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La jeune africaine (1)

Alors qu’il pressait le pas pour rentrer chez lui, son regard fut attiré par cette bicyclette toujours cadenassée au poteau du panneau «Défense de stationner». Attiré une nouvelle fois, parce que cela faisait bien douze ou quinze jours, pratiquement deux semaines, qu’elle était là, avachie à cause de l’absence de sa roue avant. Il eut une rapide pensée pour se dire que les services de nettoiement municipaux devraient bien s’occuper d’enlever de telles épaves que personne ne viendra plus jamais récupérer. La neige avait cessé de tomber depuis le début de l’après-midi et une sorte de soupe grisâtre garnissait le trottoir. Il ne faisait pas chaud et la lumière du lampadaire voisin n’éclairait que faiblement ce bout de rue peu fréquentée. Ce n’est pas qu’il avait vraiment l’envie de s’arrêter, mais son regard fut intrigué par la petite sacoche de plastique noir qui pendait sous la selle. La position du vélo, agenouillé sur sa fourche avant, mettait en évidence cette sacoche habituellement destinée à y garder un petit nécessaire de réparation en cas de crevaison ; des rustines, un tube de colle pour pneus, un petit grattoir et deux démonte-pneus. La curiosité fut la plus forte. Après un rapide coup d’œil alentour, surtout destiné à se donner confiance, il se pencha et ouvrit la sacoche avec difficulté. Le plastique raidi par le froid n’était pas facile à manipuler et les pattes de fermeture ne se laissaient pas plier.

Comme s’il savait par avance que cette sacoche n’était pas vide, il ne fut pas surpris de trouver un chiffon blanc, roulé sur quelque chose de solide et dur, qu’il fourra rapidement dans la poche de son blouson. Toujours ce petit sentiment de culpabilité. Mais en fait que pouvait-on lui reprocher ? Voilà plus d’une semaine que ce vélo délabré était là et son propriétaire lui-même avait probablement abandonné l’idée de le reprendre ! Et si demain, les fameux services de nettoiement le prennent en charge, c’est peut-être eux qui auront l’idée d’ouvrir la sacoche. Ou bien alors, le vélo passera directement dans la benne à ferrailles et c’en sera fini de lui.
Il poursuivit sa route, les mains dans les poches, se hâtant dans les rues désertes, sa respiration rapide libérant à intervalles réguliers un léger panache de vapeur d’eau. Parvenu chez lui, il escalada ses trois étages et se retrouva dans son petit appartement. Il accrocha son blouson et se mit à l’aise. Le rituel de tous les jours précédents, depuis des mois et des mois, consistait à allumer la télévision et à l’écouter distraitement pendant qu’il préparait le repas. Il n’en fit rien. Il sortit de la poche du blouson le paquet récupéré dans la sacoche du vélo, le posa sur la table de la cuisine et déroula le chiffon blanc.

Le contenu libéré le laissa totalement interloqué. Plus ou moins, il s’attendait à trouver là soit les outils traditionnels du cycliste, soit des objets courants de la vie quotidienne, du genre trousseau de clefs, lampe de poche ou porte-monnaie. Certes, il y avait quelques dizaines de centimes d’euro qui s’échappèrent des plis du chiffon blanc, mais il y avait aussi une photo, un bracelet et une statuette.

La statuette était des plus curieuses. C’est pourquoi, il la prit dans les mains et s’attarda à l’examiner. Elle était en bronze. Ou plus exactement en métal présentant une couleur voisine de celle du bronze. Il avait à l’esprit des statues de bronze, soit des statues monumentales vues dans tel ou tel square d’une grande ville, soit des statuettes de plus petite taille rencontrées dans des expositions regroupant les artistes amateurs, peintres, sculpteurs, tailleurs sur bois, … Dans un cas comme dans l’autre, le bronze était un métal dense, lisse, patiné, parfois très brillant. Ce n’était pas le cas avec le métal de cette statuette. Bien que ferme et rigide, le métal semblait mousseux, comme si des bulles d’air minuscules étaient restées enfermées lors de son refroidissement. La multitude de ces bulles faisaient que la surface n’était pas lisse, mais rugueuse, irrégulière, un peu agressive au toucher. Il eut rapidement la certitude que cette statuette n’était pas faite d’un métal pur coulé dans un moule, mais d’un mélange de métaux mal amalgamés. Lourde et haute d’une douzaine de centimètres, large de six à sept centimètres, la statuette représentait un couple, un homme et une femme, assis cote à cote sur une sorte de banc. Les deux personnages étaient filiformes et leurs membres, en particulier les jambes, étaient exagérément allongés. Pour seul vêtement, chacun d’entre eux avait une sorte d’écharpe ou de mantelet couvrant tout juste les épaules. Aucune incertitude quant au sexe de chacun des personnages. L’homme présentait une barbe très épanouie et un sexe proéminent et la femme ne cachait pas ses seins fiers et oblongs. Dans sa main gauche, l’homme tenait ce qui pouvait être assimilé à un éventail végétal formé d’une simple et grande feuille dont on distinguait nettement les nervures. La femme, pour sa part, tenait dans la main droite, posé sur ses genoux, un pot. Etait-ce un pot à onguent ? Homme et femme étaient proches l’un de l’autre, le bras de l’homme enlaçant la femme et reposant sur son épaule. L’origine africaine de ce couple ne faisait aucun doute; la morphologie des visages avec des lèvres pulpeuses, des nez épatés, des cranes étirés rappelaient indubitablement les statuettes d’ébène qu’il avait souvent rencontrées dans les étals de foire.

Laissant de coté la statuette, il s’intéressa à ce qu’il pensait être un bracelet en raison de la forme circulaire. C’était un bel objet, d’une simplicité radicale. Sur une bande de cuir noir, pliée en double épaisseur de façon à être assez épaisse, étaient cousus huit coquillages blancs. Les coquillages ovales, de la taille d’une amande se touchaient tous par leurs extrémités. Leur face fermée et arrondie avait visiblement été rabotée de manière à être mieux en contact avec la bande de cuir et c’est leur face fendue et ouverte qui s’offrait au regard. A l’une des extrémités du bracelet, la bande de cuir se torsadait sur elle-même et s’achevait par un nœud, une petite boule. A l’autre extrémité, la torsade s’achevait par une boucle fermée. Il comprit rapidement que le bracelet tenait fermé autour du poignet lorsqu’on accrochait la boule à l’intérieur de la boucle.

Enfin, il s’attarda sur la photo qui avait un peu souffert d’être roulée, voire pliée, à l’intérieur du chiffon blanc et contre la statuette de métal et le bracelet de cuir. La photo était celle d’une belle fillette africaine, d’une toute jeune fille, neuf ans, onze ans, peut-être davantage tant son regard était fier et lumineux. Vêtue d’un jean et d’un pull, ses immenses yeux noirs regardaient franchement l’objectif avec un demi-sourire. Ses cheveux tressés étaient décorés de petits colifichets jaunes, verts et rouges. Au dos de la photo, un prénom : Kadiatou et un nombre, une suite de chiffre, ce qui pouvait ressembler à un numéro de téléphone : 00223679685xx.

C’était tout. Les pièces de monnaie étant probablement là par hasard, seuls ces trois objets pouvaient dire quelque chose sur le propriétaire de la bicyclette. Ils disaient que celui-ci avait des liens avec l’Afrique, sans dire s’il était lui-même originaire de ce continent. Mais ils ne disaient strictement rien sur son identité, son adresse, son métier, …

Regroupant le tout à l’extrémité de la table, il reprit le cours habituel de ses soirées, alluma la télé et se mit en recherche, dans le réfrigérateur, de quelque chose à manger.

Pendant qu’il se restaurait, son esprit continuait de le tarauder. A vrai dire, il n’avait pas la conscience parfaitement tranquille et malgré toutes ses bonnes raisons et tous ses justificatifs, il avait le sentiment d’avoir fait irruption dans un monde qui n’était pas le sien, de s’être immiscé chez des gens qui ne l’y avaient pas invité. Ces trois objets lui semblaient être des objets très personnels, mais pourquoi leur propriétaire les avait il laissés et oubliés dans cette sacoche de vélo ? Il lui fallait comprendre. Après avoir fini son repas, placé sa vaisselle dans l’évier et nettoyé sa table en vitesse, il alluma son ordinateur. Pour chacun des trois objets il allait chercher à comprendre la nature et le sens qu’il pouvait avoir. Le plus simple était de commencer par ce qu’il était convaincu être un numéro de téléphone.
Dès qu’il fut connecté à l’internet par son navigateur, il tapa « indicatif + telephone + afrique ». La réponse de Google fut immédiate : la première référence était celle des indicatifs téléphoniques internationaux telle que publiée dans Wikipédia. Il s’y rendit, chercha dans le chapitre consacré à l’Afrique et dénicha le code 223, celui du Mali. Les six chiffres qui suivaient ne formaient désormais qu’un banal numéro privé.

Il décida alors de se consacrer à la statuette et tapa dans sa barre de recherche « mali + statue + couple ». La réponse fut aussi fulgurante que précédemment et en première ligne il eut les coordonnées d’un site d’art ethnique qui proposait à la vente une « statue d’un couple d’ancêtres africains Dogon en bronze du Mali ». Cette statue datée des années 70 mesurait 10.5 cm de haut, 7.5 cm de large, 3 cm de profondeur et pesait 343 g. Elle était vendue 90 €. Une photographie accompagnait l’offre : exactement le même couple que celui qu’il avait entre les mains ! Cependant, la sculpture présentée sur internet lui paraissait de plus grande finesse et le bronze de meilleure qualité et surtout plus lisse et plus brillant. Les explications succinctes qui accompagnaient cette offre précisaient que la technique de fabrication de la statuette était dite « à la cire perdue ». Pour en savoir davantage, il rechercha ce qu’Internet pouvait lui préciser sur cette technique. Il trouva un site qui expliquait avec une grande richesse de photographies comment les africains fabriquaient leurs statuettes et autres objets en bronze, en particulier au Cameroun, en Cote d’Ivoire, au Burkina Faso et au Mali. Tout commence par la réalisation de la statuette en cire d’abeille (dont le point de fusion est compris entre 63 et 64°). Cette statuette est alors progressivement, par couches successives que l’on laisse sécher, enfermée dans de la glaise. Il suffit de tremper la statuette dans de la glaise liquide, de laisser sécher et de recommencer aussi souvent que nécessaire afin d’obtenir une coque épaisse et solide. Pour la rendre plus solide, une couche supplémentaire de glaise plus visqueuse est encore ajoutée. Cette coque est alors cuite comme une poterie, avec de nombreuses autres coques. Avant la cuisson, un petit orifice y a été ménagé de façon à laisser s’échapper la cire fondue qui sera tamisée et récupérée pour une utilisation ultérieure. La cuisson se fait au feu de bois ou de noix de coco. Lorsque le nombre de poteries est suffisant, l’artisan aborde la phase de fonderie.

Dans un petit creuset ( le fond d’un moteur de congélateur !) placé sur un feu de charbon activé grâce à un soufflet, il faut maintenant préparer le bronze, un mélange de cuivre et de laiton provenant de tuyauterie sanitaire, de robinets, d’écrous ou de vieux cadenas. Une fois le mélange fondu, celui-ci est coulé, par l’orifice ménagé, dans chaque coque d’argile où il va occuper la moindre place laissée par la cire fondue lors de la cuisson. Le refroidissement par arrosage est rapide et les coques d’argile sont alors cassées pour libérer les statuettes. Un long travail de finition (ébavurage, ébarbage, polissage, patine artificielle, …) est encore à fournir. Il conclut de tout ceci que si la statuette qu’il avait entre les mains ne présentait pas de caractères de grande finesse et donc que sa valeur ne devait pas être très élevée, elle n’en était pas moins une œuvre unique. La technique si bien décrite le mettait en évidence : la statuette initiale en cire ne sert qu’une fois puisqu’elle fond lors de la cuisson de la coque d’argile et la coque d’argile n’est pas réutilisable puisqu’elle est brisée pour récupérer la statuette de bronze. Deux statuettes qui représentent le même sujet ne peuvent pas être identiques.

Couple primordial dogon

 »à suivre »

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Migrations Mali-France: le débat tourne à l’aigre

En début d’année, le Mali a refusé (ce n’était pas la première fois) de signer l' »Accord de gestion concertée des flux migratoires » que lui proposait la France. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de Bamako comme sous ceux de Paris et il fort probable que les échanges et négociations se poursuivent.

D’un autre coté, le CIGEM (Centre d’Information et de Gestion des Migrants), organisme dirigé par le Ministère des Maliens de l’Extérieur et basé sur une politique de collaboration avec l’Europe dans le domaine des migrations, a récemment (12 juin) renforcé son action en signant un accord avec l’ANPE, le FAFPA, APEJ et les UFAE pour mettre en œuvre la « promotion de la migration légale de travail en faveur de l’emploi et de l’insertion professionnelle ».

Alors, l’Association des Maliens Expulsés (AME) prend peur. Lors de son 3° Forum des Journées Ouvertes sur l’Immigration (20 juin), cette Association et son Comité de soutien ont fait adopter par un petit public une “Déclaration de Bamako” qui recommande notamment la  »rupture d’avec la politique française de l’immigration dite “choisie” et “répressive”, voulue par le Président français et plusieurs pays européens ». Cette déclaration demande notamment que les ambassades maliennes mettent fin à la délivrance de laissez-passer qui favorise l’expulsion des maliens.

Avant cette réunion qui avait pour but, selon les organisateurs, de « monter la pression », un certain nombre de faits ou de discours étaient déjà symptomatiques d’un durcissement.

  • le 26 mars, l’Agence Temoust (agence de presse militante touarègue) annonçait que,  »selon ses sources », la France s’était donné pour objectif la reconduite volontaire ou forcée de … 2700 maliens en 2009 ! Pour information, il convient de savoir qu’aux dires même de l’AME, les reconduits étaient 479 entre le 01/01 et le 30/11/2007 et 351 entre le 01/01 et le 30/11/2008.
  • interpellation récente du Ministre des Maliens de l’Extérieur par un député d’opposition qui annonce le chiffre de 45 rapatriements forcés par mois en moyenne depuis le début de l’année, ce que le ministre conteste en parlant de 10 par mois (et de 21 par mois en 2008).
  • la presse d’opposition et la presse militante développent de plus en plus souvent des arguments simplistes à l’encontre de la France et parlent de “chasse aux immigrés”.
  • et très récemment, l’affaire des dix maliens dont Air France a refusé l’embarquement parce qu’ils n’étaient en possession que d’un récépissé de demande de titre de séjour, ce qui a entraîné une vive réaction du ministre des transports et une « interpellation » du responsable d’Air France, laquelle « interpellation » devenait dès le lendemain une « courtoise demande d’explications ».

Et en France ? En France, le débat est largement conduit par la CIMADE, ce qui explique un peu l’acharnement du Ministre de l’Immigration à ne pas vouloir la laisser seule sur le terrain. Elle s’attache avec excellence à son rôle de soutien, aide et compassion à tous ceux qui n’ont ni toit, ni travail et qui risquent l’expulsion. Mais a t-elle raison de refuser en bloc toute la politique européenne d’immigration en parlant de vision utilitariste et sécuritaire de l’immigration ? Ne peut-on distinguer fermement les deux volets et être intransigeant sur le volet humanitaire (centres de transit, liberté de circulation, droits élémentaires… ) afin d’être plus ouvert sur le volet “politique” ? Ne peut-on souhaiter un développement d’une immigration enrichissante pour l’un et pour l’autre, qu’elle soit professionnelle, scolaire, éducative ou familiale ? Pourquoi poser un a-priori selon lequel cette immigration ne saurait que favoriser la fuite des cerveaux ? Pourquoi affirmer (sans preuves convaincantes) que le développement d’un pays n’entraîne pas une diminution de ses migrants ? Pourquoi accuser les essais d’organisation et de facilitation des transferts financiers par les migrants, de tentatives de spoliation d’une manne alléchante ?

La Cimade a un discours humanitaire intéressant, elle prône ouvertement un monde sans frontières, mais fait-on une politique avec une espérance dont la réalisation n’est pas pour demain ?

Les migrants eux-mêmes affirment que « les gens ne quittent pas leur pays par plaisir, mais pour la plupart parce qu’ils y sont contraints pour vivre ou survivre ou faire survivre leurs proches ».

Alors que la crise fait déjà chuter dramatiquement les transferts de fonds vers les pays d’origine, alors que la crise entraîne la suppression des emplois par milliers, ne serait-il pas raisonnable d’aborder la question de l’immigration avec moins de parti pris mais plus de pédagogie et plus d’humanité de part et d’autre ?

Carte des routes d’émigration africaine vers l’Europe (C)Frankfurter Allgemeine Zeitung

Une petite biblio pour conclure, qui s’ajoute à des références déjà citées ici (Les-migrations-du-Mali-vers-la-France) :

Le rapport de la CIMADE: (http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20090619/1208739_f01e_edl.pdf)

Le pacte européen sur l’immigration: (http://www.eu2008.fr/webdav/site/PFUE/shared/import/1015_conseil_europeen/Pacte_europeen_sur_l_immigration_et_l_asile_FR.pdf)

L’intégration économique des migrants: (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000739/0000.pdf)

Et puis un site avec un point de vue intéressant à propos du “discours” sur et autour de la question de l’immigration: l’Institut Panos: (http://www.panosparis.org/fr/migrations.php)

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Mali

Les migrations du Mali vers la France

Ce début d’année 2009 a été marqué par un évènement significatif, sinon important, qui n’a pas rencontré, ni dans la presse écrite, ni dans l’audiovisuel, un grand retentissement. Pour la quatrième fois, Amadou Toumani Touré (ATT), Président du Mali, a refusé de signer l’accord dit de “Gestion concertée des flux migratoires”. Certes, il y a eu quelques articles, mais une fois la chose acquise, plus personne n’en a parlé.

Nombre de ces articles sont inspirés par un faisceau d’associations qui ont en commun une analyse partielle et militante. Le simple rappel des chiffres illustre cet aspect des choses.

Remettons de l’ordre dans les données.

Combien de maliens vivent en France ? Les chiffres vont de 80 000 à … 300 000 selon les sources. 80 000 pour “L’Humanité”, 120 000 pour “Le Monde”, 150 000 à 200 000 pour Panapress, 170 000 pour la Compagnie des Phares et Balises pour présenter un spectacle, 200 000 pour « Libération », mais il est vrai dans un article de Catherine Coroller qui cite 200 000 et 80 000 dans le même papier (02/01/2009) !!

Ces chiffres sont probablement exagérés et ont avant tout pour but de « dramatiser » la situation. On peut raisonnablement s’arrêter sur 80 000 à 100 000 maliens résidant en France, dont 30 00 à 45 000 en « situation irrégulière« .

Quel est le montant des fonds que ces maliens transfèrent dans leur pays ? Cette question n’a pas pour but de préparer une main-mise sur ces sommes, comme l’a imaginé une association. Mais, au contraire, une bonne connaissance permet d’apprécier l’effort des maliens vers leur pays.Le chiffre couramment admis est de 180 millions d’euros par an. Il est extrait d’un rapport (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000739/0000.pdf) de Charles Milhaud, Président du Directoire des Caisses d’Epargne, daté de septembre 2006 et intitulé “L’intégration économique des migrants et la valorisation de leur épargne”, étude réalisée sur un ordre de mission signé de Nicolas Sarkozy.

Mais d’aucuns parlent de 200 millions (RFI), 295 millions (Tiebilé Dramé, ancien ministre des Aff. Etr.) … Dans quel but ?

1°) Celui d’établir une comparaison entre ce chiffre et le PIB du Mali. C’est ainsi que “Libération” annonce que ces 180 millions représentent 4,4% du PIB, tandis que Tiebilé Dramé déclare que les 295 millions représentent 11% du PIB. Calculez vous-même, chacun a son PIB ! Et c’est bien vrai ! Le PIB du Mali est de 5 400 millions $ en 2004 soit 4 355 millions € (Tx=1,24), 6 840 millions $ en 2007 soit 4 995 millions € (Tx=1,37). 4,4% représenteraient des transferts à hauteur de 220 millions, et 11% représenteraient … 549 millions !!

Plus honnêtement, les 180 millions d’euros transférés par les migrants maliens font entre 3 et 4% du PIB du pays natal.

2°) Celui d’établir une comparaison avec le montant de l’Aide Française au Développement consacrée au Mali. AfriqueJet déclare que ces 180 millions représentent 3 fois l’aide ! RFI nous dit que l’AFD est de 156 millions d’euros ! Or, source gouvernementale, (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Note_68.pdf), l’Aide Publique au Mali en 2005 a été de 72,37 M€ (annulation de dette comprise) ou de 51.30 M€ (hors annulation de dette).

Mais en fait, quelle importance peut bien avoir ce chiffre ? En quoi la France serait-elle tenue de verser à un pays donné une somme en rapport avec ce que lui adressent ses propres ressortissants ? A ce petit jeu stupide, combien la France devrait-elle donner au Pakistan, au Sri Lanka ou à Djibouti ?

A l’examen de tous ces chiffres, nous apprenons que la France a procédé à une annulation-conversion de la dette du Mali à l’égard de la France, à l’automne 2007, pour un montant de 109 millions € pour la période 2008-2019.

Pourquoi cette mobilisation des associations ?

Toutes les associations (Droits de l’homme, CIMADE, Droits Devant, RESF, … ) se sont exprimées au sujet du Mali, mais très peu lors des signatures accordées par le Sénégal, le Gabon, la République du Congo, le Benin, la Tunisie, l’Ile Maurice, Cap Vert et le Burkina Faso. Tout simplement parce que, dans le cas du Mali, le résultat des discussions était pratiquement connu d’avance et qu’il était bon d’accompagner ce résultat afin de crier victoire !

Amadou Toumani Touré a une attitude extrêmement réaliste avec l’émigration de ses citoyens. Il connait ces fameux 180 millions d’euros, dont près de 60 % vont dans la seule région de Kayes, et il ne peut l’en priver. « Entre le tout humanitaire revendiqué par certains et le tout sécuritaire par lequel l’Europe lui répond, il faut trouver un moyen terme salutaire ». Il est prêt à discuter de visas permettant d’aller travailler dans un pays européen et de revenir, il l’a fait avec l’Espagne. Il est prêt à entendre parler de régularisations. Mais il n’aime pas que l’on se moque de lui et que, là aussi, on trafique les chiffres, mais dans l’autre sens.

Les dernières négociations entre la France et la Mali ont été basées sur un nombre de maliens en “situation irrégulière” de l’ordre de … 22 000. Et sur ces 22 000, la France ne proposait que .. 1500 régularisations par an, là où le Mali en demandait au moins 4 à 5000. Et puis, il y avait cette grotesque liste limitative des métiers autorisés pour les migrants. La migration des maliens est une donnée officiellement incluse dans la politique de population du Mali. Il existe un Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur qui a pour ambitions d’aider les maliens de l’extérieur, d’informer les candidats à l’émigration, de favoriser la coopération décentralisée, mais aussi d’obtenir des migrants qu’ils consacrent leurs envois de fonds à des investissements.

Il existe au Mali des dizaines d’associations (ONG) qui se sont données pour but d’organiser et de valoriser les envois de fonds et d’apporter une aide au retour et à la réintégration des maliens de l’extérieur. Il existe également des dizaines d’associations qui cherchent à circonvenir l’émigration clandestine.

Il est bien certain que, tôt ou tard, les discussions reprendront. Il est à souhaiter que la France les engage sur des bases à la fois plus réalistes (les vrais chiffres, une meilleure connaissance de la politique du Mali, …) et plus généreuses (davantage de régularisations, des visas aller-retour, des visas sur la base d’un plan éducatif ou professionnel, des frais de transferts financiers allégés, des aides au retour et à la création d’entreprises personnelles, … tant de choses peuvent être imaginées).

Bamako Commune V, quartier de Daoudabougou, d’après Google Earth

Pour compléter votre réflexion:

  • le travail (http://www.delmli.ec.europa.eu/fr/guide/Etude_Migration_Merabet_Gendreau_Rapport_final_15_05_07.pdf) de Omar Merabet et Francis Gendreau sur “Les questions migratoires au Mali”. A vrai dire, ce document, je n’ai vu nulle part qu’il ait été cité !! Il date de janvier 2007.
  • un commentaire glané sur un forum, il est un peu “radical” mais mérite l’attention: « Un malien en France, ce sera toujours un immigré. Un français au Mali, ce sera toujours un coopérant ! »