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Mali, après une semaine de guerre

« J’ai pensé à la cité et je me suis dit que nous pourrions la changer. C’est facile, il suffit de rien, nous n’avons besoin que de nous parler et de tout dire aux enfants. Le reste viendra de lui-même, et la misère s’en ira à toutes pattes, n’ayant pas où s’accrocher. L’administration sera obligée de nous écouter, elle verra dans notre regard combien nous savons ce que nous voulons, la vérité et le respect. Les islamistes n’oseront plus nous approcher, ils déguerpiront d’eux-mêmes, la tête basse, la queue entre les pattes, la barbe en berne. Le diable les remportera chez lui, il les dévorera et tout sera dit. On tournera la page et on fera une fête du tonnerre de Dieu. »

Et puis un peu plus loin dans le texte.

« Tout ce que nous nous interdisons en tant qu’hommes et citoyens français, les islamistes se le permettent et nous refusent le droit de nous plaindre car, disent-ils, c’est Allah qui l’exige et Allah est au-dessus de tout. A ce train, et parce que nos parents sont trop pieux pour ouvrir les yeux et nos gamins trop naïfs pour voir plus loin que le bout de leur nez, la cité sera bientôt une république islamiste parfaitement constituée. Vous devrez alors lui faire la guerre si vous voulez seulement la contenir dans ses frontières actuelles. Sachez que nous ne vous suivrons pas dans cette guerre, nous émigrerons en masse ou nous nous battrons pour notre propre indépendance ».

Ces deux textes sont extraits d’un roman de Boualem Sansal, publié en 2008 (!) et intitulé « Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller ». Il s’agit d’un texte d’une puissance parfois insoutenable, mais d’une écriture limpide, qui rapproche trois « évènements » de nos 70 dernières années: la Shoah, les affrontements en Algérie au cours des années 90 et la vie quotidienne des « immigrés » de seconde, troisième génération dans les banlieues françaises.

Remplacez donc le mot « cité » par le mot « Mali » et vous comprendrez ce que nous disons ici depuis des mois ! Ce que nous appelons solution politique ! Et ce que nous craignons !
Au huitième jour de la guerre menée par la France au Mali, il n’est plus question de parler de solution politique, de négociation. Lorsque le coup de feu est parti, il n’est plus possible de courir derrière la balle. Alors parlons un peu de ce qui se passe et de ce qui va se passer. Mais auparavant, une mise au point. Les extraits ci-dessus du roman de Boualem Sansal sont une réponse anticipée à certains commentateurs et à certains journalistes qui ne manqueront pas, dans quelques semaines ou dans quelques mois, lorsque les évènements commenceront à mal tourner, de stigmatiser du haut de leur mépris »les négatifs, les pessimistes, ceux qui savaient comment ça allait se passer », comme ils l’ont fait à propos de la Tunisie ou de l’Egypte.

A propos de la légalité de l’action française, on nous répète à satiété qu’elle est conduite dans le cadre de la résolution 2085 (http://www.liberation.fr/monde/2013/01/15/2-500-militaires-francais-attendus-au-mali_874112&Lang=F) du Conseil de Sécurité. Rien n’est plus inexact. Cette résolution s’appuie successivement sur les éléments suivants:

  • les autorités maliennes sont instamment invitées à rétablir l’ordre constitutionnel et l’unité nationale par la tenue d’élections présidentielle et législatives.
  • exige des groupes rebelles qu’ils rompent tout lien avec les organisations terroristes.
  • demande aux autorités maliennes de mettre en place un cadre de négociation avec celles des fractions rebelles qui auront rompu avec les terroristes.
  • condamne l’attitude intrusive des forces armées putschistes.
  • souligne l’attachement des Etats à une mission européenne de formation de l’armée malienne.
  • prie l’Union Africaine et la CEDEAO de mettre des troupes à disposition, qui devront être formées, tout en veillant à l’organisation de la chaine de commandement de la MISMA.
  • autorise le déploiement de la MISMA sous conduite africaine, en précisant explicitement les objectifs de la mission.

    Dans sa totalité, cette résolution est inexistante sur le terrain. Et si l’ONU a quelque peu approuvé la démarche française ce n’est pas sous le flambeau de cette résolution. A tel point que les Etats-Unis ont demandé la rédaction d’un nouveau texte. A tel point que vous n’entendrez JAMAIS parler de MISMA, puisqu’il s’agit-là d’une mission mort-née. La MISMA devait se mettre en place sous direction africaine et non sous conduite française.

    Un autre argument de légalité est invoqué en parlant de l’appel au secours lancé par les autorités du Mali. Mais quelles autorités ? Le Président par intérim du Mali n’est qu’une marionnette dans les mains d’un capitaine fantoche. Depuis son coup d’État, aucune procédure de reconstitution du corps politique n’a été mise en œuvre. Il est donc parfaitement inapproprié de parler d’un appel des « autorités maliennes »: il s’agit tout au plus de l’appel du Président désigné par intérim, dans le but de sauver sa place bien compromise par les actions djihadistes d’une part, et la défiance du Capitaine Sanogo d’autre part.

    L’action française ne s’appuie donc sur aucune légalité. Mais, au moins, est-elle justifiée dans sa spontanéité et sa brutalité ?
    Il est courant d’entendre dire et répéter que les combattants islamistes avaient pris la route de Bamako et qu’il fallait intervenir d’urgence pour éviter cette catastrophe. Les combattants islamistes se sont en fait « emparé » de Kona, certes de l’autre coté de la « ligne de démarcation », mais à 75 km de Mopti. Sur la route de Bamako (à 680 km de là !) se trouvent les villes importantes de Mopti, Djenné, San, Ségou, ainsi que des dizaines de villes et villages moins importants. Nous ne sommes plus dans le désert ! Poser comme postulat que les troupes islamistes auraient pu parvenir en quelques heures à Bamako est un bêtise technique et une insulte à la capacité de résistance des africains.
    France 2 répète à chaque bulletin d’information que les islamistes sont au Mali au nombre de 5 à 6000 combattants. Ce n’est certainement pas David Pujadas qui a inventé ce chiffre, faisons confiance aux services de communication de l’armée française et du gouvernement ! Or, ce chiffre n’a strictement rien à voir avec les estimations américaines qui évaluent les combattants à 1200 hommes environ, un chiffre beaucoup plus proche de la réalité des moyens de transport (150 à 200 pick-up capables de prendre en charge 6 à 7 hommes) et de la mobilité de troupes capables de s’évaporer aussi vite qu’elles sont arrivées.

    L’action française n’est donc ni légale, ni justifiée dans sa précipitation. Peut-être saurons-nous un jour pourquoi les promesses de soutien par l’arrière, l’engagement de ne pas mettre un soldat français sur le terrain des combats, n’ont pas été tenues.
    Toujours est-il que cette intervention est lourde, très lourde, de risques multiples.
    Le risque des otages.
    Très curieusement, et avec inquiétude, nous n’entendons pas parler des otages retenus depuis deux ou trois ans, alors que les leaders islamistes faisaient de tonitruantes déclarations sur leur sort en cas d’intervention française. L’inquiétude est nourrie par ce silence, mais également par le fait que si les troupes doivent être mobiles, elles ne peuvent s’encombrer d’otages. La prise d’otages en Algérie et son tragique dénouement viennent à point nous rappeler que les hommes n’ont qu’une valeur très relative aux yeux de ces combattants fanatisés.
    Le risque d’affrontements ethniques.
    Les plus pessimistes ne voyaient ce risque se préciser qu’après une phase initiale de combats et de reprise de territoires. Ce n’est pas le cas. Les exemples de mauvaise conduite de la part des combattants, maliens pour la plupart, se multiplient déjà: exécutions sommaires, viols, tabassages … Deux raisons à ces violences: la première est due au manque total de formation et de discipline des soldats maliens qui interviennent derrière les soldats français. La seconde relève d’une réalité incontestable: celle de l’opposition ethnique entre les africains et les arabes, d’une part et entre les africains et les touaregs d’autre part. Au cours de la période de préparation de l’intervention, des milices maliennes, africaines, se sont déjà constituées afin d’aller chasser les touaregs.
    En cette question, le commentaire de François Hollande à la question de savoir ce qu’il convenait de faire avec les terroristes (« les détruire ! ») est inquiétant, même s’il a jugé préférable de rajouter qu’on pouvait faire des prisonniers.
    Risque sanitaire, risque humanitaire.
    Plusieurs dizaines de milliers de maliens du nord (environ 150 000) se sont déjà déplacés vers la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso, et même l’Algérie. 230 000, selon Médecins du Monde, se sont réfugiés dans le sud de leur pays.
    L’ONG, qui était déjà présente sur place, estime avoir de plus en plus de difficultés à exercer son travail, depuis le début des opérations militaires. Aucune structure d’importance n’existe au sud du Mali ou dans les pays d’accueil. Ces derniers ont déjà bien des difficultés à nourrir et faire survivre leurs populations (Niger), l’afflux de migrants ne peut qu’aggraver la situation.
    Risque démocratique et politique.
    François Hollande est allé jusqu’à donner pour mission à l’intervention de la France de reconstituer le tissu démocratique et de conduire le Mali vers des élections représentatives. Est-ce vraiment là le rôle de la France ? N’est-ce pas renouveler les mauvaises habitudes de la Françafrique ?
    Si le conflit s’éternise, si les combats s’enlisent, si les risques précédemment cités entraînent des commentaires critiques (Cour Pénale Internationale par exemple), si des « bavures » se produisent, il y a fort à parier que des voix s’élèveront au Mali pour dénoncer la présence française. Les thèmes en sont déjà connus et se rapportent inévitablement au « colonialisme ».
    Cette critique est déjà présente et forte dans certains pays arabes, demain elle risque de l’être dans une large partie des pays en développement. Elle sera d’autant plus forte que la présence de troupes africaines restera probablement restreinte, tous les pays ne respectant probablement pas la totalité de leurs engagements envers la défunte mission MISMA. La solitude de la France au sein de l’Europe la ramènera également, qu’elle le veuille ou non, au concept traditionnel et colonialiste de la Françafrique. Car, très probablement, peu de pays européens s’engageront de façon concrète, la récente prise d’otages en Algérie arrive à point nommé pour leur en signifier les dangers.

    En définitive, cette guerre peut-elle déboucher sur autre chose ?
    D’aucuns affirment que la guerre peut servir de « révélateur », qu’elle peut redonner de l’espoir aux Maliens avec la possibilité de reconstruire un état démocratique, qu’elle peut provoquer un sursaut de la classe politique, qu’elle est un moindre mal.

    Nous voulons bien le croire.
    Mais la façon avec laquelle les « négociations » (Alger, Ouagadougou, Blaise Compaoré, MNLA, Ansa Eddine, Romano Prodi, etc … etc …) ont été sabotées par les uns et par les autres (dont la France) laisse mal augurer d’un proche avenir pacifié et plus démocratique.
Mali: les forces engagées (DR)

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La pluie du 12 mai …

La lecture attentive des titres de la quasi vingtaine de quotidiens édités à Bamako réserve parfois des surprises. Voici un article publié dans “Le Soir de Bamako” en date du 14 mai. Il relate avec un certain humour (mais également quelques inquiétudes sanitaires) le comportement de la population qui se débarrasse de ses ordures en profitant du grand lavage qu’une violente pluie provoque inévitablement.

Tout est dit dans cet article: la pauvreté, l’absence d’une structure administrative minimale, l’absence de service d’assainissement, la débrouillardise des populations, les risques sanitaires et environnementaux, …je vous laisse lire et juger.

Dans la nuit du 12 Mai 2009, une forte pluie s’est abattue sur Bamako. Ce qui a mis certains quartiers en liesse. Les populations du quartier de Sokorodji, situé à l’Est de la Commune VI (un quartier à majorité pauvre) ne sont demeurées en reste, qui ont poussé un ouf de soulagement. Comme pour dire que la pluie a bien fait l’affaire des ordures ménagères. A ce sujet, la fête n’a pas été n’importe quelle fête : en effet, c’était une fête pour pouvoir déverser les ordures ménagères dans les fosses septiques, afin que l’eau les entraînent au loin. Mais pourquoi la venue de cette pluie a-t-elle été salutaire pour ce quartier, tout comme pour bien d’autres quartiers du genre, du reste ?
Dans un quartier à majorité pauvre comme Sokorodji, l’accès aux services d’assainissement des GIE (Groupements d’Intérêt Economique) n’est pas chose facile. Aussi, pour évacuer leurs ordures, certains familles ne voient d’autre solution que de les stocker devant leurs portes respectives et d’attendre… l’arrivée des pluies. Une arrivée de pluie qui a donc plongé les populations de Sokorodji comme dans une gourde de miel, cette nuit du 12 Mai.
Pourquoi un tel comportement? Ces ordures versées dans des fosses septiques n’ont elles pas des effets néfastes sur la santé des familles? En tout cas, tout a commencé dès que certaines familles ont pressenti l’arrivée des orages. Aussi se préparèrent-elles activement pour… la sale besogne. Et l’on entendait certaines femmes intimer à d’autres de ramasser leurs ordures et… les verser dans les fosses septiques, parce qu’on a annoncé l’arrivée des pluies ! Par contre, d’autres familles attendent l’arrivée des vraies pluies, c’est-à-dire les hivernales.
En fait, c’est aux environs de 21 heures, au moment où, dans certains quartiers de Bamako, les gens restent chez eux, que d’autres se donnent rendez-vous dans les fosses septiques. C’est ainsi qu’aux alentours du marché jusqu’au pont de Dougoutiguila, les fosses septiques étaient envahies par leurs propriétaires respectifs, devant les portes.
On y notait la présence de femmes, d’enfants, et même de vieillards, portant chacun un seau rempli d’ordures. et tous étaient si sales qu’on ne pouvait faire la différence. Certaines femmes s’activaient, presque nues, sous cette pluie battante. Personne ne se sentait gêné par l’autre, puisque chacun faisait la même chose. Bien au contraire, c’était une véritable solidarité active entre gens de Sokorodji.
Le plus étonnant dans tout cela, c’est que ce vieux quartier serait le quartier le plus musulman de la Commune VI. Il est pourtant dit, dans le Saint Coran, qu’un musulman ne doit pas déranger son prochain. Mais ces actes ne constituent-ils pas un vrai dérangement pour certains?
Tout laisse penser que ce quartier est victime de son propre destin. Car c’est le quartier qui inquiète le plus les dirigeants politiques au moment des élections, parce qu’à l’instar d’autres quartiers (il faut le reconnaître), tout y est évalué en argent, achat de conscience, fraude électorale ou autres.
Sokorodji et Djanéguéla sont surtout les seuls quartiers à ne pas disposer de Mairie, en Commune VI. Quand on n’a pas une administration propre à assurer la gestion communale, les conséquences vont au détriment de la population. Et la population de Sokorodji en est victime., parce qu’elle ignore les conséquences de ces ordures. Que fait donc le service de l’assainissement de la Commune VI ? Est-ce à dire qu’il n’est pas au courant de ses malveillances?
Ce matin (13 Mai), ces fosses septiques ont toutes stagné. Le plus alarmant, c’est l’inondation totale d’une famille voisine de l’endroit où sont déversées les ordures. Certains habitants (tout en désirant garder l’anonymat) sont allés jusqu’à déclarer que l’arrivée de cette pluie a été une aubaine, puisque beaucoup d’habitants ne disposent pas de moyens pour payer des charretiers ou les GIE. Quel est donc le rôle de la Mairie?…

Le ministre de l’Environnement et de l’Assainissement est donc interpellé, car le cas de Sokorodji ne doit en aucune façon se répercuter dans les autres quartiers.“

Adégné Dolo (Stagiaire)
Daoudabougou, la collecte des ordures … par temps sec