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Egypte

Tunisie, Egypte, Libye … et si on rangeait le romantisme

Même reporté en avril, le procès dressé au Directeur de Nessma TV pour avoir diffusé en octobre 2011 le (remarquable) film d’animation de Marjane Satrapi, « Persépolis », n’en reste pas moins le premier procès politique du nouveau gouvernement tunisien. Aux portes du tribunal s’affrontent les partisans de la liberté d’expression et les salafistes, porteurs d’un islam rigoureux et rigoriste. Les mêmes, d’ailleurs, organisent des grèves dans les universités tunisiennes afin que les étudiantes puissent porter le nikab en cours, y compris lors des examens.

En Egypte, les élections législatives ont consacré les partis islamistes en leur accordant 71% des sièges (47% pour les Frères Musulmans et 24% pour les Salafistes). Elles n’ont pas consacré la place des femmes (http://egyptactus.blogspot.com/2012/01/parlement-egyptien-cherchez-la-femme-2e.html) dans la nouvelle société puisque celles-ci sont … 12 dans un parlement de 498 membres ! Point n’a été besoin d’une loi comme en Libye, limitant la place des femmes à 10 % des élus à la Chambre.

En Libye, puisqu’il est question d’elle, c’est le nouveau gouvernement qui peine sérieusement à se mettre en place, travaillé qu’il est par les tensions entre tribus et régions et par les divisions, le manque de perspective. Et vous parle t-on de l’Armée de Libération de la Libye qui mène la « contre-révolution » et vient de reprendre Bani Walid ?

Parce qu’ils ont exclusivement axé leurs commentaires sur une vision romantique de la « révolution », les journalistes sont perdus et n’y comprennent plus grand-chose. Dans un récent éditorial, « Le Monde » va jusqu’à dire que les islamistes qui ont raflé la mise dans tous ces pays ont « pris le train en marche ». Tel autre chroniqueur stigmatise ceux qui, dès le début, doutaient de l’avenir en les traitant de « je vous l’avais bien dit ».

Et pourtant, les choses se sont bien passées comme il était prévisible qu’elles se passent.

Tout d’abord, parce que c’est faire injure aux groupements islamistes de les accuser d’avoir pris le train en marche. Ils sont dans l’opposition et le soutien aux populations depuis infiniment plus longtemps que les « révolutionnaires » de Facebook. En Egypte, comme en Tunisie, ils ont payé le prix de leur travail de fond par la prison, la confiscation de leurs biens, l’exil. Comment imaginer que les populations aidées et soutenues, quand bien même ce serait au prix d’un endoctrinement idéologique, se détourneraient de leurs bienfaiteurs, ceux qui leur donnaient à manger et qui leur apportaient une raison d’espérer ?
Ensuite, parce que les « révolutionnaires », comme on les appelle, ont commis plusieurs erreurs. En premier lieu, parce que leur révolte est avant tout revendicatrice de liberté individuelle et de droit à la consommation. S’ils permettent de communiquer rapidement et d’échanger des mots d’ordre, les réseaux sociaux ne sont pas adaptés à la réflexion idéologique. Ensuite, parce qu’ils se sont laissés prendre aux filets d’un radicalisme certain: pas d’organisation politique, priorité de fait à la jeunesse et, singulièrement, la jeunesse la plus favorisée, forte tendance à l’absolutisme, voire à l’anarchie. C’est ainsi qu’on en arrive à manifester quotidiennement contre les Forces Armées (SCAF) alors même qu’un processus électoral se déroule dans des conditions assez satisfaisantes et désigne un parlement légitime.

27 janvier 2012-Manifestation au Caire (DR)

Tout laisse à penser que les Frères Musulmans ont passé depuis longtemps des accords avec les militaires (sinon, comment expliquer qu’ils déclaraient dès avril 2011 ne pas vouloir présenter de candidats dans toutes les circonscriptions législatives ?). Ne peut-on laisser le nouveau parlement faire ses preuves et contingenter, comme il est prévu, la place des Forces Armées ? Il est devenu d’actualité de dénoncer le rôle économique des dites Forces Armées. Effectivement, celles-ci, depuis les années Nasser, possèdent et animent une bonne part de l’économie égyptienne. Mis à part les licences de fabrication d’armements, les autres engagements sont plutôt anciens et « désuets »: eau minérale, pâtes alimentaires, fabrication d’appareils ménagers, … Il est assez improbable que cette « richesse » économique soit à l’origine du pouvoir de l’armée, lequel est beaucoup plus politique, fondé et appuyé sur des réseaux, constitué de gouvernorats et autre structures administratives. C’est cela que le nouveau parlement et le futur Président de la République (élection prévue en juin 2012) devront modifier.

A condition que les « révolutionnaires » et les « libéraux » leur en laisse le loisir et que, pendant ce temps, tout en restant vigilant, ils réfléchissent à l’extension et la popularisation de leur mouvement, à l’ouverture de celui-ci à toutes les catégories de la société, aux jeunes comme aux moins jeunes, aux femmes comme aux hommes, aux croyants comme aux laïcs, car, contrairement à ce qu’ils pensent, l’unanimisme pro-révolution ne s’est pas emparé de tout le pays: les récentes élections en sont la preuve.
Il est temps de ranger le romantisme au rayon des accessoires de l’histoire et de se préoccuper du véritable avenir de ces pays.

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Libye

Sauver Benghazi pour mieux punir Syrte,

défendre les populations civiles à Benghazi avec un mandat à peu près clair de l’ONU pour mieux violer ce mandat à Syrte et y faire la chasse à Khadafi, invoquer la démocratie et la responsabilité de l’Occident à Benghazi pour mieux s’en moquer et ne pas les respecter à Syrte dans le but de se venger de celui que l’on a appelé un tyran et qui venait camper (au sens propre) sous les fenêtres des chefs d’état occidentaux. Est-ce là le bilan de la campagne de Libye ?

Guerre en Libye, 20 mars 2011 (DR)

Et qu’avons-nous gagné ? Rien, si ce n’est probablement un désastre.

Un désastre en raison de la réaction (de la contre-révolution !!) islamiste. Comme il était prévisible, les révoltes arabes donnent tour à tour le pouvoir aux islamistes et c’est une vue de l’esprit que de croire qu’Ennahda, en Tunisie, sera respectueux de la démocratie, de la place de la femme, du droit de croire ou de ne pas croire. Des déclarations inquiétantes ont déjà été faites en ce sens, qui ont été démenties par les nouveaux hommes forts qui ont besoin de la « reconnaissance » occidentale.
En Libye, point n’est besoin de s’étendre: la « collaboration » entre les factions se fera sur le dos des droits élémentaires.
Quant à l’Egypte, tout s’y prépare pour que les Frères Musulmans et les salafistes se partagent le pouvoir.
Ce qui n’était pas une révolution cède la place à la réaction la plus classique. Il fallait s’y attendre et seuls les journalistes romantiques pouvaient se tromper et nous tromper en nous gavant d’images de madones au drapeau ou de lanceurs de grenade et en nous faisant vivre les évènements en « direct live ». Pour mémoire, il en est ainsi de toutes les « révolutions »: Mai 68 s’est achevé sur les Champs par une monstre manif de la droite et le retour de l’essence dans les pompes, Obama encensé par les chroniqueurs n’est plus désormais qu’un velléitaire, … Les révoltes arabes suivent le même chemin parce que les forces de la jeunesse, celles qui ont su si bien utiliser les réseaux sociaux et internet, ne revendiquent pas tant un fonctionnement démocratique de la société, mais avant tout la LIBERTE, la liberté de travailler, de gagner sa vie, de discuter, de consommer, de se déplacer, de voyager.
Et parce que les forces de la contestation, quoique souvent riches culturellement, ne sont pas politisées. Les militants aguerris se trouvent dans des structures qui attendent cette alternative depuis des décennies et qui ont su réagir très rapidement: Ennahda ou les Frères Musulmans et la kyrielle d’institutions sociales et humanitaires qu’ils ont su mettre en place et animer. Quant aux intellectuels de gauche, aussi méritant soient-ils, ils n’ont bien souvent aucune structure, aucun parti historique, aucun syndicat derrière eux. Et ce ne sont pas eux qui peuvent promettre que demain, la télévision sera gratuite !

Un désastre à cause du « deux poids, deux mesures ». Parce qu’il n’y a pas à se venger d’humiliations qu’aurait pu infliger le président Assad aux gouvernements occidentaux, aucune intervention n’est prévue pour mettre un terme au calvaire de son peuple. Certes Assad a sans doute raison: il sait depuis toujours que céder la place, c’est laisser entrer, ici aussi, l’islamisme politique. Alors, pour sauver ce qui peut encore l’être, tout comme ce qui aurait pu être imaginé en Libye, n’est-il pas possible d’exercer d’impitoyables pressions (refus de tous produits en provenance de Syrie, fermeture de tous les comptes, boycott de toutes les entreprises, exclusion de toutes les institutions internationales, …?
Il restera dans l’esprit des peuples du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Afrique la terrible explication de ce « deux poids, deux mesures »: il s’agissait, en Libye, de faire main basse sur les richesses.

Un désastre à cause du transfert des risques de conflit. Les Touaregs que l’on a, bien imprudemment, traités de mercenaires alors qu’il ne s’agissait que de tribus fidèles à la tribu des Khadafi (et cette sorte de fidélité ne se rompt que par la mort) rentrent au pays les bras chargés d’armes. D’autres combattants, ceux d’AQMI, cherchent à occuper le Nord-Mali, le Nord-Niger, les franges de la Mauritanie pour y installer leur base africaine. Eux aussi ont les bras chargés d’armes de toutes sortes. Afin de déloger AQMI de leur territoire, les Touaregs ne leur déclarent ni plus ni moins que la guerre, ainsi qu’à l’armée malienne dont ils considèrent qu’elle a des « connivences » avec les terroristes. Et tout cela moins d’un an avant les élections présidentielles au Mali (avril-mai 2012), l’un des rares pays africains à être une démocratie quasi exemplaire ! Au-delà du Mali, ce sont le Niger, l’Algérie et la Mauritanie qui ne manqueront pas d’être concernés par ce nouveau conflit.

Un désastre à cause de la mort de nos relations avec l’Afrique. D’aucuns diront « Tant mieux, c’est la fin de la Françafrique ». Mais le bilan est plus triste que cela parce que les relations entre notre pays et les pays africains vont bien au-delà de ces relations de pouvoirs et d’affaires.
Il y avait déjà les questions de l’émigration des Africains et de leur immigration rejetée chez nous. Il y a maintenant un sentiment de mépris de la part des occidentaux et d’humiliation pour les Africains, et ceci pour une raison essentielle. La Libye a été le théâtre d’une intervention militaire, et son chef d’état a été assassiné par des armées occidentales (ou sous couvert de celles-ci) sans l’accord du Continent africain. Le Continent africain a été bafoué, son avis n’a jamais été pris en considération, il n’a même jamais été sollicité. Certes, cet avis était peu audible, entaché qu’il était pas des « solidarités » acquises avec beaucoup d’argent, beaucoup de contrats. Il n’empêche, Khadafi a été l’un des rares à savoir parler de la Nation Africaine. Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud, a tenté, à plusieurs reprises, d’ouvrir des pourparlers (et non des négociations !) entre les forces en présence. En avez-vous seulement entendu parler ? Il a dénoncé la primauté accordée à l’OTAN (et donc à Paris, Londres et Washington) sur l’ONU pour « gérer » l’affaire libyenne. En avez-vous eu connaissance ?
La guerre libyenne s’achève sur l’humiliation de toute l’Afrique (http://www.journaldumali.com/article.php?aid=3772), du Maghreb au Proche-Orient et à l’Afrique du Sud, en passant pas l’Afrique de l’Ouest. En date du 18 octobre dernier, l’intellectuel et historien Achille Mbembe affirmait dans « Le Monde » que « la France n’est plus notre soleil ». Le conflit libyen et son traitement spécifiquement français, avec la complicité de quasi toutes les forces politiques, et notamment celles de gauche, n’ont fait qu’assombrir un peu plus notre « soleil ».

Enfin, pour terminer, un probable désastre à cause d’une possible partition de la Libye. On ne le dira jamais assez, la Libye est un pays de tribus que Khadafi avait réussi à rassembler sur un objectif commun, au prix, c’est certain, de violences et de crimes impardonnables. Désormais, ceux de Benghazi s’opposent et s’opposeront à ceux de Tripoli ou de Syrte ou de Misrata et vice-versa. Les territoires, les richesses, le pétrole, tout fera l’objet de conflits et de partages violents et la Libye d’aujourd’hui risque la partition en deux, voire trois, entités non viables.

Oui, un désastre et aucun bénéfice, si ce n’est pour quelques pétroliers …

PS: chroniqueuse au « Monde », Caroline Fourest a un vrai beau franc-parler et ses analyses sont d’une justesse et d’une précision dignes du scalpel. Il faut la lire sur son blog (http://carolinefourest.wordpress.com/) et sur le site de l’association-revue dont elle fait partie: ProChoix (http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2006/12/19/1061-presentation-de-la-revue).
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Droits de l'homme

Le discours de Dakar, le discours de Benghazi

Lors du premier débat entre les candidats des primaires socialistes, Martine Aubry s’est livrée à une rapide citation des discours de Sarkozy afin d’illustrer la nature de sa politique. Elle a ainsi fait référence à deux discours qui n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre: le discours de Dakar et le discours de Grenoble.
Le discours de Grenoble, un discours de stigmatisation, de ségrégation, d’exclusion, notamment à l’égard des Roms, n’est pas de notre propos, ici et aujourd’hui.

Par contre, le discours de Dakar mérite quelques commentaires et il y a longtemps que nous souhaitons le faire sur ce blog. En effet, ce discours est devenu un incontournable, une icône de la critique envers Sarkozy, un leit-motiv du TSS. Or, ce discours ne mérite paradoxalement, ni autant de mépris et d’insultes, mais ni éloges particuliers. Pour s’en rendre compte, encore faut-il le lire au préalable et faire un petit effort de compréhension et d’analyse. ce qui n’est assurément pas le cas, ni de Martine Aubry, ni de François Hollande qui, à La Rochelle, le rattachait à la francophonie, ni de Ségolène qui, à son propos, a demandé pardon (!), ni de ceux qui le référencent sous DailyMotion (ou autres serveurs de vidéos) comme « discours raciste » en n’en retenant qu’une infime portion …

Prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université de Dakar, ce texte a été écrit par Henri Guaino. S’il a suscité immédiatement des réactions contrastées et parfois très vives en Afrique, il a fallu attendre plusieurs mois (en fait octobre 2007) pour qu’en France il fasse l’objet d’un débat public. Car c’est BHL qui a qualifié son auteur de « raciste », en prenant bien soin de distinguer l’auteur (raciste) de l’orateur (pas raciste !). Il est des distinctions qui sont particulièrement subtiles, mais bien utiles pour l’avenir de celui qui rêve d’être Grand Vizir !

Alors le racisme ? Toute une première partie (28% du texte !) est consacrée à une dénonciation de la traite des noirs, de l’esclavage, puis du colonialisme. Jamais aucun Président, ni de Gaule, ni Mitterrand, ni Pompidou, Giscard, Chirac, ni aucun ministre, fut-il Premier, n’a prononcé de pareilles phrases. Et même s’il s’y trouve un refus explicite de la repentance, nous ne sommes pas loin de la demande de pardon.

 »… le passé ne s’efface pas . ».
 »il y a eu des fautes, il y a eu des crimes … »
 »il y a eu la traite, il y a eu l’esclavage … »
 »les européens sont venus en conquérants, ils ont pris la terre de vos ancêtres. »
 »ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes … »
 »ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire … »
 »ils ont eu tort. »
 »le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. »
 »il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail … »

Même les dix lignes qui suivent alors et qui se veulent inscrites dans la vision que le colonialisme n’a pas été que mauvais, même ces dix lignes sont reconnaissance de faute.

 »… il y avait parmi eux des hommes de bonne volonté, qui croyaient faire le bien … »
 »ils se trompaient … »
 »ils croyaient donner la liberté, ils créaient l’aliénation … »
 »ils croyaient briser les chaînes de l’obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante … »
 »ils croyaient donner l’amour sans voir qu’ils semaient la révolte et la haine … »
 »la colonisation fut une grande faute. »

Cette déclaration est alors suivie d’un appel à la jeunesse à qui il est dit que  »c’est en puisant dans les valeurs de la civilisation africaine que vous serez tirés vers le haut, car ces valeurs sont un antidote au matérialisme et à l’individualisme ».
Ce passage revêt une grande importance: il se situe juste avant le « virage » du discours, cette fameuse phrase tellement souvent sortie de son contexte, voire interprétée totalement à contresens:  »le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Les mots qui précédaient montrent bien qu’il ne s’agit pas de dire que l’homme africain ne serait pas entré dans l’histoire, ou que l’homme africain n’aurait pas d’histoire. Non, le texte dit que  »jamais l’homme ne s’élance vers son avenir ».

Et se développe alors une consternante seconde partie, aussi longue que la dénonciation des méfaits de l’homme blanc. Une seconde partie dans laquelle est décrite sur un ton paternaliste, condescendant et docte, une culture noire faite d’une  »croyance en un éternel recommencement, où il n’y a pas d’idée de progrès et dans laquelle la nature commande tout. L’homme y est immobile au milieu d’un ordre immuable, il ressasse et répète ses regrets d’un âge d’or qui n’a jamais existé et il n’arrive pas à se libérer de ses mythes. »

Après une référence à Léopold Senghor, qui adressait des poèmes en français à toute l’Afrique, le discours lance un appel à une Renaissance africaine qui débarrassera l’Afrique des mythes qui voilent sa face.

 »Et cette Renaissance, je vous la propose ». Tel est le thème de la dernière partie de ce discours (là-aussi, une petite trentaine de %). Ce que veut l’Afrique est ce que veut la France; la coopération, l’association, le partenariat, l’immigration négociée, l’unité africaine, l’Eurafrique …

A ce niveau du discours, y a t-il sincèrement quelque chose de nouveau ? Probablement pas. Il s’agit toujours de cette volonté française de garder coûte que coûte le pré-carré africain, en s’assurant d’obtenir une part conséquente des matières premières, une part conséquente des marchés de développement de ce continent, une part conséquente de soumission ou de vassalité politique à l’égard de la vieille métropole, dans toutes les cours et les tribunes internationales où cela est utile.

Alors raciste ? Non. Mais néo-colonialiste, oui. Et ne mélangeons pas colonialisme et racisme, car même si le second a souvent accompagné le premier, il n’en est pas l’essence.

Considérer ce discours comme « le discours raciste de Sarkozy », c’est faire une grossière erreur, une faute. C’est se priver de toute possibilité de critique élaborée, car quand on a dit raciste on a tout dit. Et dans le cas présent on n’a rien dit des relations entre la France et l’Afrique.

Discours de Benghazi (DR)

Un autre exemple ? La récente « libération » de la Libye a donné lieu à un vibrant discours de Sarkozy auprès des habitants de Benghazi. Très paradoxalement, les commentateurs et analystes français, les ténors politiques et en particulier ceux du PS, ont salué ce discours tout comme ils avaient tous globalement salué l’action guerrière de la France dans ce pays. Le voici:  »« Jeunes de Benghazi, jeunes de Libye, jeunes Arabes, la France veut vous dire son amitié et son soutien. Vous avez voulu, vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique. La France, la Grande-Bretagne, l’Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen. Mais, amis de Benghazi, nous vous demandons une chose, nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée. Peuple de Libye, vous avez démontré votre courage. Aujourd’hui, vous devez démontrer un nouveau courage, celui du pardon et celui de la réconciliation. Vive Benghazi, vive la Libye, vive l’amitié entre la France et la Libye » »

Bien qu’il ne comporte que quelques lignes, n’y retrouve t-on pas la même construction ? L’appel aux jeunes, la leçon toute de paternalisme et de condescendance, et l’appel subliminal à la coopération économique ?

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Libye

Lettre ouverte de Rhissa Rhossey à ses frères touaregs

En mars dernier, nous avions reçu ici le poète et militant touareg (Interview-Rhissa-Rhossey-parle-de-son-peuple-touareg) Rhissa Rhossey. Nous avions parlé de la Libye, de Khadafi et de la guerre menée par la « coalition » soutenue par l’OTAN.
Rhissa Rhossey vient de s’exprimer sur le blog « touaregsmirages » (http://touaregsmirages.canalblog.com/archives/2011/08/30/21898365.html) en adressant une lettre ouverte à tous ses frères touaregs du Mali, du Niger, d’Algérie et de Libye.

Voici ce texte:

Khadafi (DR)

Mes frères du Mali du Niger, de l’Algérie, de la Libye
assalam alaykoum
que la paix soit sur vous
et vous autres mes frères de la diaspora.
Les temps sont durs, la réalité implacable, l’injustice et les mensonges flagrants.

Aujourd’hui nous sommes face à une évidence, la chute du colonel.
Cette chute que je prédisais déjà début mars
Et ce colonel, envers qui j’avais des mots durs et sur lesquels j’étais mal compris.
Certes, je vous comprends, mes frères kel tamasheq.
D’ailleurs qui mieux que moi saurait vous comprendre ?

Certes vous vous êtes identifiés à ce Guide, celui là-même que nous appelions tous affectueusement Amghar. Amghar le chef, ce mot sorti de la bouche de ceux qui n’ont jamais connu d’autre chef que Dieu est, faut-il l’avouer, un très grand mot.

Mais la roue de l’histoire tourne, elle tourne inéluctablement.
Le temps est une chose, une chose qui vient à bout de tout.
Le bédouin de Syrte est au bout de son temps.
Dans cette vie terrestre tout a un temps

Khadafi a tenu le pouvoir d’une main de fer pendant 43 ans.
Moi qui écris ces lignes, je n’étais pas encore né.
Et la majorité des hommes et des femmes qui se battent aujourd’hui, pour un monde plus juste, n’étaient pas encore nés.
Entre temps, des nouvelles générations sont arrivées, ardentes, brûlantes de plus de libertés : liberté d’expression, liberté de choisir ses dirigeants.

Amghar en tout honneur aurait pu partir à temps, avec d’innombrables possibilités de sortie.
Mais fidèle à lui-même, au sang bédouin qui coule dans ses veines, à l’entêtement et à l’orgueil ancestral, Amghar a choisi l’affrontement.
Le choc frontal sans concession,
Le face-à-face implacable,
Ville par ville,
Rue par rue,

Quartier par quartier,
Maison par maison,
Corps à corps,

Œil pour œil,
Dent pour dent,

Amghar, j’ai la chair de poule et un immense respect pour toi car la réalité qui me fait mal est celle-là : tu es certes en décalage avec la réalité mais toujours est-il que tu défendais ce que tu as construit : la Libye.
Oui, la Libye qui n’était absolument rien avant toi et qui depuis le 1er septembre 1969 est devenue la grande Jamahiriya, que le monde entier craint et jalouse.

Or, ton bien le plus précieux est envahi, envahi par l’Occident, sans autre forme de procès.
L’OTAN est arrivé avec toute sa technologie de pointe avec l’objectif évident de faire partir Khadafi avant le 1er septembre 2011, par tous les moyens, sous mandat de l’ONU, cette fameuse ONU qui couvre toutes les bavures, les gaffes et les bêtises de ces siècles.

Cette coalition de malheur s’acharne même, dans ses ambitions machiavéliques, à armer les rebelles, à les financer, à les légitimer et même à les recevoir officiellement dans les grandes capitales.

C’est ce que l’Afrique entière a condamné, a refusé.
Ce refus est confirmé par le rejet de la reconnaissance du CNT par l’Union africaine la jugeant prématurée.

La question que je me pose aujourd’hui est celle-là : pour avoir raison d’un homme, faut-il détruire un peuple ?

Hier, quand l’Amérique en voulait à Saddam, elle a détruit l’Irak.
Encore aujourd’hui l’Irak n’est pas sorti du chaos.
Aujourd’hui, la Libye est dans le même chapitre : combien d’années les vingt tribus de Libye mettront-elles pour s’entendre et se pardonner ?

Le printemps arabe n’a pas touché la Libye : pour qu’un printemps soit beau, il faut qu’il soit naturel. Un printemps au forceps donne des fleurs pâles et des fruits sans saveur.

Au cours de ces terribles combats, les Touaregs ont payé un lourd tribut pour leur reconnaissance au Guide.
C’est certainement eux qui étaient déployés sur les sites stratégiques, les bases sensibles, les casernes comme Bab el Azizia : cela s’appelle le bouclier humain. Saddam l’a fait en son temps avec des civils Occidentaux.

Cela est une constante dans la culture de ces nomades.
N’est-ce pas Mano qui disait :

 » Sauver votre ami même si cela aboutit a votre perte. »

Cet engagement est beau émotionnellement, mais pas réaliste humainement.

Il n y avait pas le moindre suspens dès le déclenchement de ce conflit. Khadafi allait tomber, d’une façon ou d’une autre.
Le soutien des puissances aux rebelles était spontané et les mensonges médiatiques quasi insoutenables. Le dernier en date, c’était la prise des trois fils du Guide dont le transfert de l’un est même à l’ordre du jour: le lendemain le concerné parade encore devant les journalistes.
L’un s’est enfui et l’autre est mort.

Mes frères, Khadafi est tombé.
Résignez-vous à cela.
Ceux parmi nous qui ont essayé de le défendre, l’ont fait jusqu’au bout.
Belle fidélité.
Essayons maintenant de construire l’avenir avec la même abnégation et la même constance.

Mes frères, un jour Ide Oumarou, un écrivain de chez nous, a écrit ceci :

 » Tout homme qui perd pied, est un homme perdu. « 

Et les premiers à le lui faire savoir seront certainement ceux qui l’ont servi avec servilité, adoré sans partage et peut-être exhorté sans réserve.

Cela apparemment ne nous colle pas :

Aujourd’hui, les uns et les autres s’empressent à reconnaitre le CNT mais que voulez-vous ? A défaut de la mère, on tète la grand-mère.
Mais il y a des victoires qui ont le goût amer de la défaite.

Soyons clairs : nous nous ne faisons pas l’apologie de Khadafi, le dictateur mais nous condamnons fermement l’usage de la violence dans les règlements des problèmes de l’humanité.

Nous pensions que l’Irak servirait de leçon, mais rien.
Demain, à qui le tour ?
l’Algérie ou l’Iran ?
Mais l’Algérie connait la valeur de son indépendance: un million cinq cent mille morts.

Rhissa Rhossey

Tchirozérine, le 29/08/2011