’est aussi le pays où Michel Germaneau a été capturé et où il est probablement mort de maladie et de grand âge. L’équipée franco-mauritanienne, à visée de reconnaissance, a donné l’occasion aux ravisseurs d’annoncer une exécution pour venger cette expédition. Il est sans doute plus facile d’annoncer une “vengeance” que de reconnaître que l’otage est décédé de mauvais soins ou d’absence de soins dans les mains de ses ravisseurs. A l’appui de cette thèse, l’absence de revendication publique et officielle et l’ignorance complète dans laquelle se trouvaient les “intermédiaires négociateurs” maliens.

Alors, faire la guerre à AQMI ne résoudra rien. Et Nicolas Sarkozy serait mieux inspiré de faire la guerre à la pauvreté en Afrique, de faire la guerre pour le développement de l’Afrique. C’est facile (ou presque). Il lui suffit de réduire la dette de ces pays, de donner sa part du PIB promises dans le cadre du Millénaire pour le Développement, d’appeler l’Europe à ses cotés, de favoriser des initiatives locales d’associations ou d’entrepreneurs locaux et de confier le contrôle de ces actions à des organismes internationaux comme l’UNESCO, l’UNICEF, la FAO, le BIT, l’OMS, l’ONU, et d’autres encore, en fonction de la nature du projet.

Additif du 10 janvier 2011,
Compte tenu des commentaires exprimés sur ce post et relatifs à la disparition de Michel Germaneau, je ne peux manquer de signaler cette info de “Marianne » (http://www.marianne2.fr/blogsecretdefense/AQMI-l-otage-Michel-Germaneau-est-mort-de-maladie-faute-de-medicaments_a93.html) publiée ce jour.

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Immigration

Les frontières de la Mauritanie

Pour se défendre d’AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique), la Mauritanie met en place et multiplie les postes frontière au sud avec le Sénégal et le Mali, à l’est avec le Mali et bientôt au nord avec l’Algérie et le Sahara Occidental.

Face au développement de trafics en tous genres (armes et drogues: Cocaïne-à-Gao), face aux raids et enlèvements perpétrés par les membres d’AQMI, la réaction du gouvernement mauritanien est compréhensible. Mais les modalités en sont-elles les meilleures ? La Mauritanie, comme le nord du Mali voisin, comme le Niger, comme le nord du Tchad, tout cet ensemble forme un territoire de nomades, ou à tout le moins de populations pour lesquelles les frontières héritées de la colonisation, voici cinquante ans, n’ont pas grande signification. La libre circulation des hommes y est depuis toujours une réalité.

Mauritanie (C)RFI

Et rajouter des postes frontière avec des douaniers en armes et des soldats qui auront pour mission de contrôler et de ficher tous les étrangers de passage, voire de mettre un terme à l’émigration clandestine, ne sera pas chose facile à faire comprendre et à faire accepter. Et que vont devenir les “illégaux” déjà installés dans le pays ? Par exemple, il existe plusieurs millions de maliens qui vivent et travaillent en Afrique, ailleurs que dans leur pays et tous ne sont pas des ressortissants “légaux”, loin de là !

De façon plus inquiétante, le ministre mauritanien de la défense a déclaré: « nous sommes prêts à tout sacrifier pour la sécurité, c’est le défi numéro un, devant le développement, devant la démocratie ». Faut-il en déduire que même le développement, même la démocratie, seront sacrifiés sur l’autel de la sécurité ? Pour sûr, AQMI pourra se flatter d’avoir gagné !

La célébration des cinquantenaires (Cinquante-ans-d-indépendances] ne pourrait-elle être l’occasion de la création d’une vraie brigade internationale (entre tous les états voisins) avec pour mission de patrouiller et “habiter” un territoire immense et bien souvent “vide de toute présence administrative” et en repousser les trafiquants et autres preneurs d’otages ?

Et à condition que le contexte soit clairement défini et que la maîtrise reste aux mains des pays sud-sahariens, la France pourrait sans doute apporter une aide technique.